SCIENCE : L’HUMAIN, LA SOCIÉTÉ ET SON NIVEAU PSYCHOLOGIQUE

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La structure psychologique des êtres humains détermine en partie les structures sociétales. Ce n’est cependant pas l’analyse précise de Marx, même si le philosophe, Lucien Sève, montre que Marx avait fait preuve d’un travail d’avant-garde au plan anthropologique. Nous saluons d’ailleurs l’effort de Lucien Sève visant à rapprocher le matérialisme dialectique marxiste et la psychologie notamment freudienne. Dans son ouvrage, « Marxisme et théorie de la personnalité », publié en 1969 durant l’essor du freudo-marxisme, il affirmait, néanmoins, que l’absence « des infrastructures sociales, familiales et individuelles, autrement dit, du travail, est masqué chez Freud par un biologisme des pulsions typiquement pseudo-matérialistes ».

Or, dans l’approche classique des marxistes, Marx considère que ce sont les structures économiques, qui déterminent la superstructure de la société, donc, l’éducation et le caractère des humains, même s’il y a une légère influence de la liberté humaine, dans le cadre d’une certaine dimension dialectique. Cependant, Lucien Sève estime que Marx avait insisté plus fortement sur la dimension dialectique entre l’anthropologie humaine et les structures économiques. Dans l’idéologie allemande, Marx écrivait que les prolétaires doivent « renverser l’Etat pour réaliser leur personnalité ». Marx formule plusieurs thèses critiques sur Feuerbach, dont la célèbre sixième thèse sur Feuerbach (1) qui inaugure selon Lucien Sève « une véritable révolution épistémologique dans l’anthropologie » (2) ? En effet, dans la VI e thèse sur Feuerbach, Marx déclare que « l’essence humaine n’est pas une abstraction inhérente à l’individu isolé. Dans sa réalité, elle est l’ensemble des rapports sociaux ». 

Marx refuse donc les approches idéalistes, biologiques et psychologiques pour expliquer les changements sociétaux. Tandis que les psychologues ou les biologistes, à l’inverse, oublient la dimension socio-économique, les rapports de classe et de propriété dans les changements psychologiques et les changements sociaux.

Ainsi, pour certaines des théories libérales non déterministes, la psychologie humaine, la personnalité est libre, indéterminée et n’est que le résultat de la volonté et du mérité individuel. Pour les théories libérales déterministes innées, ce sont, surtout, les gênes et les lois psychologiques, qui expliquent les différences de réussites économiques et sociétales. Il s’agit, donc, d’un déterminisme interne.

Cependant, Lucien Sève estime que Marx avait insisté plus fortement sur la dimension dialectique entre l’anthropologie humaine et les structures économiques que ne l’affirme habituellement les marxistes. Dans son ouvrage, « L’homme ? », Penser avec Marx aujourd’hui, publié en 2009, fait de la théorie de la personnalité « la clé de voûte du champ anthropologique dans son entier », à l’exact point de rencontre du social et de l’individuel (3). Nous approuvons cette approche, mais, nous estimons que l’être humain dispose de plus, de déterminismes qui lui sont propres, tel le mimétisme des caractères dans l’éducation, le niveau d’évolution biologique et génétique de l’espèce humaine.

Quelle est la part du déterminisme environnemental et génétique ? Les psychologues qui ont étudié les jumeaux estiment généralement qu’il y aurait 88 % d’inné environ. En 1984, les chercheurs Bouchard et Mc Goo étudient plusieurs études anciennes portant sur des jumeaux monozygotes (les vrais jumeaux) élevés ensemble. Ils relèvent qu’ils possèdent 87% de points communs (0,87 de corrélation) au niveau du coefficient intellectuel. Même lorsqu’ils sont élevés séparément dans deux familles différentes, les jumeaux disposent encore de 75% de points communs. Ainsi, le déterminisme de l’acquis par l’éducation exercé sur le coefficient intellectuel, ne s’élèverait qu’à 12% (87% – 75%), contre 88% d’inné (4).

Pour certains généticiens et biologistes, il y aurait même 90 % d’inné environ lié à la génétique concernant certains traits des caractères psychologiques. En 2007, une étude de la New York University, publiée dans « Nature », localise dans notre cerveau une « zone de l’optimisme » – dans le mésencéphale (le cerveau moyen, juste derrière les yeux). Cette zone « s’active lorsque nous élaborons des pensées positives concernant notre avenir, et les transformons en émotions agréables ». L’imagerie cérébrale par IRM confirme cette découverte : la zone considérée s’active bien plus intensément chez les optimistes déclarés (5).  Une autre étude rapporte que sur la base d’un échantillon de 505 personnes dont 86 % de « blancs non hispaniques », que les porteurs des génotypes LS ou SS sont plus susceptibles d’avoir des traits de la personnalité censés être liés à l’anxiété que les porteurs du génotype LL (6). Ces différentes études en biologie, génétique et psychologie prouvent que le rôle de certains gènes, a une influence sur certains traits de caractère psychologique. Cependant, ce lien entre gènes et psychologie concerne-t-il seulement certains gènes ou tous les gènes ?

Certains généticiens, tels Marcus Pembrey et Lars Olov Bygren affirment que l’approche épigénétique dément en partie le complet déterminisme inné des gènes. Leur étude réalisée en 2005 a montré que les habitudes alimentaires des grands-parents pouvaient avoir des conséquences sur… leurs petits-enfants. Pour y parvenir, les deux chercheurs ont décortiqué les registres paroissiaux de la petite ville suédoise de Överkalix sur plusieurs générations. Ils ont ainsi découvert que les hommes qui avaient connu la famine avaient des petits-enfants moins susceptibles de développer des problèmes cardio-vasculaires que ceux dont les grands-pères n’avaient pas connus de période de famine (7). Dans le cadre de l’approche épigénétique, ils montrent ainsi, que l’environnement extérieur, de même que les actions d’un être humain durant son existence modifie son patrimoine génétique au cours de sa vie. Concernant les caractères physiologiques, la majorité d’entre eux proviendrait donc d’une part de la génétique et de l’environnement, tandis qu’une minorité relèverait donc uniquement de l’origine génétique et d’autres uniquement de l’environnement. De plus, en fonction de l’environnement, les gênes se manifestent ou non. Donc, l’environnement (la politique sociale ou libérale) compte car son action s’exerce parfois sur les caractères psychiques, physiques, physiologiques, mais aussi, génétiques. Ce dernier n’est donc pas qu’inné, comme le montre l’épigénétique. C’est pourquoi un environnement favorable renforce l’égalité des humains sur le plan social, psychologique, mais aussi, génétique.

Ainsi, avec l’épigénétique et l’activation aléatoire de certains gênes, on observe une circularité dans la chaîne de causalité composée du déterminisme environnemental, du déterminisme génétique et de la liberté d’action de l’individu sur lui-même. C’est-à-dire, sa part de responsabilité individuelle. Le pourcentage précis de chacune de ces trois causalités demandera à être déterminé scientifiquement sur le plan des caractères physiologiques et psychologiques, d’autant qu’il dépend aussi des individus et des situations.

Selon les marxistes, les structures économiques et sociétales exercent un déterminisme externe sur la structure psychologique humaine avec ensuite un déterminisme dialectique de cette dernière. A la différence de Lucien Sève, qui considère en réalité que chez Marx, ce processus mécanisme est analogue, mais, il n’y a pas de hiérarchie historique et chronologique, car l’influence est égale, il y a un déterminisme dialectique simultané. En ce qui nous concerne, nous souscrivons à l’analyse de Sève, mais, nous estimons qu’en plus de ces déterminismes externes, la structure psychologique humaine est régie de surcroît par des déterminismes internes, relevant de lois psycho-biologiques. Les structures psychologiques de l’espèce humaine disposent d’un cycle d’évolution propre, de nature psychique et génétique, qui n’évolue pas à la même vitesse que les méthodes pédagogiques et encore moins de celles des structures économiques et politiques. Même ces dernières peuvent influer sur le rythme d’évolution du psychisme, elles ne peuvent le déterminer complètement ». C’est aussi l’analyse du psychanalyste marxiste, Cornélius Castoriadis, dans son ouvrage « l’institution imaginaire de la société ».

1) MARX Karl, ENGELS Friedrich, Thèse sur Feuerbach (1845), in L’idéologie allemande (1848), Editions Sociales 1970.
2) PROST Laurent, « Entretien avec Lucien Sève », Le Philosophoire 2/2009 (n° 32), p. 27-40.
3) SEVE Lucien, L’homme ?, Penser avec Marx aujourd’hui, tome 2, La Dispute, 2009, p. 463.
4) MCGUE M, BOUCHARD TJ « Adjustment of twin data for the effects of age and sex ». Behavior Genetics 14 (4): 325–343, July 1984.
5) CASPI Avshalom & co., “Influence of life stress on depression : moderation by a polymorphism in the 5-HTT gene”, Science, vol.301 (5631), p. 386-389, 2003.
6) LESCH Klaus-Peter, & Co. Association of anxiety-related traits with a polymorphism in the serotonin transporter gene regulatory region, Science, vol.274 (5292), p.1527-1531, 1996.
7) PEMBREY Marcus E, BYGREN Lars Olov and The ALSPAC Study Team, ‘’Sex-specific, male-line transgenerational responses in humans ’’, European Journal of Human Genetics (2006) 14, 159–166.

Dr Thierry Brugvin
Sociologue
Chargé de Conférence à l’Université de Besançon (France)
Mél : Thierry.brugvin@free.fr

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