La Côte d’Ivoire commémore, aujourd’hui, le 63e anniversaire de son “indépendance”. Je mets le mot “indépendance“ entre griffes parce que nous ne sommes pas encore indépendants, parce que, depuis le 7 août 1960, notre pays utilise le F CFA qui est une monnaie fabriquée en France et parce qu’il héberge une base militaire française, parce que notre économie est contrôlée par des étrangers, parce que nos matières premières profitent, d’abord, à la France, parce que ce pays fait sur la terre de nos ancêtres ce que bon lui semble : détruire des avions militaires, massacrer 64 jeunes ivoiriens en 2004, bombarder une résidence présidentielle, sortir un président, démocratiquement, élu et installer, en 2011, un homme qui lui permette de piller le pays, etc.
Pourrons-nous accéder à la vraie indépendance ? Oui, car il n’est écrit nulle part que nous sommes condamnés à être occupés et exploités par la France, ni que pratiquer l’hospitalité signifie devenir progressivement étranger dans son propre pays (sur notre photo Félix Houphouët-Boigny avec le général Charles de Gaulle : relations quasi-incestueuses dont la rupture s’avère nécessaire de nos jours).
D’autres pays ont-ils renversé la vapeur ? Oui. Il s’agit de la Corée du Sud, de Singapour, de Hong Kong, de Taïwan et du Vietnam. Ces pays ont démontré qu’un peuple peut changer le cours de son destin et passer “de la médiocrité à l’excellence” (Ebénézer Njoh-Mouellé).
Ces pays, qui n’étaient pas mieux lotis que nous en 1960, nous enseignent que “l’important n’est pas ce qu’on a fait de moi, mais, ce que je fais moi-même de ce qu’on a fait de moi” (Jean-Paul Sartre).
En prenant la Bastille en 1789, les révolutionnaires français ne risquaient pas leurs vies pour un gain personnel, mais, pour que leurs enfants et petits-enfants puissent travailler et vivre dans un meilleur environnement. Chez nous, si des injustices et des dictatures inacceptables perdurent, c’est parce qu’il nous manque la capacité de nous sacrifier pour le groupe et pour ceux qui viendront après nous. On veut participer à telle ou telle action (manifestation, grève, boycott, etc.) à condition que cette action nous profite personnellement et immédiatement. Nous avons du mal à voir plus loin que notre ventre et bas-ventre. Mais il y a aussi la peur de la mort. Or, où la mort ne frappe-t-elle pas ? Elle peut nous prendre au champ, dans le lit, dans la douche, devant la télévision, sur un terrain de football ou de basketball, etc. La grande faucheuse ne s’abat pas uniquement sur ceux et celles qui se lèvent et luttent contre tout ce qui bafoue la dignité humaine.
Pour arracher la vraie indépendance, il importe, avant tout, de comprendre que “celui qui ne risque rien, n’a rien”, que ce n’est pas le combat d’une ou de deux personnes, mais, l’engagement et le sacrifice de chaque Ivoirien.
Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).