La junte militaire est en train de mener deux guerres de grande intensité. Si celle contre la CEDEAO est en passe d’être gagnée grâce à l’appui du peuple nigérien et des Africains qui, échaudés par la destruction gratuite de la Libye, refusent toute intervention militaire au Niger, l’autre guerre, plus en sourdine, est menée par la France dont l’exclusion annoncée de ses 1.500 soldats, comme il y a deux ans au Mali, est analysée, à Paris, comme une véritable catastrophe nationale. Pourtant, à écouter le CNSP (Conseil national pour la sauvegarde de la patrie), il n’y a rien à faire et pas question de revenir en arrière sur l’annulation des 5 accords de coopération militaire signés entre le Niger et la France. Pire, la junte a annoncé par le biais de son porte-parole que le compte à rebours de cette décision prise le 3 août, pour un délai de 30 jours, avait d’ores et déjà commencé.
Dans le communiqué portant le numéro 26, lu jeudi, 10 août, en milieu de journée à la télévision publique par son porte-parole, le CNSP a tenu à porter à la connaissance de l’opinion publique nationale et internationale qu’en « dépit du communiqué n° 25 en date de 9 août 2023 dans lequel le Conseil dénonçait les manœuvres illégales, suspectes et dangereuses des forces françaises consistant à couper sciemment tout moyen de contact pour échapper aux services nigériens de surveillance et de contrôle lors du survol de notre territoire durant des heures », les mêmes forces françaises ont récidivé. C’est ainsi que selon le colonel-major, Abdramane Adamou, mercredi, 9 août 2023, à 22h30, un avion militaire de type A401 a cherché à atterrir à Arlit sans plan de vol préétabli en coupant, une fois encore, tous les moyens de communication et de suivi, ce qui a entraîné une nouvelle condamnation de la junte : « Le CNSP, le gouvernement de transition et les Forces de défense et de sécurité fustigent ce manque de transparence et cette duplicité qui consistent à détourner une demande d’autorisation de survol accordée par les autorités nigériennes pour poser des actes attentatoires à la sécurité de notre pays », a déclaré le colonel-major, Abdramane Adamou, avant de dénoncer « la répétition de ces actes et la persistance de ce comportement inacceptable (qui) prouvent à suffisance que les forces françaises ne respectent aucune règle et qu’elles ont plutôt un agenda caché ».
Pour le porte-parole du CNSP, « les Forces de défense et de sécurité et le peuple nigérien sont mobilisés et déterminés à faire échec à toute entreprise de déstabilisation », et de conclure que « l’Etat du Niger a dénoncé, dans le communiqué n°19 du 3 août 2023, tous les accords de défense et de sécurité signés entre notre pays et la France (et) que depuis cette date, les délais accordés aux armées françaises pour quitter le territoire nigérien conformément à ces accords sont en train de courir ».
C’est dans ce contexte très conflictuel entre les nouvelles autorités nigériennes et la France que certaines voix commencent à s’élever pour craindre un prochain (possible) assassinat du président déchu, Mohamed Bazoum, par des forces hostiles extérieures. Cet assassinat serait attribué au CNSP avec pour objectif, de faire basculer l’opinion publique contre le CNSP et permettre le déclenchement d’une opération militaire pour chasser la junte du pouvoir. C’est, par exemple, le signal d’alarme que lance l’ancienne ministre de la Femme du Burkina Faso (sous Blaise Compaoré), Dr Nestorine Sangare : « Protégez Bazoum !!! Ils vont le tuer et accuser les militaires. Il en sait trop sur les actions terroristes de la France au Sahel. Ce n’est pas pour rétablir l’ordre constitutionnel. Ce n’est pas pour libérer Bazoum. Au contraire, ils vont créer le chaos et tuer Bazoum car il en sait trop sur leurs actions. Protégez Bazoum car il est une mine d’information pour la lutte contre le terrorisme au Sahel. Ils n’ont pas fait de guerre pour rétablir Alpha Condé en Guinée, Ibrahim Boubacar Keita au Mali ou Roch Marc Christian Kaboré au Burkina Faso. Ils le font pour Bazoum parce qu’il est dangereux de le laisser aux mains des autorités militaires putschistes qui veulent lutter contre le terrorisme » (fin de citation).
Cette annonce de l’ancienne ministre de Blaise Compaoré qui s’y connaît dans leurs méthodes (Blaise Compaoré aujourd’hui en exil à Abidjan ayant été l’homme de la France dans la sous-région), fait froid au dos et devrait contraindre le CNSP à tripler, sinon, plus, les barrières de sécurité autour de Mohamed Bazoum. Car le temps joue clairement contre les interventionnistes comme le Sénégalais, Macky Sall, et l’Ivoirien, Alassane Ouattara, qui a annoncé, samedi, 12 août, à Abidjan, que le 5e Pont Alassane Ouattara qu’il était en train d’inaugurer, lui valait « plusieurs autres mandats à la tête de la Côte d’Ivoire ».
En effet, la négociation imposée à la CEDEAO par la majorité de ses membres, mais aussi, l’Union africaine, les Etats-Unis, l’Allemagne et l’Italie, commence à se mettre en place. Pour être partie prenante dans ces futures négociations qui semblent connaître un début de concrétisation, très bientôt, les Etats-Unis viennent via le Congrès, de valider le 27 juillet, soit le lendemain du putsch, la désignation de Kathleen FitzGibbon, actuelle numéro 2 de l’ambassade des Etats-Unis au Nigeria, comme ambassadrice de Oncle Sam au Niger où ce poste était vacant depuis un an et demi. Une stratégie qui est à des années lumière de celle de la France qui, avec ses alliés sous-régionaux, notamment, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, et le Bénin, fait tout pour abattre la rébellion à travers une sanglante et destructrice intervention militaire qui ferait du Niger une deuxième Libye, ce qui ne lui dit absolument rien.
Les chefs religieux du Nigeria ont été reçus par le premier ministre civil fraîchement nommé, Ali Mahaman Lamine Zeine, puis, par le chef de la junte, le général, Abdramane Tchiani, samedi, 12 août, à Niamey. Cette mission qui a réussi à rencontrer les deux têtes de l’exécutif, n’est pas vue d’un bon œil par le camp des interventionnistes d’autant plus qu’elle a été envoyée avec l’accord du président du Nigeria et président en exercice de la CEDEAO, Bola Tinubu. Dirigée par le sheikh, Bala Lau, le chef d’Izala, un mouvement islamique d’inspiration salafiste du Nigeria, elle a pour but « d’apaiser les tensions créées par la perspective d’une intervention militaire de la CEDEAO ». Qui finalement n’aura plus lieu.
Cette perspective d’une intervention militaire est, également, condamnée par le parlement de la CEDEAO qui demande de mettre l’accent sur la diplomatie et la négociation.
De son côté, l’Union africaine, prône, aussi, la négociation et, ayant le précédent libyen à l’esprit où le président, Nicolas Sarkozy, avait refusé de dialoguer avec l’Union africaine sur le cas Kadhafi, ne veut surtout pas entendre parler d’un recours à la force et encore moins d’une intervention militaire. Pour Evariste Ndayishimiye, « l’usage de la force » doit être « le dernier recours », a rapporté Rosine Guilène Gatoni, le porte-parole du président burundais.
Vice-président de l’Union Africaine (UA) et président de la Commission Paix et Sécurité de l’organisation continentale pour le mois d’août, le président du Burundi, Evariste Ndayishimiye, « a recommandé que le dialogue soit privilégié » pour une sortie de crise. Il est rentré, vendredi, 11 août, d’une mission effectuée au Nigeria où il a pris part au Sommet extraordinaire de la CEDEAO.
Cela dit, le CNSP, dans la nuit de dimanche à lundi, 14 août, a annoncé vouloir « poursuivre » Mohamed Bazoum pour des faits « de haute trahison » et d’ «atteinte à la sûreté de l’Etat ». Selon certaines indiscrétions, le téléphone de l’ancien président aurait été écouté, pendant plusieurs jours, par les services de l’intelligence du Niger, avant d’aboutir à cette conclusion fracassante. Bazoum serait poursuivi en même temps que d’autres Nigériens et personnalités étrangères dont l’identité n’est pas encore révélée.