Le Grand Dialogue tant attendu débutera le 2 avril pour un mois. Au moins car les sujets étant nombreux, divers et variés, une prolongation est possible. Présidé par l’archevêque de Libreville, Mgr Jean Patrick Iba-Ba, il est supposé être un lieu d’écoute, de dialogue et de concertation dont l’objectif est d’aboutir à l’élaboration d’un projet commun, œuvre d’un consensus qui a volé en éclats le 30 août 2023, avec l’arrivée par un coup d’état des militaires au pouvoir. Si ce coup de force a été salué, il a, profondément, divisé les Gabonais. Le Grand Dialogue est supposé recoller les morceaux. Mais le choix de ceux qui y participeront fait vraiment problème. Du coup, on se demande si ce dialogue n’a pas raté son objectif avant même d’avoir été ouvert ?
Personne au Gabon ne nie l’utilité d’un Dialogue intergabonais. Le problème est dans la manière de l’organiser. Avec qui et comment ? Le général-président, Brice Oligui Nguema, qui a eu cette idée salutaire est en train de s’emmêler les pédales. Sinon comment peut-il convoquer un dialogue aussi stratégique en évitant ceux qui ont beaucoup de choses à dire aux Gabonais ? Quelques exemples en vrac pour montrer l’arbitraire dans le choix des participants : Albert Ondo Ossa n’y sera pas alors qu’en tant que vainqueur (paraît-il) de l’élection présidentielle d’août 2023, il a un tas de choses à dire aux Gabonais. Autre incongruité ? Comment peut-on afflubler le PDG, l’ancien parti au pouvoir, de tous les maux d’Israël et au moment solennel où il aurait pu s’expliquer devant le Gabon profond, on lui impose comme unique participante, sa secrétaire générale ? De qui les militaires se moquent-ils à moins d’avoir en si peu de temps pris les « bonnes » habitudes qu’on reprochait hier aux Pdgistes ? En outre, un dialogue sans la participation des représentants de partis politiques reconnus, est-il sérieux alors que les politicards comme Pierre-Claver Maganga Moussavou ont été mis à la touche ? De qui a-t-on peur ? Aurait-on, d’avance, tout verrouillé, ce qui explique qu’on n’ait pas besoin de gueulards expérimentés dans les commissions où ils pourraient faire bouger les lignes ?
Cela dit, il faut reconnaître quand c’est bien fait : un bon point au général-président de s’être souvenu que Jean Ping a une longue expérience d’homme d’Etat, de diplomate hors pair et de candidat décidé vaincu par la Cour constitutionnelle en 2016 sans que cela n’ait convaincu les Gabonais ? Ces faits d’arme lui ont, finalement, valu une tardive invitation qu’il a acceptée sans rancune. Mais à elle seule, l’hirondelle ne fait pas le printemps. Le Gabon a besoin d’un Grand Dialogue « inclusif » et non d’une affaire entre copains où sur les 580 participants choisis par le général-président, lui-même, on compte jusqu’à 300 militaires et assimilés. Cela frise la comédie ! Il y est allé très fort Oligui sans se soucier des qu’en dira-t-on. Il montre, clairement, que le régime qu’il préside est vraiment militaire : l’ordre et la discipline et rien d’autre.
Cela dit, il faut être réaliste et ne pas être trop sévère à l’endroit du président gabonais de transition. Car dans les autres pays africains où il y a eu coup d’état, qui compte réellement abandonner le pouvoir ? Personne ! Plus proche du Gabon, le Tchad dont le président, Mahamat Déby Itno, après avoir juré de ne conduire que la transition, va organiser un semblant de scrutin, dans quelques semaines, où il obtiendra un plébiscite alors que le Tchad vit perché sur une bombe prête à exploser à tout moment. Les rebelles qui ont tué Déby Père n’ont guère disparu du paysage politico-militaire tchadien.
En Afrique de l’Ouest, Mamadi Doumbouya vient de proroger à fin 2025 au mieux des cas sa présence à la tête de l’Etat. Et si, après la fin de cette transition, il décidait de troquer sa tenue militaire contre un costume de ville avant de se faire élire démocratiquement, les Guinéens auraient-ils la capacité de changer le cours des choses ? Très peu probable !
Toujours en Afrique de l’Ouest, il y a le trio de l’Alliance des Etats du Sahel qui compte le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Ici, on a, carrément, quitté la CEDEAO et on ne reçoit les conseils de personne (sauf peut-être ceux de Poutine). Les trois bien-aimés des populations de l’Afrique de l’Ouest attendent de trouver moyen de s’installer, durablement, dans le fauteuil présidentiel du pays pour lequel ils travaillent activement actuellement.
La vie est ainsi faite. Oligui étant de la même race que ses autres homologues putschistes, pourquoi ne serait-il pas tenté d’allonger sa transition ou de transformer tout simplement son essai, l’appétit venant en mangeant ?