L’Assemblée nationale française a approuvé, largement, ce mardi, 9 juillet, la proposition de loi LREM (La République en marche, parti fondé par Emmanuel Macron) de lutte contre la haine sur internet, qui contraint les plateformes à agir malgré leurs réticences contre le racisme, l’antisémitisme et tout ce qui est haine envers l’autre. C’est une première en France, qui est loin de plaire à ceux qui en faisaient leur élément de défoulement sur internet et les réseaux sociaux. Maintenant, ils réfléchiront avant de poster n’importe quel contenu haineux. Comme quoi, la République est vraiment en marche.
Le texte de la députée de Paris, Laetitia Avia, a été validé en première lecture par 434 voix pour, 33 voix contre et 69 abstentions. Il passera à la rentrée au Sénat, en vue d’une adoption définitive rapide.
Mesure phare sur le modèle allemand : plateformes et moteurs de recherche auront l’obligation de retirer les contenus « manifestement » illicites sous 24 heures, sous peine d’être condamnés à des amendes allant jusqu’à 1,25 million d’euros. Sont visées les incitations à la haine, la violence, les injures à caractère raciste ou encore religieuses.
Au-delà, le texte prévoit une série de nouvelles contraintes pour les plateformes : transparence sur moyens mis en oeuvre et résultats obtenus, coopération renforcée, notamment, avec la justice, surcroît d’attention aux mineurs. Le tout sera contrôlé par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
« C’est un combat exigeant et de longue haleine qui s’engage », a souligné son auteure, Laetitia Avia, en guerre contre les « trolls » et « haters » la poursuivant depuis des années, notamment, pour la couleur noire de sa peau. Avocate de profession, Laetitia Avia avait été séduite par le discours d’Emmanuel Macron, qui en a fait, plus tard, sa députée à Paris. Elle est d’origine togolaise (sur notre photo lors d’un débat à l’Assemblée nationale).
Cédric O, secrétaire d’Etat au Numérique, vibre au même diapason qu’elle : « Nous avons une obligation de résultat car être capable de protéger les Français, en ligne comme hors ligne, c’est la mission première de l’Etat ».
La plupart des groupes politiques se sont partagés. La quasi-totalité des députés LREM, MoDem et UDI, se sont prononcés pour, mais, une poignée se sont abstenus.
Philippe Latombe (MoDem) a même voté contre, jugeant « sans doute inconstitutionnelle » la « perte de souveraineté consécutive à la décision de confier la modération aux seules plateformes, avec le risque d’aseptisation et d’uniformisation des contenus, et d’atteinte à la liberté d’expression ».
Dans le camp des farouches opposants, les Insoumis ont refusé que « sous prétexte de responsabiliser les plateformes », la proposition de loi « déresponsabilise l’Etat ».
Egalement contre, les députés RN dont Marine Le Pen s’inquiètent pour « les libertés publiques ».
Les trois quarts des Républicains ont, en revanche, voté pour, les socialistes se sont partagés entre abstention et pour, et enfin, élus Libertés et territoires, ainsi que, communistes se sont, majoritairement, abstenus.
Confier aux GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) le soin de réguler « ne va pas dans le bon sens », mais que la France se saisisse du sujet est « une avancée », selon le porte-parole PCF Sébastien Jumel.
Alors que l’Hexagone se veut à la pointe du mouvement mondial de régulation, Cédric O juge l’équilibre « atteint » entre liberté d’expression et « efficacité ».
Les plateformes ne devront pas se contenter de retirer tous les messages ou images signalés : elles devront éviter des retraits injustifiés, ont précisé les députés par amendement la semaine dernière.
Un parquet et une juridiction seront spécialisés dans la lutte contre la haine en ligne, a aussi fait ajouter le gouvernement, à la satisfaction des députés de tous bords voulant remettre la justice au centre.
Hors Palais Bourbon, le texte a uni contre lui quantité d’acteurs parfois pour des raisons différentes, au nom des risques de « censure ».
Dans une lettre ouverte, la Ligue des droits de l’Homme, la présidente du Conseil national du numérique et encore la présidente du Conseil national des barreaux, ont plaidé que « le juge doit être au cœur tant de la procédure de qualification des contenus que de la décision de leur retrait ou blocage ».
Défendant les droits de l’internaute, la Quadrature du Net s’alarme du fait que l’obligation de retrait pèsera aussi sur des opérateurs « sans activité commerciale » tel Wikipedia.
Les grandes entreprises du numérique elles-mêmes s’inquiètent de l’obligation de retrait, pouvant entraîner une cascade de polémiques et conflits juridiques.
Facebook, pourtant, allié du gouvernement et d’Emmanuel Macron pour des règles pour la Toile, refuse de prendre « seul » et « dans un délai contraint » une décision de retrait.
Le réseau social a promis aussitôt après le vote de « continuer à travailler étroitement » avec les autorités pour « permettre la bonne mise en œuvre » de la future loi.
« Ni libertaire, ni liberticide », Cédric O a promis un groupe de travail associant plateformes, société civile et magistrats pour « donner des indications » sur le tri des contenus litigieux.