CONGO-BRAZZAVILLE : Le pouvoir et le sabordage des entrepises publiques du pays

Date

Lorsque des suites de l’indépendance du Congo, le 15 août 1960, l’Abbé, Fulbert Youlou, premier président de la République du Congo, choisit de résider au palais officiel des gouverneurs généraux de l’Afrique équatoriale française, au quartier du Plateau à Brazzaville, les Chambres de commerce, d’industrie d’agriculture et des métiers du Congo n’enregistrent pas d’entreprises publiques notables.

Le temps faisant, la Révolution congolaise des 13-14-15 août 1963, insuffla au  Congo  une orientation  politique de tendance socialiste, marquée  à  gauche, dont le principe de base est  l’aspiration  à  un monde meilleur, fondé  sur une organisation sociale harmonieuse et sur la lutte contre les injustices. Le pays  va alors s’offrir  les moyens politiques et institutionnels en se dotant de sociétés  d’Etat dans presque tous les domaines de la vie socio-économique nationale (sur notre photo, le premier ministre Anatole Collinet Makosso).

Sont au  compte de ces  sociétés créées à  des périodes différentes de l’histoire  du Congo,  le Port autonome de Pointe-Noire (PAPN),  Congo Telecom,  Port autonome de Brazzaville et Ports secondaires ( PABS), la Centrale d’achats des médicaments essentiels et des produits de santé (CAMEPS), l’OFNACOM,  l’OCC, la SOPECO,  l’OCB, SOCAVILOU, l’OCT, l’ONCPA, le CFCO, la BCC, l’UCB,  HUILKA, IMPRECO, SOTEXCO, FALCO, FOUFOU  de Mantsoumba, UAB, SOCOPHAR, LINA CONGO, CIDOLOU, ATC, ONLP, CHACONA, l’Usine de Cahiers, Sangha Palm, ECAIR,  SICAP, SOPROGI, l’OCH,  SOCOPHAR, la BNDC, la E2C, la LCDE, Hydro Congo, la SNPC. Ces dernières années, deux  sociétés  anonymes, la Centrale électrique  du Congo et la Banque postale du Congo ont été créées alors que les autres sont des établissements publics à  caractère  industriel  et commercial.

Des faiblesses  avérées, reposant sur une gestion archaique, le mauvais état  des ventes,  l’incapacité à régler les dettes liquides et exigibles,  le manque d’expertise, la pléthore des personnels,  la propension aux recrutements  dictés par l’autorité  supérieure, ont  entraîné la faillite de  plusieurs  de ces entreprises. Elles  ont  dû cesser  leurs activités et  ont  mis  la clé sous la porte, les unes après les autres.

S’en sont suivies,  selon  les textes en vigueur, sous l’égide  des ministères  de la Justice  qui se sont succédé, la liquidation judiciaire, au cas par cas,  des entreprises  écoulées. Une procédure  de compensation, aux fins de reconstituer  les  moyens financiers  devant  servir à solder les droits des travailleurs en perte d’emploi.

Jusqu’à ce jour, l’Etat congolais  peine toujours à  apurer totalement  ces droits qui, le moins qu’on  puisse  dire, permettent d’assurer à ces anciens travailleurs et à leurs familles, une existence digne. Tant de  bénéficiaires  légaux  s’en  sont allés,  sans avoir perçu  la totalité  des sommes qui leur étaient dues. Pas sûr que les héritiers légitimes  profiteraient  des  mécanismes de  réversion  des  fonds  qu’auraient  dû  percevoir, de leur vivant,  leurs proches qui s’en  sont allés.

Le ministère qui gère la faillite des entreprises publiques.

.          Sont monnaie courante, les concerts de casseroles, forme de protestation  consistant à frapper des ustensiles  domestiques de métal pour  attirer  bruyamment  l’attention des pouvoirs  publics. Des concerts organisés,  sur certaines  grandes artères  de Brazzaville,  par les travailleurs de  ces anciennes sociétés publiques  aux fins  d’obtenir des autorités  le paiement de leurs droits.  Généralement ce tapage  sonore  est sans effet, le porte feuille  public  congolais s’appauvrissant,  dans la mesure où  ces manifestations  visent des  décaissements. Même  aux périodes de vaches grasses,  les  travailleurs  concernés  n’ont jamais  pu totalement  recouvrer leurs arriérés.

Dans l’actuel paysage  économique  congolais,  ne sont restées  visibles, pignon sur rue,  avec textes de création  et  règlements intérieurs, que quelques-unes de ces entreprises publiques où des  organisations syndicales, dans leurs  prérogatives classiques,  jouent leur  rôle. Cest le cas de la  Société  nationale  d’énergie (SNE),  devenue Energie électrique  du Congo ( E2C), la Société  nationale  de distribution  d’eau (SNDE) reconvertie en la Congolaise des eaux,( LCDE), le Chemin  de fer Congo-Océan (CFCO), la Congolaise de raffinage (CORAF),  la Société de promotion  et de gestion immobilière (SOPROGI), le Port autonome de Pointe-Noire,  le Port  autonome  de Brazzaville  et des ports secondaires, et la Société nationale  des  pétroles du Congo (SNPC) qui  est une  reconversion de l’ancien  HYDRO-Congo où ont été  injectées  la production  et la commercialisation  des produits pétroliers et gaziers.

De ces Entreprises d’Etat, en place,  trois d’entre  elles, la SNPC,  la CORAF et le Port autonome de Pointe-Noire disposent  de quelque visibilité,  certainement, en raison  des bénéfices  qu’elles engrangent  de  leurs juteuses activités, en dépit de  leurs difficultés  structurelles,  les dettes et les engagements  financiers extérieurs,  pas  toujours tenus. Il y a  fort à  parier que  si pour atteindre leurs objectifs, la SNPC,  la CORAF et le Port autonome de Pointe-Noire n’oeuvrent pas à  mieux  maîtriser et à améliorer  les outils de leur gestion, créant parallèlement un environnement de travail  juste et stimulant où les salariés se sentiraient valorisés,  ces trois  sociétés  pourraient  connaître des lendemains  sombres.

Au Congo,  la défaillance de gestion constitue  l’une  des causes principales  d’échec  des entreprises. D’où le rôle  déterminant que joue le capital  humain dans la gestion efficace des entreprises  et la prévention  des défaillances.  Les compétences, l’experience et  la formation  des  dirigeants  constituant un atout  majeur.

Pour ne citer que  la SNPC, la CORAF,  le Port autonome de Pointe-Noire, la Société, E2C, et la LCDE, leur liquidation  judiciaire résultant  de défaillances de gestion représenterait un coût économique énorme pour le Congo. Chaque liquidation  entraînerait des suppressions  massives d’emplois, avec un impact direct sur le taux de chômage et les dépenses  sociales de l’Etat. De plus, les salariés licenciés, suite  à  une liquidation, font face à des difficultés accrues pour retrouver  un emploi,  dans une société congolaise fort minée  par le chômage et  la pauvreté.

Dans le cas du secteur de l’électricité confronté  à  une crise  énergétique  caractérisée  par la faiblesse  du niveau  d’approvisionnement  de  l’électricité  auquel s’ajoutent  les difficultés financières  et les infrastructures  vieillissantes,  ensemble  de  handicaps  devenu un  facteur bloquant  pour  le développement  socio- économique du pays  et le bien-être  des populations, les réformes nécessaires deviennent  plus qu’urgentes.  Dans un esprit  de partage,  ces  réformes  partiraient des états  généraux de l’électricité où  débattraient  sur la question,  sachants du domaine, pouvoirs publics  et représentants des travailleurs.  Peut-être  faudrait-il  réexploiter, dans cet esprit,  les actes du séminaire-atelier  sur les réformes du secteur  tenu à  Brazzaville, le  29 juin 2017, à  l’Hôtel Radisson Blu, en présence d’experts nationaux et internationaux,  ainsi que, des institutions  financières  internationales. Un séminaire qui avait conclu que le dégroupage de la Société  Energie  électrique du Congo  n’était pas  à  recommander, étant donné  sa petite taille.

Les  réformes  souhaitées à  E2C devraient  passer par l’audit de tous les investissements réalisés dans le secteur  de l’électricité, ces dernières années. Cela, pour une affaire de transparence  des actions injectées  dans la E2C,  ce qui aurait  l’avantage  de consolider la confiance  à  l’égard  de l’entreprise  et lui épargner  toutes  vélléités de camouflage  de vrais  propriétaires de E2C. Devraient, conséquemment, être connus les raisons sociales, ainsi que, les statuts  des différents actionnaires  et autres partenaires, qui sont intervenus lors du passage  de la Société  nationale d’énergie (SNE), à l’Energie  électrique  du  Congo ( E2C ). Est également  à révéler  la hauteur  des investissements  et leur forme d’utilisation à  l’Energie  électrique  du Congo (E2C).

Depuis le retrait par le gouvernement  des contrats  d’affermage avec la Société  nationale  d’électricité du Sénégal, la  persistance des délestages électriques, dans les grands centres urbains congolais, est devenue fort préoccupante. L’on  se pose  pour cela, deux types d’interrogations. D’abord,  d’où  viendrait-il que les perturbations électriques  s’accélèreraient  au lendemain  de la décision  prise  par le gouvernement de retirer le contrat d’affermage avec la Société  nationale  d’électricité du Sénégal, pour répondre à l’exigence soutenue  des syndicats de E2C ?  Les pouvoirs publics  congolais  seraient ils, par ailleurs, animés  par l’intention de jeter la responsabilité  des perturbations  électriques  sur le collège syndical de l’Energie électrique du Congo (E2C) ? Les pouvoirs  publics  congolais ne  voudraient-ils pas profiter du  désordre régnant  dans le domaine de l’électricité pour tenter  de  persister sur  leur  démarche  d’appauvrissement de la raison sociale de l’Energie électrique du Congo (E2C) ?

Denis Sassou-Nguesso pose la première pierre de la future Tour de Pointe-Noire lors du 25e anniversaire de la SNPC. Les travailleurs se demandent toujours où va l’argent du pétrole ? Peut-être dans les paradis fiscaux…

Tout ceci mis bout à  bout, il appert que  la problématique  d’une bonne  existence pour un  développement durable  des entreprises  publiques congolaises  est une donnée  majeure qui  en  appelle à une mobilisation nationale dont les  mécanismes  sont à  étudier. Face à des ratés et à des  difficultés socio-économiques  non  jugulées,  sur des pans de la vie nationale relevant de leurs devoirs et obligations,  les pouvoirs  publics congolais ne devraient pas tomber dans  le piège de l’antirépublicanisme et de  l’antipatriotisme qui les pousseraient  à prendre le pays en otage.

La hantise du « grand  chambardement »,  comme le  chante  Charles  Aznavour,  sur  toute convocation  des  assises  des états généraux  de la nation  ou  à  propos d’un  quelconque  domaine de la nation  en mal de progrès,  devrait quitter l’esprit des dirigeants du pays, tous niveaux confondus.

Pays de traditions, le Congo l’est. Des traditions qui ne sont  qu’une  pratique  transmise, de siècle en siècle,  par la parole ou l’exemple. Au Congo, ces traditions reposent, entre autres,  sur les  valeurs de concertation  qui consistent à  rechercher, au nom de la cohésion nationale ou de tout autre  ensemble  de croyances considérées comme  fondamentales pour cette cohésion, un accord ou  une entente, en vue  d’une  prise de décision  ou d’un  projet commun, entre des personnes concernées,  qu’elles aient des intérêts convergents, complémentaires ou divergents.

Joseph Ouabari Mariotti

est l’ancien Garde des Sceaux du président Pascal Lissouba (1992-1997).

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