Mgr Ignace Bessi, qui, bientôt, prendra possession de l’archidiocèse d’Abidjan, a accordé, le 15 juillet 2024, une interview à “Ecclesia TV”. J’ai pris le temps d’écouter et de réécouter ses réponses aux deux dames qui l’interrogeaient.
Deux points ont particulièrement retenu mon attention dans cette conversation à bâtons rompus.
Premièrement, le futur archevêque d’Abidjan a promis qu’il consacrerait son temps et son énergie à chercher l’argent. Cette affirmation me mit d’abord mal à l’aise car je m’attendais à ce que Mgr Bessi nous dise plutôt ce qu’il comptait faire pour que les clercs et fidèles de l’archidiocèse soient davantage “sel de la terre et lumière du monde” (Matthieu 5,13-16). Je dus m’efforcer de l’écouter jusqu’au bout pour saisir pourquoi il priorisait la recherche de l’argent. Je compris alors que, l’archidiocèse d’Abidjan étant financièrement le mieux loti, l’argent récolté par ce diocèse profiterait désormais aussi aux diocèses de l’intérieur où la quête dominicale donne parfois dans les paroisses 400 F CFA, ce qui fait 1.600 F CFA par mois. Qui peut se nourrir, se soigner, réparer son véhicule (s’il a la chance d’en posséder un) avec une telle somme ? Pour l’ancien évêque de Katiola, partager avec ses consœurs sera pour l’église d’Abidjan une manière concrète de vivre la communion et la solidarité dans une église qui se veut famille de Dieu. Je ne puis que le féliciter pour cette vision qui était celle des communautés chrétiennes du premier siècle où “nul ne considérait comme sa propriété l’un quelconque de ses biens et où nul n’était indigent parmi ceux qui étaient devenus croyants” (Ac 4, 32-35).
Le second point, celui qui m’a le plus intéressé dans cette interview, a trait à l’élection présidentielle qui aura lieu dans notre pays en octobre 2025. Lorsqu’on demanda son opinion là-dessus, Mgr Bessi répondit que l’élection n’était pas la guerre. Cette réponse, je la trouvai incomplète car j’aurais aimé que le prélat dise aussi pourquoi, dans certains pays africains, les élections conduisaient à des violences, voire, à des massacres. Ces destructions de biens et de vies humaines, la Côte d’Ivoire peut les connaître à nouveau si Monsieur Dramane Ouattara brigue un quatrième mandat, s’il ne permet pas à tous les partis politiques de se retrouver pour parvenir à un consensus sur le découpage électoral, la composition de la commission électorale et les listes électorales.
C’est pourquoi je propose que le nouvel archevêque d’Abidjan et les autres évêques catholiques interpellent maintenant le président du RHDP en lui demandant de ne pas violer la Constitution une seconde fois et de discuter avec l’opposition. Ils ne doivent pas être des médecins après la mort. Rien n’est plus irresponsable que de se taire aujourd’hui et d’appeler les gens à prier pour la paix quand tout est “gâté”.
Ce faisant, ils ne sortiraient pas de leur rôle ni ne seraient les premiers en Afrique à agir de la sorte. En effet, les évêques du Burkina Faso réunis à Fada-Ngourma en février 2010 s’étaient fermement et clairement opposés à la modification de l’article 37 de la Constitution, modification qui aurait permis à Blaise Compaoré de s’éterniser au pouvoir. Le 2 janvier 2018, réagissant à la volonté de Joseph Kabila de rempiler après deux mandats à la tête du pays, le cardinal, Laurent Monsengwo, déclara :”Il est temps que les médiocres dégagent et que règnent la paix et la justice en RDC”. En mars 2024, la conférence épiscopale du Togo déplorait la précipitation avec laquelle Faure Gnassingbé fit passer le pays du régime présidentiel au régime parlementaire. Une telle modification de la Constitution, selon les évêques togolais, devait être précédée par un débat national inclusif.
A un évêque qui soutenait que parler en privé aux dirigeants du pays était plus productif et plus efficace que le faire publiquement, je répondis que rien dans les écritures n’interdisait de prendre la communauté nationale et internationale à témoin puisque Yahvé affirme n’avoir pas parlé en secret dans un lieu ténébreux (Isaïe 45,19) et que Jésus fit comprendre au grand prêtre qu’il avait parlé ouvertement à tout le monde et qu’il n’avait rien dit en secret (Jn 18,19-20).
Mais parler clairement et ouvertement à ceux qui en violant la constitution risquent d’embraser le pays ne devrait pas être uniquement l’affaire des évêques catholiques. C’est tout le monde qui devrait se sentir concerné par le scrutin de 2025 : enseignants, médecins, artistes, artisans, étudiants, partis politiques, syndicats. C’est maintenant que tous doivent se lever et se dresser contre certains apprentis-sorciers qui, en voulant confisquer le pouvoir, mettent en danger l’existence même du pays.
Jean-Claude Djéréké
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)