Mgr Ignace Bessi Dogbo, archevêque de Korhogo depuis 2021, a été transféré à Abidjan aujourd’hui. Voici ma réaction à ce transfert peu catholique.
Dans l’évangile d’hier, lu dans toutes les églises catholiques, Jésus parlait de l’Esprit de vérité qui conduirait les apôtres vers la vérité tout entière. Dans un autre passage, Jn 17, 17, il demandait à son Père de consacrer Pierre et ses compagnons par la vérité.
L’Esprit, qui est descendu sur les apôtres 50 jours après Pâques, c’est le même Esprit que reçoit tout chrétien le jour de son baptême. Cet Esprit de vérité devrait pousser le chrétien à chérir la vérité et à la dire à temps et à contretemps comme Pierre à Jérusalem devant les gens venus de partout et parlant différentes langues (Actes 2, 9-10).
De quoi Pierre témoigna-t-il, ce jour-là Quel message délivra-t-il ? “Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous aviez crucifié. Ce Jésus, Dieu l’a relevé des morts, nous en sommes tous témoins.” (Ac 2, 32).
Il fallait un certain courage à Pierre pour dire crûment une telle vérité. Lui, qui avait fait preuve de lâcheté et de pusillanimité au moment où Jésus était humilié et torturé, n’avait plus peur, ne tremblait plus. Pourquoi ? Parce qu’il était habité par l’Esprit Saint reçu le jour de la Pentecôte.
Quand on a reçu le Saint-Esprit, on n’a pas peur de proclamer la vérité, on ne triche pas avec la vérité, on ne sacrifie pas la vérité pour préserver tel intérêt ou tel avantage matériel, on ne caresse pas les gens dans le sens du poil, on ne souscrit pas facilement à l’adage selon lequel “toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire”.
L’église catholique n’a pas toujours eu le courage de Pierre pour dire la vérité et prendre la défense des pauvres et des petits. Habitée par l’Esprit Saint, elle aurait dû dénoncer fermement l’esclavage, la colonisation, l’impérialisme qui a conduit l’Occident à envahir et à agresser les peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine pour voler leurs richesses.
Les chrétiens ont à témoigner d’un homme qui a dit aux gens qui le suivaient qu’il est la vérité, un homme qui a dit à Pilate qu’il est venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité.
C’est donc au nom de l’Esprit de vérité reçu lors de mon baptême que je voudrais réagir au transfert de Mgr Ignace Bessi Dogbo de Korhogo à Abidjan (sur notre photo Mgr Ignace Bessi Dogbo avec le président, Alassane Ouattara, montre que la succession de Mgr Kutwa à Abidjan sera politique). Ce n’est ni la rancune ni l’aigreur ni la frustration, qui me poussent à prendre la parole comme aiment le dire péremptoirement ceux qui manquent d’arguments, de profondeur et de courage. Je parle uniquement pour ne pas être complice de l’injustice, du faux et du tribalisme rampant qui n’a rien à voir avec la catholicité de l’église.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à dire que Mgr Ignace Bessi faisait partie, en 1979-1980 au Moyen Séminaire de Yopougon-Kouté, des aînés que j’admirais et appréciais pour ses qualités morales, intellectuelles et humaines. Grosso modo, je le trouvais accessible, détaché du matériel et sincèrement spirituel. Devenu prêtre, il ne changea pas de comportement selon les témoignages qui m’étaient rapportés à son sujet. Par conséquent, je ne fus pas surpris quand il fut nommé évêque de Katiola, puis, archevêque de Korhogo quelques années plus tard. Certes, je suis en désaccord avec lui quand il tente de justifier la pratique de la dîme dans l’église catholique ou quand il pense que tous les prêtres envoyés aux études en Europe s’y éternisent à cause de l’argent mais j’ai une sincère estime pour Ignace.
En un mot, je suis, non pas contre sa personne, mais, contre son transfert de Korhogo à Abidjan. Pourquoi ?
Primo, parce qu’il est à Korhogo depuis 2021, ce qui veut dire qu’il a commencé à peine à montrer aux laïcs et prêtres de cet archidiocèse ce dont il est capable.
Secundo, pour la succession de Kutwã, la prospection aurait dû débuter à l’intérieur de l’archidiocèse d’Abidjan. Dans ce cas là, Alexis Touabli Youlo, Raymond Ahoua ou Salomon Lézoutié pouvaient trouver grâce aux yeux du Vatican. Ces trois évêques ont des statuts canoniques et des états de service pastoraux au sein de l’archidiocèse d’Abidjan qui parlent suffisamment pour eux. Ils ne sont pas moins compétents ni moins vertueux que Bessi.
En outre, de nombreux laïcs et prêtres ivoiriens estiment que Mgr Alexis Touabli avait le meilleur profil pour cette fonction pour avoir été président de la Conférence épiscopale de Côte d’Ivoire avant Mgr Bessi, administrateur du diocèse de Yamoussoukro en plus de son siège canonique d’Agboville et parce qu’il préside, depuis quelques années, la Conférence unifiée, francophone et anglophone des évêques d’Afrique de l’Ouest. Pour administrer l’archidiocèse de Gagnoa, on n’est pas allé hors de la province ecclésiastique. C’est l’évêque de San Pedro, Mgr Jean-Jacques Koffi Oi Koffi, qu’on a choisi. Pourquoi deux poids, deux mesures ?
Tertio, parce qu’on pouvait nommer un prêtre du clergé de Katiola, Odienné, Bondoukou, Man, Gagnoa, Abengourou, Bouaké, San Pedro ou Daloa archevêque d’Abidjan. Ce ne serait pas une première car Jean-Pierre Kutwã n’était ni évêque ni archevêque quand il fut nommé à Gagnoa. Si mes souvenirs sont bons, il était curé de Notre Dame du perpétuel secours de Treichville.
La décision de placer Ignace Bessi à la tête de l’archidiocèse d’Abidjan risque d’être mal accueillie, mal vue et mal vécue par un bon nombre de laïcs et de prêtres en Côte d’Ivoire. Au sein de l’UFRACI et au niveau de la Conférence des évêques, une telle décision pourrait être source de grande division malgré les devoirs d’obéissance et de réserve auxquels sont astreints les membres du clergé.
Elle n’échapperait pas à l’interprétation de la succession ethnique (un Ebrié succède à un autre Ebrié) à la tête de l’archidiocèse d’Abidjan qui donne l’impression d’être la chasse gardée du clergé originaire d’Abidjan et de ses environs. Je rappelle que Mgr Bessi est de Niangon Adjamé, pas loin d’Abidjan. Après Mgr Jean-Baptiste Boivin, seuls des fils de l’archidiocèse d’Abidjan ont dirigé ce diocèse alors que, à Man, par exemple, on a eu tour à tour, Agré, Téky (Abidjan) et Gnéba Béby (Gagnoa). Or, on nous dit que l’église est catholique ou universelle, c’est-à-dire, qu’un prêtre de Man peut être archevêque d’Abidjan comme Bernard Agré et Joseph Téky furent évêques à Man et Jean-Pierre Kutwã et Joseph Aké à Gagnoa.
On a le sentiment que, tout en donnant des évêques aux autres diocèses, l’archidiocèse d’Abidjan refuse que des évêques d’ailleurs viennent travailler chez lui. Je ne crois pas que cette façon de faire soit évangélique.
Qui peut écouter et prendre au sérieux un prêtre ou un évêque qui se permet de fustiger le tribalisme de certains politiciens africains alors que lui-même s’en accommode ou le pratique sans complexe ni remords ? Qui peut suivre des clercs qui ne sont ni cohérents ni justes ?
L’église catholique en Côte d’Ivoire, qui traverse depuis un certain temps, des temps brumeux et turbulents avec l’affaire en cours dans le diocèse de Man après celle de Gagnoa, n’a pas besoin de cristalliser de nouvelles tensions.
Pour conclure, on ne devrait empêcher personne de donner son avis sur cette nomination qui, de mon point de vue, pue le tribalisme et l’injustice, on devrait se garder d’intimider ou de faire taire les gens car l’Esprit que nous avons reçu au baptême n’est pas un Esprit de peur mais un Esprit de liberté et de vérité.
Jean-Claude Djéréké
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).