Le gouvernement malien dit disposer de preuves que les très nombreuses violations flagrantes de l’espace aérien malien, ont aidé la France à collecter des renseignements au profit des groupes terroristes opérant dans le Sahel. Plus grave, la France leur largue des armes et des munitions pour encourager leurs attaques contre le Mali. C’est pourquoi le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, vient de saisir le président du Conseil de sécurité, ZHANG Jun, pour qu’il convoque, en urgence, le Conseil de sécurité, les accusations étant d’une gravité extrême. Ci-après, le courrier envoyé, mardi, 16 août, à Zhang Jun.
Son Excellence monsieur ZHANG Jun, Ambassadeur,
Représentant permanent de la République Populaire de Chine auprès des Nations Unies
Président du Conseil de sécurité des Nations Unies
New York.
« Excellence Monsieur le Président,
Au nom du gouvernement de la République du Mali, je tiens à appeler votre attention sur des actes graves, qui sont de nature à porter atteinte à la paix et à la sécurité internationales (sur notre photo, le président du Conseil de sécurité, l’ambassadeur Zhang Jun saisi officiellement par le Mali pour condamner la France).
En effet, depuis plusieurs mois, il nous a été donné de constater des violations répétitives et fréquentes de l’espace aérien malien par les forces françaises, en y faisant voler des vecteurs aériens tels que des drones, des hélicoptères militaires et des avions de chasse, sans autorisation des autorités maliennes.
Depuis le début de l’année 2022, les Forces armées maliennes (FAMa), munies de nouvelles capacités, ont enregistré plus de 50 cas délibérés de violation de l’espace aérien malien par des aéronefs étrangers, notamment, opérés par les forces françaises, sous différentes formes. Aux actes d’indiscipline caractérisés par des refus d’obtempérer aux instructions des services de contrôle aérien, s’ajoutent des cas d’extinction des transpondeurs dans le but de se soustraire au contrôle.
S’y ajoutent, également, des cas de falsification de documents de vol, ainsi que, des cas d’atterrissage d’hélicoptères dans des localités hors aérodromes, sans autorisation préalable. De nombreux vols d’avions de renseignement et de drones évoluant à haute altitude ont été notés, qui se livraient à des activités considérées comme de l’espionnage, de l’intimidation, voire, de la subversion. Le tableau listant les incidents aériens depuis l’annonce du retrait de la Force Barkhane est joint en annexe.
L’un des cas les plus récents a été la présence illégale d’un drone des forces françaises, le 20 avril 2022, au-dessus de la Base de Gossi, dont le contrôle avait été transféré aux FAMa, le 19 avril 2022. Ledit drone était présent à partir de 11h45 évoluant à moyenne altitude, pour espionner nos vaillantes FAMa. Outre l’espionnage, les forces françaises se sont rendues coupables de subversion en publiant des images collectées par leur drone, montrant des civils tués. Des résultats de l’enquête judiciaire menée par les services compétents du Mali, il a été établi que les corps y avaient été disposés bien avant l’arrivée des forces maliennes à Gossi. Cette communication malheureuse avait pour objectif de ternir l’image et d’accuser les Forces armées maliennes engagées pour la libération de leur territoire, la protection et la sauvegarde de leurs populations éprouvées par une longue crise.
Le 21 avril 2022, une patrouille de Mirages 2000 a survolé, à plusieurs reprises, sans coordination préalable, un convoi FAMa en partance pour renforcer le dispositif de l’emprise de Gossi. Cette manœuvre s’inscrivait dans une dynamique d’intimidation de nos forces.
Le 15 juin 2022, l’avion de transport tactique, Casa 295, de l’Armée de l’Air du Mali, a été harcelé par un aéronef de combat appartenant à la Force Barkhane alors que l’aéronef malien effectuait des rotations entre des aérodromes situés en territoire malien. L’aéronef français inconnu, qui ne s’est jamais annoncé à la radio, a effectué des manœuvres dangereuses autour de l’avion malien, perçues comme des tentatives d’intimidation.
En outre, le 06 août 2022, la Force Barkhane a confirmé, dans un communiqué officiel, avoir mené des opérations aériennes contre des présumés terroristes dans la zone de Talataye. Cependant, ces opérations unilatérales n’ont pas été coordonnées avec les FAMa.
De plus, dans le secteur de Lerneb, la nuit du 06 au 07 août 2022 vers 03h30 du matin, un hélicoptère a atterri aux environs de la Forêt de Ougrich, au Sud de Lerneb et Aratène, cercle de Goundam, région de Tombouctou. L’hélicoptère a embarqué 2 éléments d’Ibrahim Ag Baba, lieutenant d’Abou Talha, chef de l’émirat de Tombouctou pour une destination inconnue.
Le 08 août 2022, à 37 km de Tessit, un hélicoptère, Chinook, a survolé des renforts FAMa de Gao en mouvement vers Tessit, dans la direction opposée de progression.
Le Chinook, surpris dans ses activités, a subitement repris de l’altitude. Les recoupements du Poste de Commandement Interarmées de Théâtre (PCIAT) Est auprès des partenaires, n’ont pas permis de confirmer l’origine de l’aéronef.
Le 08 août 2022, à 12h55, une patrouille des FAMa est sortie de Labbezanga pour rechercher en vain un colis largué par Barkhane à 03 km Est dudit poste.
Tout au long du processus de transfert aux autorités maliennes de l’aérodrome de Gao et de l’espace aérien du Nord, depuis l’annonce du retrait de Barkhane, les aéronefs militaires maliens ont fait l’objet d’entraves régulières, par des manœuvres retardatrices visant à réduire leur efficacité et à rallonger leurs délais de réaction.
Face à la multiplication de ces actes d’agression contre la souveraineté et l’intégrité territoriale d’un Etat membre des Nations-Unies, le gouvernement du Mali a publié les communiqués n° 009 et 028 respectivement du 12 janvier et du 26 avril 2022, dont copies figurent en annexe, afin de prendre à témoin l’opinion nationale et internationale. Le Conseil de sécurité en a été également informé.
Le gouvernement du Mali dispose de plusieurs éléments de preuve que ces violations flagrantes de l’espace aérien malien, ont servi à la France pour collecter des renseignements au profit des groupes terroristes opérant dans le Sahel et pour leur larguer des armes et des munitions.
Aussi, il convient de rappeler que c’est en raison de suspicions de manœuvres de déstabilisation de la France que le gouvernement du Mali s’est fermement opposé à la demande de soutien aérien de la France au profit de la MINUSMA, afin que la France ne se serve pas de la mission onusienne comme prétexte pour mener des opérations subversives visant à fragiliser davantage le Mali et la région du Sahel.
Au regard du droit international, le gouvernement du Mali estime que ces actes de la France constituent une agression, qui est définie, selon la résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée Générale des Nations-Unies du 14 décembre 1974, comme « l’emploi de la force armée par un Etat contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre Etat ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations-Unies…».
Ainsi, le gouvernement du Mali invite le Conseil de sécurité des Nations-Unies, garante de la paix et de la sécurité internationales à œuvrer afin que la République française cesse immédiatement ses actes d’agression contre le Mali.
En outre, La France, membre permanent du Conseil de sécurité, devrait se conformer à la légalité internationale, en respectant les dispositions pertinentes de la Charte des Nations-Unies.
En cas de persistance dans cette posture, qui porte atteinte à la stabilité et à la sécurité de notre pays, le gouvernement du Mali se réserve le droit de faire usage de la légitime défense, conformément, à l’article 51 de la Charte des Nations-Unies.
Je vous prie de porter la teneur de la présente à l’attention des membres du Conseil de sécurité, en vue d’une réunion d’urgence sur ces questions et de la publier en tant que document officiel du Conseil de sécurité.
Veuillez agréer, Excellence Monsieur le Président, l’assurance de ma considération distinguée ».
Signé Abdoulaye Diop
Ministre des Affaires étrangères du Mali.
Quelques observations sous-tendues par les graves accusations du Mali contre la France.
Le 7 août, des attaques simultanées imputées à l’Etat islamique du Grand Sahara (EIGS) ont fait 42 morts et de nombreux blessés parmi les FAMa. Il y a eu un grand malaise dans le pays et trois jours de deuil furent décrétés par le colonel-président, Assimi Goïta. Dans son communiqué, la Direction de l’information et des relations publiques des armées (DIRPA) a, immédiatement, évoqué une complicité extérieure : « Les opérations clandestines et non coordonnées enregistrées par les FAMa confirment la thèse que les terroristes ont bénéficié d’un appui majeur et d’une expertise extérieure », a déclaré la DIRPA faisant allusion à la France.
D’autre part, la question est de savoir si les manœuvres de déstabilisation contre le Mali portées à l’attention du Conseil de sécurité, vont se poursuivre alors que Barkhane a pris ses quartiers au Niger dont le président, Mohamed Bazoum, n’a jamais caché qu’il détestait, sérieusement, les colonels du Mali. Cela dit, il faut préciser que, de manière générale, l’armée nigérienne (en elle-même) entretient une forme de sympathie à l’endroit de sa consoeur du Mali. Pas son président. C’est pourquoi certains observateurs ont souvent pensé que le président Bazoum, gros et (unique) soutien de Paris dans le Sahel et pourfendeur des colonels de Bamako, était sur un siège éjectable. Et qu’il devait savoir retenir sa langue pour ne pas compliquer son cas personnel qui n’est pas simple.
Cerise sur le gâteau : la société civile du Niger voulait manifester, pacifiquement, ce mercredi, 17 août, à Niamey, contre l’installation de Barkhane au Niger. La manifestation a été interdite par le maire de Niamey pour trouble à l’ordre public. Le Niger étant une démocratie où l’alternance à la tête de l’Etat n’est pas une fiction, on verra si cet argument sera asséné, à nouveau, prochainement, à la même société civile quand elle demandera une nouvelle autorisation de manifester contre cette présence de Barkhane. On a l’impression que les affaires se compliquent petit à petit pour Bazoum.