Le transfèrement pour réincarcération du Général, Jean-Marie Mokoko, de l’hôpital des Armées à la Maison d’arrêt de Brazzaville dans des conditions inhumaines, constitue une invite implicite pour les Congolais à détourner leur regard de son geôlier apparent, le tristement célèbre président, Sassou-Nguesso, pour le fixer sur le vrai patron de la dictature congolaise, la France, en vue de déterminer pertinemment la responsabilité des acteurs dans cette affaire.
N’en déplaise aux tenants d’un certain souverainisme étriqué et utopique, le poids de l’ingérence française dans le fonctionnement de nos Etats doit être réellement considéré puis nécessairement dénoncé. Il ne s’agit point de cautionner la hantise exagérée du démon français dans tous les maux, qui minent la société congolaise mais, de ne pas méconnaître a contrario son influence si effective dans notre quotidien sociopolitique. Occulter l’ingérence de la France dans nos affaires équivaudrait à un déni de réalité synonyme de complaisance dans l’approche des relations afro-françaises et d’approbation tacite de leur caractéristique de domination néocoloniale naturellement défavorable aux Congolais. Telle démarche ne dénote donc pas d’un aveu d’incapacité des Congolais à régler personnellement leur crise interne mais, constitue une étape indispensable dans l’évaluation de l’impact des facteurs exogènes sur le cours des événements au Congo et du nécessaire dévoilement des intervenants étrangers dont tout camouflage hypocrite fausserait la lecture et l’appréhension de notre environnement sociopolitique. La France a engagé sa responsabilité générale dans la situation globale du Congo depuis bientôt un quart de siècle lorsque, le 05 juin 1997, elle a décidé de saboter la démocratie congolaise par le déclenchement d’une longue guerre civile, qui a déstabilisé à jamais notre société. La situation du général Mokoko, effet collatéral lointain de cette détérioration du climat sociopolitique générale, confirme davantage, cette responsabilité française accentuée par son intervention partiale en 2016 auprès du candidat vainqueur de l’élection présidentielle pour lui faire approuver la victoire usurpée du vaincu Sassou-Nguesso.
A titre d’historique, le général Mokoko, après ses fonctions de chef d’état-major général des armées en 1993, se retira en France. Cependant, quelques années après sa réinstallation au pouvoir, Sassou-Nguesso qui, dans sa stratégie de conservation du pouvoir supporte mal l’éloignement de tout potentiel adversaire politique, l’attira dans son giron pour mieux le contrôler. A ce titre, il l’a nommé conseiller à la présidence en matière de sécurité et l’a envoyé dans des missions militaires interafricaines de maintien de paix sous l’égide de l’Union africaine comme en Centrafrique qui, aux dires de certains analystes, avait un côté guet-apens pour l’éliminer physiquement. Tel soupçon est concevable au vu des pratiques létales avérées de Sassou-Nguesso et d’un précédent bien connu des Congolais attestant que le dictateur n’a jamais affectionné le général Mokoko. Bien au contraire, il l’a toujours viscéralement détesté car, en bon disciple de Locuste, l’empoisonneuse de la Rome antique, Sassou-Nguesso avait déjà tenté de l’empoisonner à la fin des années 1980 lorsqu’il était son chef d’état-major général. Toutefois, Sassou-Nguesso s’était leurré car le rapprochement physique n’impliqua pas un ralliement idéologique puisque sa fréquentation du milieu présidentiel n’altéra point ses convictions républicaines antérieurement affirmées pendant la période de transition démocratique de 1991-1993. Ainsi, lorsqu’a sonné l’appel de la nation à l’échéance électoral de 2016, le général Mokoko a démissionné de ses fonctions militaires interafricaines pour revenir défier son ancien patron dans la course présidentielle. L’acte fut diversement interprété : pour Sassou-Nguesso, c’était plus qu’un défi, un affront punissable d’un collaborateur plutôt félon et, pour le général Mokoko, l’exercice légitime d’un droit civique.
Le général Mokoko au tribunal de Brazzaville avant sa condamnation décidée par Sassou-Nguesso.
Plusieurs mobiles fondaient le choix politique du général Mokoko et motivaient son engagement, le premier étant la nécessité de restaurer l’ordre républicain dans un pays réduit en pétaudière par une oligarchie foncièrement corrompue, prioritairement, préoccupée par une course effrénée à l’enrichissement personnel et pathétiquement indifférent à l’intérêt général. Sassou-Nguesso, très critiqué à l’extérieur, notamment, par la France de François Hollande, à cause de sa volonté de modifier la constitution en vue de s’octroyer le droit de briguer un troisième mandat était en mauvaise posture présidentiable. Il était très impopulaire à l’intérieur où le peuple croupissant dans l’indigence supportait mal une crise économique imputée aux malversations financières du même président de la République qui manœuvrait inlassablement pour pérenniser son pouvoir. Après maintes tergiversations, François Hollande, en bon politique français, c’est-à-dire, hypocrite et sans parole, se ravisa soudainement de sa position initiale d’hostilité à tout changement de constitution pour une pérennisation de pouvoir en reconnaissant à son homologue congolais « le droit de consulter son peuple ». Fort de l’onction de l’Elysée, Sassou-Nguesso procéda au changement de constitution en octobre 2015 au moyen d’un referendum à taux de participation nul. C’est sur la base de la nouvelle constitution substantiellement illégitime qu’il organisa le scrutin de mars 2016 qu’il a fatalement perdu dans les urnes, n’ayant recueilli que 8% des voix, mais, dont il revendiqua une victoire usurpée au général Mokoko pour s’autoproclamer président. Le général ne reconnut point cette victoire confisquée.
Cet événement a été l’élément déclencheur du calvaire du général dissident. Devant l’obstination de celui-ci de rejeter les résultats truqués d’un scrutin qu’il était certain d’avoir remporté, Sassou-Nguesso, fort du soutien de l’Elysée, s’autorisa d’encercler sa résidence pour l’y assigner. La futilité des injonctions partiales de Paris par le truchement de son ambassadeur à Brazzaville pour faire fléchir le général Mokoko étant avérée, la France le livra au bon vouloir du prince Denis jouissant dorénavant de la libre disposition de sa victime. Il lui plaça dans sa cour un armement non autorisé dans la dotation de sa garde pour l’accuser d’atteinte à la sûreté de l’Etat, le soumettre à une arrestation arbitraire suivie d’une garde à vue prolongée avant de lui engager une parodie de procès. Frustré par le silence de l’accusé rebelle contre une justice partiale, les magistrats corrompus le condamnèrent à vingt ans d’emprisonnement ferme dans un environnement insalubre, la Maison d’arrêt de Brazzaville, ouvrage colonial vétuste jamais réaménagé depuis sa construction. Embastillé pour ses opinions, le général est reclassé non seulement détenu de droit commun mais surtout, invraisemblablement déclaré « prisonnier personnel » par Sassou-Nguesso lui-même, une catégorie sui generis justifiant tous les traitements d’exception dont il fait l’objet.
Fin juin 2020, le général Mokoko, éprouvant de sérieux ennuis de santé est admis à l’hôpital militaire de Brazzaville où les diagnostics des médecins traitant vacillent entre le covid19 et un paludisme aigu. Au bout d’un mois d’une hospitalisation critique sous les projecteurs de l’actualité mais couverte par les secrets médical et judiciaire, le prisonnier personnel du président de la République, tantôt annoncé pour mort par la rumeur, était enfin évacué en Turquie le 30 juillet après maintes tractations judiciaires et diplomatiques. De ce séjour opaque ne transpira aucune information car même sa famille biologique se vit refuser tout droit de visite. A son retour de Turquie un mois après, le général Mokoko fut encore interné à l’hôpital militaire en régime carcéral pour un suivi médical jusqu’à tout récemment quand a rebondi son affaire. Les Congolais ne savent point jusqu’alors de quoi souffre exactement leur général. Le covid19 ayant été écarté d’emblée, le paludisme ne pouvant justifier d’une évacuation sanitaire d’un patient affecté en zone endémique vers un pays méditerranéen, donc non paludique, et encore moins, un traitement prolongé de kinésithérapie sur une si longue période pour une maladie curable en une semaine au trop, les Congolais s’estiment en droit de s’interroger sur cette pathologie chronique innommée. Secret médical oblige ou devrait-on y entrevoir la main noire d’Achlys, la déesse grecque antique du poison, ou celle de Locuste la romaine car il était sain de corps avant son incarcération ?
Tandis que le général du peuple poursuivait sereinement son traitement à l’hôpital militaire de Brazzaville, les bouleversements politiques survenus à Conakry ont inspiré à Sassou-Nguesso la précaution de le réincarcérer à la maison d’arrêt pour des raisons de sécurité. Les exécutants de la mission tentaient de l’effectuer dans l’irrespect du règlement hospitalier exigeant deux conditions préalables non réunies en l’occurrence : la fin du traitement décidée par les médecins traitant et une autorisation de sortie délivrée par l’administration de l’hôpital. Les médecins rechignaient à libérer ce patient délicat estimant les conditions d’accueil à la maison d’arrêt inappropriées pour sa prise en charge. Le 1er octobre dernier, le transfèrement a tout de même été effectué en dépit des conditions insalubres de la prison où sa cellule d’accueil était délaissée dans l’état où il l’avait quittée et a dû être précipitamment dépoussiérée par ses bienveillants accompagnateurs lors de sa réincarcération.
La France, et non son préfet, Sassou-Nguesso, tout seul, portera la responsabilité directe du sort final du général Mokoko à l’issue de son emprisonnement. La justice populaire des Congolais ne la disculpera point à propos si malheur lui arrivait. Sassou-Nguesso qui est au soir de sa vie et se bat pour sa survie mourra tout comme Emmanuel Macron quittera le pouvoir à l’instar de ses prédécesseurs mais la France survivra à travers son peuple et ses institutions. Ainsi répondra-t-elle, en tant qu’Etat, des actes de son gouvernement et payera à sa juste valeur le prix de sa complicité dans toute exaction affectant le général Mokoko et dans tous les crimes commis contre notre nation. La France croit régir la politique congolaise assurément et discrètement, s’estimant à l’abri de tout soupçon, ignorant que les Congolais surveillent scrupuleusement ses manœuvres et évaluent pertinemment le degré de sa responsabilité dans tous les crimes passés et avenir de son préfet Sassou-Nguesso. Les Congolais, plutôt observateurs que dupes, scrutent les actions de la France tandis qu’ils rassemblent patiemment contre elle les preuves pour sa condamnation ultérieure. Dans ce processus, le délai n’est pas une préoccupation majeure ; si l’idéal est l’occurrence de l’échéance sine die pour épargner à la population l’éventualité davantage d’exactions, les événements ont leur part d’indétermination dictant leur calendrier. Ici, seul le temps, maître de l’univers, pourvoira quoique les Congolais ne se complaisent pas cependant dans un attentisme messianique ; bien au contraire, ils s’activent patiemment à la création d’un environnement idéal propice à l’action.
De ce point de vue, la France peut se référer à son vécu pour se convaincre de l’existence d’une justice humaine inspiratrice de circonspection indispensable dans ses rapports avec d’autres nations. Les peuples n’oublient point toutes meurtrissures infligées mais les ressassent continuellement à travers des générations pour imprimer dans la mémoire collective l’amertume envers tout auteur de forfaitures. Ils transmettent à la postérité la mission de venger opportunément tout forfait que son ascendance n’aura pas eu l’occasion de sanctionner. Dans le règlement de comptes entre Etats, le temps ne presse pas toujours. Les Australiens ont pris trente-cinq ans pour rappeler à la France l’incident de l’essai nucléaire du Pacifique par la récente rupture du juteux contrat des sous-marins. Il a fallu soixante ans après l’indépendance pour que s’amorce une désagrégation du pré-carré français avec la perte de la Centrafrique et du Mali au profit de la Russie, phénomène susceptible de s’étendre à plus d’Etats à l’avantage éventuellement d’autres puissances montantes si Paris ne se débarrasse immédiatement de son obsolète outil diplomatique de la « Françafrique ».
Depuis que le général du peuple croupit en prison, tant pendant l’attente de sa mascarade de procès qu’après le verdict, les consécrateurs de son bourreau se targuent -ou se flattait pour l’un d’entre eux- de leur exploit néocolonial : la consolidation de la dictature « sassovite ». Le belligérant Chirac profitait des derniers moments de sa vie pour brouter à belles dents sa part du butin de la guerre d’intronisation du tyran congolais de juin 1997. De son côté, le félon Hollande se réjouit certainement encore des retombées de la validation ignominieuse de l’une des pires tyrannies de l’histoire de l’Afrique contemporaine. Enfin, le tandem véreux Macron-Le Drian continue de caresser la bête Sassou dans le sens du poil en toute effronterie en échange de grosses commissions occultes versées selon des mécanismes « françafricains » de la corruption normalisée. Le silence de Macron, la flagornerie de Le Drian ou la réaffirmation solennelle de son amitié pour le tyran Sassou-Nguesso dans son allocution du quatre-vingtième anniversaire de l’appel de Brazzaville du général de Gaulle et sa réitération complaisante de demande de libération des prisonniers politiques à celui-ci participe de cette hypocrisie diplomatique consistant à dire une chose et à faire son contraire et donc à maintenir le général Mokoko en prison.
Les Congolais savent pertinemment que si L’Elysée veut la libération du général Mokoko –vouloir et non souhaiter- il l’obtiendra nécessairement et immédiatement car, dans ce cas, il ne se contentera pas de la demander mais la décidera, l’exigera, l’ordonnera ou l’imposera tout simplement à son préfet, Sassou-Nguesso, qui n’aura d’autre choix que d’exécuter l’injonction. Le cas de Modeste Boukadia, l’opposant au régime de Sassou-Nguesso, arbitrairement, incarcéré à Pointe-Noire par celui-ci de 2013 à 2015 et libéré immédiatement sans conditions sur injonction de François Hollande, est un précédent révélateur du pouvoir de Paris sur Brazzaville ou de l’effectivité des rapports néocoloniaux entre le Congo et la France que les Congolais doivent prendre en considération dans l’appréciation de leur situation sociopolitique sans pour autant les cautionner. La démonstration de la survivance de l’empire colonial français et de la vassalité vérifiée des Etats dérivés théoriquement indépendants vis-à-vis du pouvoir métropolitain de Paris justifie conséquemment le droit pour les Congolais de tenir la France pour responsable en dernier ressort des exactions de son préfet Sassou-Nguesso. Il y va aussi bien de l’embastillement de tous les prisonniers d’opinions, notamment le général Mokoko, que de l’ensemble des crimes politiques du tyran à l’instar de l’assassinat du candidat à l’élection présidentielle de mars dernier, Parfait Kolelas, et de l’extermination planifiée des populations du département du Pool avec ses emblématiques disparus du Beach formant des éléments constitutifs d’un génocide prouvé pour lesquels l’Etat français devra nécessairement rendre compte aux Congolais un jour à tout prix.
La France de Chirac « l’Africain » plutôt « africanophobe », n’eut-elle pas renversé nos institutions démocratiques de 1992 pour les remplacer par le léviathan Sassou-Nguesso qui nous subjugue depuis un quart de siècle, le destin de notre Congo aurait changé. Il est mort et repose paisiblement à Montparnasse les mains imbibées du sang des Congolais. Sarkozy a maintenu le léviathan sur le trône du Congo tandis qu’Hollande lui a prorogé ses mandats illégitimes en donnant à la bête le fameux « droit de consulter son peuple » et, implicitement, le permis de le tyranniser ou de le massacrer en toute impunité. Macron, « l’anti-Françafrique » de première heure ploie désormais sous la charge du legs encombrant de ses prédécesseurs. Il semble cependant s’en accommoder sous l’égide de Le Drian, le Focart-Bis, qui s’est déjà distingué dans la complicité du crime politique qualifié d’assistant funéraire du léviathan qu’il a promptement débarrassé du cadavre de Parfait Kolelas décédé à Brazzaville en plein processus électoral pour le déplacer vers Paris. Dès lors, une question se pose : la France de Macron, assistera-t-elle ausssi Sassou-Nguesso dans l’élimination physique du général Mokoko pour la préparation à la succession dynastique de son sulfureux fils Christel ou prendra-t-elle le parti du peuple congolais qui s’attend à ce qu’elle le débarrasse de ce monstre qu’elle lui a fait l’insulte de le coller comme chien de garde ? Pour sûr, la France a déjà brisé le cœur des Congolais ; il lui reste à le perdre définitivement si elle continue de jouer avec le destin du général Mokoko en particulier et des Congolais en général.
David NTOYO-MASEMBO