Le 6 août 2022, Ouattara a déçu les attentes des Ivoiriens. Une fois de plus, il a tenu un discours creux. Une fois de plus, il a parlé pour ne rien dire. Plutôt que de nous expliquer comment il compte relever les défis de l’heure et réparer les nombreux dégâts qu’il a causés dans notre pays, il a préféré se décerner un satisfecit au moment où des étudiants d’Abobo-Adjamé sont obligés de dormir dans leur amphi, au moment où les blocs opératoires des deux CHU (Cocody et Treichville) sont fermés. Mais pouvait-on attendre autre chose de celui que Nicolas Sarkozy “a installé après avoir sorti Gbagbo sans polémique” (cf. Nathalie Schuck et Frédéric Gerschel, ‘Ça reste entre nous, hein ? Deux ans de confidences de Nicolas Sarkozy’, Paris, Flammarion, 2014) ?

Le lendemain, l’homme qui n’est point gêné d’avoir brigué un 3e mandat anticonstitutionnel devait se retrouver avec Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo à Yamoussoukro mais ni l’un ni l’autre ne jugea utile de faire le déplacement. C’est la seule chose qui puisse me réjouir dans la commémoration du 62e anniversaire de notre prétendue indépendance. J’utilise à dessein l’adjectif “prétendue” car, avant le 7 août 1960, la France de Charles de Gaulle avait tout mis en place pour que nous soyons pour elle des gens corvéables et malléables à merci, pour que nos matières premières profitent d’abord à l’Hexagone. En d’autres termes, les dés étaient pipés dès le départ avec l’installation du 43e BIMA, avec cette monnaie nazie appelée F CFA, avec l’invasion des ministères et entreprises étatiques par des “conseillers” français. Il semble que la présence de ces “experts” s’est renforcée sous Ouattara depuis 2011 (sur notre photo Ouattara et les présidents du Liberia et de Guinée Bissau invités au 62e anniversaire que les anciens présidents Bédié et Gbagbo ont volontairement boudé).

Voilà, grosso modo, le contenu de la fameuse indépendance octroyée à Houphouët. Mais est-il écrit quelque part que, 62 ans après, nous devrions toujours être occupés et exploités par la France ? Etions-nous condamnés à tourner en rond ? Non. La Corée du Sud, Singapour, Hong Kong, Taïwan et le Vietnam, ont démontré qu’il y a toujours moyen de transformer le mal en bien, de passer “de la médiocrité à l’excellence” (Ebénézer Njoh-Mouellé) car “l’important n’est pas ce qu’on a fait de moi; mais ce que je fais moi-même de ce qu’on a fait de moi” (Jean-Paul Sartre).

Les Français et Françaises, qui prirent la Bastille en 1789, ne risquaient pas leurs vies pour un gain personnel mais pour que leurs enfants et petits-enfants puissent travailler et vivre dans un meilleur environnement. Chez nous, des injustices et des dictatures inacceptables perdurent parce que ce qui nous manque, le plus souvent, c’est la capacité de nous sacrifier pour le groupe et pour ceux qui viendront après nous. On veut bien participer à telle ou telle action (manifestation, marche, grève, boycott, etc.) mais, à condition que cette action nous profite personnellement et immédiatement.

Il y a ce fait que nous avons du mal à voir plus loin que notre ventre et bas-ventre. Mais, il y a aussi la peur de la mort. Or, où et qui la mort ne frappe-t-elle pas ? Elle peut nous prendre dans le lit, dans la douche, devant la télévision, sur un terrain de football ou de basketball, etc. La grande faucheuse ne s’abat pas uniquement sur ceux et celles qui se lèvent et luttent contre tout ce qui bafoue la dignité humaine.

Il nous incombe donc de voir les choses autrement, de comprendre que “celui qui ne risque rien, n’a rien”. Bref, la vraie indépendance à laquelle nous aspirons tous, dépend de notre engagement et des sacrifices que chacun acceptera de faire.

Jean-Claude DJEREKE

est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).