Jean-Yves Le Drian vient d’effectuer un séjour de 48 heures au Cameroun où il a pu rencontrer le président, Paul Biya. Invité depuis avril au Sommet Russie-Afrique, à Sotchi, par Vladimir Poutine, le président camerounais y a, finalement, dépêché son chef de la diplomatie, Lejeune Mbella Mbella, préférant rester à Yaoundé pour recevoir le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.
On peut tout reprocher à Paul Biya, sauf d’ignorer où se trouvent ses intérêts. Si le ministre français a souhaité mettre son rendez-vous avec le chef de l’Etat camerounais, pendant les deux jours, les 23 et 24 octobre, où se tenait le Sommet Russie-Afrique, c’est, sans doute, pour faire passer un message, à savoir, que ceux qui enterrent trop vite la France au Cameroun, ont tort de le croire. La preuve ? Paul Biya préfère Le Drian à Poutine.
Cela dit, les choses sont loin d’être aussi simplistes. Paul Biya n’a pas 36 ans à la tête du Cameroun pour rien : il est très à l’aise dans la pratique politique et diplomatique. Il a accepté, certes, d’avaler cette couleuvre diplomatique en n’honorant pas l’invitation de Vladimir Poutine, mais, il a eu beaucoup en retour.
D’abord, ce retour de la France en grâce au Cameroun avec un nouveau langage « gagnant-gagnant », une expression chère aux Chinois, est très bénéfique au président camerounais. Après avoir soutenu l’opposant, Maurice Kamto (comme tout le monde sait), la France revient à de meilleurs sentiments à l’endroit du régime de Yaoundé avec lequel il compte dynamiser ses relations. Preuve que le chef du MRC s’estime lâché, il est sorti la mine complètement défaite de son entrevue avec Le Drian, et chose rarissime de sa part, il a refusé de répondre aux journalistes qui souhaitaient recueillir ses impressions. Kamto a raison d’être en colère : le temps où il avait le vent en poupe en France, aux Etats-Unis et au sein de l’Union européenne, commence à être révolu et Paris, par exemple, passe à la realpolitik avec celui qui est en place au pouvoir au Cameroun.
Si la disparition (politique) de Maurice Kamto n’est pas envisagée, sa perte d’influence, dans les mois qui viennent, est inéluctable. Le régime de Yaoundé va s’y employer à fond, aidé en cela par une partie de l’opposition (où Kamto dernier venu dans la classe se prenait pour le meilleur de tous) dont le SDF de John Fru Ndi et Osi, qui, logiquement, devrait être en capacité de reconquérir ses deux fiefs du NOSO (Nord-Ouest et Sud-Ouest du Cameroun) lors des futures batailles électorales (législatives, municipales et régions). Le régime dans ce domaine sait manoeuvrer : autant il a su créer la division au sein du très historique parti de l’UPC en reconnaissant une tendance qui est honni dans le Nyong et Kellé, autant il considère le SDF comme un allié objectif, qui peut aider à neutraliser le bouillant Kamto.
Paul Biya, on ne le dit pas assez, est très performant sur les questions de défense et de sécurité. Il a bâti une armée performante (avec l’aide des Israéliens), sans bruit, qui a tenu tête, jusqu’à aujourd’hui, à toutes les menaces qui venaient de l’extérieur (Pirates du Golfe de Guinée, Boko Haram qui ne contrôle aucun cm² de l’Etrême-Nord camerounais mais qui a élu domicile dans la Forêt de Sambisa au Nigeria et l’Etat islamique (ISWAP) dans les alentours du Lac Tchad, les miliciens centrafricains séléka et antibalakas dans l’Est du Cameroun, les ambozoniens qui ne cessent de perdre du terrain dans le NOSO où ils se livrent de plus en plus à des actes de barbarisme qui les disqualifient aux yeux de leurs partisans, etc). Paul Biya maîtrise la situation sécuritaire bien que très coûteuse pour le budget de l’Etat. Le plus important pour lui, était d’avoir le soutien diplomatique que la France va lui apporter et qui sera nécessaire au sein de l’Union européenne et au Conseil de sécurité.
Jean-Yves Le Drian a inauguré le deuxième pont sur le fleuve Wouri, reliant les villes de Douala et Bonabéri, grâce à un financement de près de 180 millions d’euros de la France (Agence française de développement). Un autre pont de moindre importance financé, aussi, par Paris est en train d’être construit à Edéa, sur le fleuve Sanaga.
Jean-Yves Le Drian a prôné le gagnant-gagnant à la française. Mais il sera très très très très difficile à la France de concurrencer la Chine qui finance, actuellement, neuf projets (structurants) sur dix au Cameroun.
Paul Biya dira juste que le Cameroun est ouvert à tout le monde, y compris à la Russie et à d’autres comme la Turquie, la Corée du Sud, le Japon, pour ne citer que les plus importants. Il peut un peu favoriser une entreprise française (au nom des liens historiques) mais il ne peut pas en faire trop de peur d’irriter l’opinion camerounaise qui franchement en a contre la France.
Justement, au moment où Le Drian défendait la cause des entreprises françaises actuellement malmenées, la présidence du Cameroun demandait la suspension de l’attribution du Port de Douala au groupe italo-suisse TIL, suite à une action en justice du groupe Bolloré qui en a été éjecté après 15 années de bons et loyaux services, son dossier de renouvellement de la dite concession portuaire n’ayant pas fait le poids face à celui de TIL. Le président camerounais va-t-il intervenir en faveur de l’industriel breton (breton comme Le Drian) alors qu’il est le moins-disant dans cet appel d’offre (sur notre photo Paul Biya élève Jean-Yves Le Drian à la dignité de Grand Officier de l’Ordre de la Valeur) ?