Pierre Landu est un prêtre noir formé à Rome. Après quelques années de ministère au milieu des siens, il découvre qu’il est prêtre d’une religion étrangère et qu’autour de lui, Dieu n’est souvent qu’un moyen de domination et d’exploitation.
A son supérieur blanc, le P. Howard, il fait alors part de son projet de quitter la paroisse pour participer avec les maquisards congolais à l’implantation de la justice. A ses yeux, un tel engagement lui permettrait de vivre davantage en prêtre de Jésus-Christ, de ne plus composer avec un passé compromettant pour le Christ et que malheureusement, nombre des membres de son église incarnent encore dans son pays, bref, de vivre sans séparer la théorie de la pratique. Pour le P. Howard, aller au maquis serait trahir le Christ. Réponse de Pierre Landu : « N’est-ce pas plutôt l’Occident que je trahis ? N’ai-je pas le droit de me dissocier de ce christianisme qui a trahi l’évangile ?
Landu se sentait de moins en moins à l’aise dans ce christianisme, qui fermait les yeux sur les exactions du pouvoir colonial.
Au maquis, Landu passa sa première nuit dans un dortoir mixte. Antoinette, sa voisine, lui demanda pourquoi il était là. Landu lui donna cette réponse : « On combat ici pour un monde meilleur. Une révolution. Un chrétien devrait être en état permanent de révolution. Je veux simplement être un chrétien… En restant dans les structures de l’église, je trahis. Et puis, comment vivre en paix sans être de ceux qui veulent, en vérité, en acte, faire triompher la justice ? Je me réclame du Christ. C’était un révolutionnaire. Pour les bien-pensants. C’est pour cela qu’ils l »ont pendu. »
Antoinette reprit la parole : « Je crois en Dieu mais le catholicisme, c’est une religion de Blancs. En quoi serait-elle plus vraie que celle de mes ancêtres ? Pourquoi moi, je l’accepterais ? Catholique, universelle, tout ce qu’on veut, le problème demeure : le catholicisme est une religion marquée par l’Occident. Jusque dans la compréhension du message. Porté, soutenu par des structures européennes, il n’est guère possible de l’aimer sans s’inscrire dans l’histoire d’un monde. »
Peut-on être fidèle à la fois à un peuple, qui souffre et à un système qui n’a pas le courage de condamner clairement les crimes de l’Europe contre ce peuple ? En s’accrochant à ce système ou en s’y éternisant, le prêtre ou le religieux africain ne trahit-il pas, à la fois, l’Afrique et le Christ dont le message de justice, de liberté et de vérité dérangeait l’establishment politico-religieux de son temps ? Voilà une des questions que soulève Valentin-Yves Mudimbe dans « Entre les eaux » (Paris, Présence Africaine, 1973).
Jean Claude Djereke
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).