CAMEROUN : Décès d’une journaliste inclassable : Suzanne Kala Lobè

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C’est hier, jeudi, 1er août, que j’ai appris la mort de Suzanne Kala Lobè. Agée seulement de 71 ans, elle s’en est, définitivement, allée, de suite d’une courte maladie.

J’ai connu Suzanne Kala Lobè comme étant une personne, intellectuellement, séduisante. En juin 1990, à Paris, je venais de publier l’ouvrage « Entreprises publiques, Etat et Crise au Cameroun : Faillite d’un système » aux éditions L’harmattan. Cet ouvrage fit grand bruit au Cameroun, et dans les médias internationaux dont RFI, au point d’entraîner mon interdiction de séjour au pays, pendant six ans. Le contenu de cet ouvrage que certains universitaires du régime trouvaient radical et non fondé, partait d’une thèse de doctorat sur « Les entreprises publiques au Cameroun » soutenue dans l’une des meilleures universités européennes, l’Université de Paris-9 Dauphine, en décembre 1988. Sur le plan scientifique, la thèse était très peu critiquable. Convertie en ouvrage, à la demande de mes maîtres et même du ministère français de la Coopération qui voulut l’éditer avant de se raviser après avoir craint la furie du pouvoir camerounais, elle fut préfacée par mon directeur de thèse, le professeur, Michel Durupty, qui était, également, consultant pour le secteur public auprès de la Banque mondiale, à Washington. Il fut, aussi, lors des nationalisations de la Gauche arrivée au pouvoir en 1981, l’un des consultants de la restructuration du secteur public français.

Le livre étant d’un intérêt certain au moment où le Cameroun engageait une grande opération de réhabilitation de son secteur public, j’étais sollicité, ici et là, en France, pour donner des conférences sur le secteur public camerounais. C’est ainsi que je fus invité à faire un exposé sur cette question à la Librairie Présence Africaine à Paris, un samedi après-midi du mois d’août 1990. Mon livre fut édité par les éditions L’Harmattan mais c’est La Librairie Présence Africaine (située juste en face de la Librairie L’Harmattan rue des Ecoles à Paris), qui organisa la rencontre. Comme son nom ne l’indique pas, Christiane Diop, Camerounaise d’origine, en était la patronne à cette époque. A cause de son âge avancé, elle a transmis, il y a quelques années, le flambeau à sa fille, ancienne fonctionnaire à l’Unesco.

C’est à l’occasion de cet exposé que je fis la connaissance de Suzanne Kala Lobè. J’en avais entendu parler mais je ne l’avais jamais vue. Elle était venue assister à cet échange. Elle me fut présentée à la fin de la cérémonie. Je gardai d’elle un excellent souvenir car pendant les débats, je sentis que les idées que je défendais étaient proches des siennes. Avec la différence qu’elle était une militante engagée de l’Union des populations du Cameroun (UPC) tandis que moi, je me définissais comme un électron libre.

Je revis Suzanne Kala Lobè, 16 ans plus tard … à Yaoundé. Alors que je regardais l’émission Téléfoot sur la chaîne française, TF1, un dimanche matin, je reçus le coup de fil de Jean Stéphane Biatcha qui me transmettait l’invitation de la première dame du Cameroun, Chantal Biya, pour assister à l’inauguration en février 2006, du CIRCB (Centre international de recherche Chantal Biya) sur le sida et d’autres pandémies. Le ministre de la Santé, Urbain Olanguéna Awono, n’ayant pas pu faire venir les journalistes français pour couvrir l’événement, la première dame demanda si moi, je pouvais venir ?

Pour la petite histoire, je voyageai côte à côte, dans le même avion, avec la première dame du Sénégal, Viviane Wade, qui était, également, invitée par sa sœur du Cameroun. Le magazine, Afrique Education, ayant souvent eu le ton acerbe sur la politique de Me Abdoulaye Wade à la tête du Sénégal, je me gardai de lui dire qui j’étais, pour ne pas lui gâcher son vol.

Le lendemain, la cérémonie de l’inauguration du CIRCB eut lieu. C’était une bonne occasion pour moi de revoir le CHU où j’avais travaillé quatre années durant, avant de m’envoler en France, poursuivre mes études en octobre 1983. Je revis Suzanne Kala Lobè. Beaucoup d’eau avait coulé sous le pont. Le contact, entre nous deux, fut moins enthousiaste comme à Présence Africaine à Paris. Notre très court échange fut cependant poli et très courtois.

J’appris, par la suite, sa nomination comme membre du Conseil national de la Communication (CNC), en 2013, par le président, Paul Biya. Je me félicitai que le Cameroun commence à reconnaître ses enfants qui ont de la valeur. Même ceux qui pensent autrement. Car titulaire d’un doctorat en linguistique et d’un DEA en science-politique, Suzanne Kala Lobè affichait une intelligence allègre. Femme très cultivée, elle faisait partie du comité de lecture des éditions Présence Africaine que dirigeait sa tante, Christiane Diop. Non pas parce qu’elle était sa nièce, mais parce qu’elle était une personne brillante, très à l’aise dans l’expression orale comme dans l’écriture. C’est un don de réunir ces deux atouts. C’est avec plaisir qu’on l’écoutait dérouler sa réflexion, qui était, toujours, logique. A mon avis, elle n’a pas trahi ses convictions. A Paris, elle m’avait été présentée comme étant une fervente militante de l’UPC. Mais l’UPC étant divisée en plusieurs tendances, je n’eus pas l’occasion de lui demander à laquelle elle appartenait. Je sais simplement qu’elle aurait pu faire une bonne ministre de la Communication. Républicaine comme le sont très peu de véritables opposants, de nos jours, elle aurait, rigoureusement, respecté les institutions et ceux qui les incarnent, privilégiant les intérêts supérieurs de la nation et non ceux d’un parti, pas même le sien. Cette indocilité positive aurait aidé à faire avancer certaines causes sans qu’elle puisse renverser la table.

La mort de Suzanne Kala Lobè est prématurée car à 71 ans, elle était encore toute jeune. Son décès a d’ailleurs surpris tout le monde : ses proches parlent de « courte maladie ». Personne ne s’y attendait. Mais, puisqu’il en est ainsi, que le Seigneur Dieu l’accueille dans son royaume, et qu’elle puisse veiller sur ceux qu’elle a laissés et qui lui sont chers.

Professeur Paul TEDGA

Docteur des Facultés françaises de droit et d’économie (1988)

Auteur de sept ouvrages

Fondateur en France de la revue Afrique Education (1993)

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