Il n’y a pas que la situation des trois pays fondateurs de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) qui préoccupe la CEDEAO actuellement. Celle de la Guinée-Bissau, un de ses membres les plus dévoués, est aussi source d’inquiétude puisque le pays est en train de se diriger vers une crise qui ne dit pas son nom. Après avoir longtemps fermé les yeux sur les actes insensés d’Umaro Embalo Cissoko, l’organisation ouest-africaine a enfin décidé de se pencher sur son cas.
On se demande ce qui a bien pu provoquer ce sursaut soudain pour qu’elle annonce l’envoi d’une mission en Guinée-Bissau pour tenter de réconcilier les différents acteurs politiques. Mieux vaut, en tout cas, tard que jamais car cela fait un an que le chef de l’Etat a dissous le parlement sous des motifs fallacieux, et il jouit, depuis peu, des pleins pouvoirs, compte tenu de la paralysie dans laquelle se trouvent la Commission nationale électorale (CNE) et la Cour suprême.
En effet, ces deux institutions, dont le rôle dans le bon fonctionnement de la démocratie est cardinal, font l’objet d’âpres palabres entre la mouvance au pouvoir et l’opposition. Umaro Embalo Cissoko, alias le président-voyageur ou le narco-président (pour ses détracteurs), refusant catégoriquement l’idée de perdre le contrôle absolu sur elles. Le mandat de la CNE a expiré depuis avril 2022, et n’a pu être renouvelé en raison de la première dissolution du parlement le mois suivant.
Pour ce qui est de la Cour suprême, qui sert également de Cour constitutionnelle, le blocage est entièrement le fait du dirigeant bissau-guinéen, qui a poussé le président de la plus haute autorité judiciaire du pays, José Pedro Sambu, à la démission par voie d’intimidations en début novembre. En son absence, et celles de plusieurs autres magistrats suspendus pour des raisons disciplinaires, le quorum de fonctionnement de la Cour est insuffisant.
Tous ces agissements, aussi grossiers qu’anti-démocratiques, ont été passés sous silence par la CEDEAO, renforçant le sentiment auprès des Bissau-Guinéens que leur narco-président peut faire ce qu’il veut en toute impunité, et être ensuite invité à participer à des discussions de haut niveau aux côtés de ses homologues de la sous-région. En réalité, Umaro Embalo Cissoko est en train de progressivement renfiler son treillis militaire, et ne s’arrêtera pas tant qu’il n’y sera pas contraint.
Paul-Patrick Tédga
MSc in Finance (Johns Hopkins University – Washington DC)