Ancien député, ancien ministre de l’Intérieur, ancien président de l’Assemblée nationale, ancien président du Conseil constitutionnel, ancien écrivain et homme de théâtre, ancien chiraquien pur jus, ennemi de l’Afrique et des Africains (contrairement à son frère, le professeur agrégé et chirurgien Bernard Debré), Jean-Louis Debré est mort, cette nuit, à l’âge de 80 ans. Les hommages se succèdent les uns plus élogieux que les autres. Afrique Education ne succombera pas à ce récital de louanges car les Africains n’oublient pas qu’il fut leur bourreau.
Les Français ont imposé la religion chrétienne dans les pays africains qu’ils ont colonisés. Mais, à l’évidence, eux-mêmes ne respectent pas les concepts qu’ils sont venus enseigner (de force) en Afrique. Les prêtres, pasteurs et évangélisateurs français, ont, toujours, dit que le lieu où on peut se réfugier quand on n’a plus où aller, sans être pourchassé ou persécuté, c’est l’église.

Arrivé au pouvoir en mai 1995 après une longue période d’incertitude où son « ami de trente ans », Edouard Balladur, après avoir bénéficié de la passe de Jacques Chirac pour devenir premier ministre de la cohabitation, avait voulu, contre toute attente, y rester pour devenir calife à la place du calife. Mais, Jacques Chirac, au nom de la providence, fut miraculeusement vainqueur de cette élection, le candidat de l’opposition, Lionel Jospin, tardivement, désigné après le désistement de Jacques Delors, ayant été battu avec tous les honneurs. Balladur, lui, fut écarté dès le premier tour. On se souvient qu’au moment où il disait Merci et Au revoir au parti socialiste (Rue de Solférino) après ses 14 années passées au pouvoir, François Mitterrand (qui avait beaucoup scié la branche où Edouard Balladur était assis à Matignon au profit de Jacques Chirac) demanda à ses camarades de se tenir prêts car ils pouvaient, disait-il, revenir aux affaires plus tôt que prévu. Prédictions d’un Sage ! C’est ce qui arriva deux ans, après, quand le premier ministre, Alain Juppé, décida de dissoudre l’Assemblée nationale. La défaite de la droite permit le retour au pouvoir de la gauche dans un gouvernement de cohabitation où le premier ministre fut Lionel Jospin.

Les électeurs français ont de la suite dans les idées. Pendant les deux ans (1995-1997) du duo Chirac-Juppé, Jean-Louis Débré, le fidèle parmi les plus fidèles de Jacques Chirac, trônait au ministère de l’Intérieur, Place Beauvau. Inflexible plus que Charles Pasqua et Robert Pandraud réunis, il refusait toute régularisation y compris pour les immigrés qui y étaient éligibles.
Le problème des « sans-papiers » apparaît au premier plan en 1996. Etrangers entrés clandestinement en France, donc, dépourvus de titre de séjour, et à ce titre sous la menace d’une expulsion, ils mènent alors plusieurs actions pour obtenir la régularisation de leur situation. Dans un premier temps, 430 Africains sans papiers occupent l’église Saint-Ambroise, dans le 11e arrondissement de Paris, le 18 mars 1996, et certains entament une grève de la faim. Expulsés de l’édifice religieux, ils trouvent finalement refuge à la Cartoucherie de Vincennes.

A partir du 29 juin, 300 sans-papiers menés par Ababacar Diop décident une nouvelle occupation, se réfugiant dans l’église Saint-Bernard, dans le 18e arrondissement de Paris. Dix d’entre eux débutent alors une grève de la faim pour obtenir leur régularisation, avec le soutien de nombreuses associations et de plusieurs personnalités dont le professeur de médecine et ancien ministre, Léon Schwartzenberg, le généticien, Albert Jacquard, les actrices, Marina Vlady et Emmanuelle Béart. Mais, le premier ministre, Alain Juppé, influencé par l’irascible à toute inflexion Jean-Louis Debré, demeure ferme dans sa volonté de ne régulariser personne.
Chose d’une gravité extrême, le 23 août 1996, Jean-Louis Debré envoie les CRS investir l’église Saint-Bernard pour évacuer de force, après de sérieuses échauffourées, sous l’oeil des caméras de France et du monde entier, les sans-papiers, de même que les personnalités présentes sur les lieux. Il faut préciser que les CRS missionnés par Debré trouvent l’église, hermétiquement, fermée. Ils se servent, donc, des haches pour casser la porte de l’église, sous l’oeil des caméras, sans se soucier des qu’en dira-t-on. Je me suis toujours demandé si ces CRS qui avaient été choisis pour défoncer la porte de l’église, étaient des chrétiens ? Car même quand on est militaire, gendarme ou policier, il y a la clause de conscience qui peut jouer quand, lors d’une mission comme celle-là, on est poussé à faire ce qui est immoral, contre ses convictions ou qui revêt un caractère inacceptable.

Cet assaut sans ménagement intervenu pendant la célébration d’un office religieux (le prêtre avait refusé d’interrompre sa messe pendant l’assaut et la brutalité que les CRS faisaient subir aux sans-papiers qui avaient trouvé refuge dans cette Maison de Dieu), choqua, au plus haut point, l’opinion française. Conséquence, le soir même de cette abomination, plus de 100.000 personnes (toutes opinions publiques confondues), Français dans la très grande majorité, manifestèrent, Place de la République, dans le 3e arrondissement de Paris, pour protester contre cette expulsion barbare d’une église de Dieu, dans le pays chrétien qu’est la France (notre photo en une). Ce fut le début de la descente aux enfers du gouvernement Juppé, qui ne tint en place que quelques mois encore, avant de céder Matignon, en 1997, à un gouvernement de gauche dirigé par le socialiste, Lionel Jospin.
On peut donc dire que Jean-Louis Debré fut le principal artisan de l’échec de son camp politique pendant le premier mandat (1995-2002) de son mentor Jacques Chirac.

Personnellement, je garde une très bonne image de son frère, le professeur, Bernard Debré, ministre de la Coopération de novembre 1994 à mai 1995. Lui était l’ami des Africains. Pendant ses 5 mois passés au ministère de la Coopération, où il n’eut guère de temps pour agir, il réussit tout de même à offrir un scanner au CHU de Lomé, au nom de sa grande amitié avec le président de ce pays, le général, Gnassingbé Eyadèma.
Mort en septembre 2020 à 76 ans, il était surnommé (très gentiment) par les Africains, le « spécialiste des prostates présidentielles » dans la mesure les chefs d’Etat africains, n’avaient confiance qu’en ce grand chirurgien qui était par ailleurs leur ami, quand il fallait résoudre leurs problèmes de prostate.
Jean-Louis Débré, pour revenir à lui, s’en est allé cette nuit. La rédaction d’Afrique Education adresse ses sincères condoléances à son épouse et à leurs enfants et petits-enfants. Nous nous associons à leur grande et profonde tristesse.
Professeur Paul TEDGA
est docteur de l’Université de Paris 9 Dauphine (1988)
Auteur de sept ouvrages
Fondateur en France de la revue Afrique Education (1993).