BURKINA FASO : Ibrahim Traoré le nouveau Sankara est-il arrivé ?

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Le capitaine, Thomas Sankara, qui parlait avec passion et conviction est-il ressuscité ? Cette question, nombre d’Africains ne manqueront pas de se la poser après avoir  écouté le brillant discours prononcé le 6 juillet 2024 par le capitaine, Ibrahim Traoré, au premier Sommet des chefs d’Etat de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) organisé à Niamey (Niger).

Quoique tout le discours du président burkinabè mérite d’être commenté, je voudrais insister particulièrement sur trois points.

Le président du Faso a commencé par s’en prendre – à juste titre d’ailleurs – à la France sans la citer nommément. Selon lui, si les Français ont toujours soutenu que le Mali, le Burkina et le Niger étaient des pays pauvres, qui ne leur rapportaient rien, pourquoi refusaient-ils de s’exécuter quand ces pays “pauvres” leur demandèrent de quitter leurs territoires ?

Mon analyse est que ce refus de partir signifie premièrement que dire que ces trois pays étaient les plus pauvres de la terre n’était qu’un vrai mensonge. Un mensonge qui fut servi aux Camerounais du temps d’Ahmadou Ahidjo lorsque la France racontait qu’il n’y avait pas une goutte de pétrole dans leur sous-sol alors qu’elle exploitait l’or noir camerounais depuis plusieurs années déjà. C’est Simon Mpondo, qui dévoilera ce secret bien gardé par Ahidjo et ceux qui l’avaient mis au pouvoir, ce qui vaudra à Mpondo d’être sauvagement assassiné en même temps que son épouse américaine, Shannon Johnson, et ses deux enfants (Nicholas, 3 ans, et Marc-Anthony, quelques mois), à Bonaberi, dans la nuit du 7 au 8 juin 1979.  Certes, Njomzeu, le gardien des Mpondo, et son ami, Oumbe, seront condamnés à mort en 1980, puis, exécutés le 28 août 1987, mais, jusqu’à aujourd’hui, les Camerounais ignorent qui sont les vrais commanditaires  du crime et pourquoi toute une famille fut décimée, cette nuit-là.

Ce refus de quitter des pays soi-disant pauvres signifie, deuxièmement, que c’est plutôt la France, qui a toujours vécu aux crochets de l’Afrique et que, sans les ressources naturelles du continent, elle ne pèse rien sur la scène internationale.

Ibrahim Traoré a, ensuite, fustigé les “esclaves de salon” qui rêvent de vivre comme le maître, qui sont sans morale ni dignité ni personnalité, qui sont prêts à trahir leurs frères pour satisfaire leur maître, qui aident ce dernier à piller l’Afrique. A mon avis, c’est la partie la plus intéressante de son adresse. On peut penser ici à Patrice Lumumba, digne et courageux leader panafricaniste mais trahi et livré aux sécessionnistes katangais par Joseph-Désiré Mobutu au Congo-Léopoldville, à Thomas Isidore Sankara à qui la vie fut prématurément ôtée le 15 octobre 1987 par Blaise Compaoré que Sankara lui-même prenait pour son frère et ami. On sait comment et où ces deux traîtres ont terminé leur vie. Mobutu mourut et fut enterré au Maroc après avoir été chassé du pouvoir par Laurent-Désiré Kabila. Quant à Compaoré, il aurait probablement subi le même sort que Samuel Doe si François Hollande ne l’avait pas aidé à fuir en Côte d’Ivoire. Car c’est le destin des traîtres d’être punis sévèrement avant d’atterrir dans les poubelles de l’Histoire.

Le numéro un burkinabè n’a pas hésité à qualifier les indépendances octroyées en 1960 à plusieurs pays africains de “simulacres d’indépendance”. Il a ajouté que lui et ses pairs de l’AES allaient se battre pour l’indépendance réelle.

Enfin, Ibrahim Traoré a ironisé sur les trois mots dont la France aime se gargariser: liberté, démocratie et droits de l’homme. Pour Traoré, ces mots sonnent désormais faux car ils ont été vidés de leur sens par ceux-là mêmes qui voient d’un mauvais œil les Africains en lutte pour la liberté et la justice, qui avalisent les troisièmes mandats ici et là, qui se gardent de demander à la Cour pénale internationale de convoquer Dramane Ouattara et ses partisans après que Laurent Gbagbo a été acquitté par la même Cour des charges qui pesaient sur lui.

Je ne serai pas surpris que les médias et politicards français disent du mal de ce discours historique, qu’ils continuent d’appeler putschistes les braves patriotes, qui sont en train de sortir leurs pays de la nuit de la misère et de l’insécurité dans laquelle la France les a plongés, des décennies durant.

Plus rien ne devrait nous étonner chez ces gens, qui affectionnent tant les mots qui polluent ou dégradent quiconque ne réfléchit pas comme eux alors que notre monde a besoin de mots qui soignent.  Ils se revendiquent des grands penseurs grecs mais ils semblent n’avoir jamais eu connaissance de la remarque de Platon : “La perversion de la cité commence par la fraude des mots.”

Jean-Claude Djéréké

est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)

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