BENIN : Patrice Talon digne successeur du dictateur Denis Sassou-Nguesso ?

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Le Bénin laissé en paix par Boni Yayi après dix ans d’une gouvernance (plutôt) paisible est en train de sombrer dans la violence, premier pas vers la dictature. C’est une situation signée Patrice Talon, milliardaire arrivé un peu par hasard à la tête de cet Etat qu’il confond avec ses entreprises privées. Hier, samedi, 15 juin, on a dénombré deux morts par balles des forces de défense et de sécurité. Une situation inquiétante d’autant plus que les troubles sont récurrents. Partout, dans le pays, les populations commencent à se révolter, pour défendre leur liberté confisquée par un homme d’affaire (devenu chef d’Etat) qui ne se soucie que de son intérêt personnel.

Réputé être un exemple de démocratie en Afrique de l’Ouest, et même, au-delà, le Bénin (ex-Dahomey) avait voté, dimanche, 28 avril, pour élire ses députés lors d’un scrutin historique où l’opposition n’avait pas été autorisée à présenter de candidats, marquant, du coup, pour beaucoup d’observateurs, un tournant autoritaire du président (démocratiquement élu en 2016) Patrice Talon.

C’est une situation qui se passe de commentaire quand on sait d’où vient Patrice Talon, qui avait dû passer près de trois ans en exil, entre la France et la Belgique, pour fuir la justice de son pays qui était à ses trousses. Il était, farouchement, accusé d’avoir tenté d’empoisonner le président, Yayi Boni, dont il était un très proche. Cette affaire avait fini par être soldée à son avantage dans la mesure où il put, valablement, défendre sa candidature à l’élection présidentielle de 2016, battant même le candidat soutenu par Yayi Boni, en l’occurrence, Lionel Zinsou, au deuxième tour. Personne ne comprend qu’une fois arrivé au pouvoir, aujourd’hui, il plonge, à son tour, le Bénin dans l’incertitude politique. Du coup, ce pays connaît un retour en arrière d’une trentaine d’années, dans le domaine de la démocratie et des droits de l’homme. Une situation qui est, tristement, désolante pour tous les Africains pour qui le Bénin, et le Sénégal, restent des modèles à suivre en Afrique francophone, sur le plan de la démocratie.

D’autant plus que c’est la première fois que l’opposition n’est pas autorisée à participer aux élections, depuis que le Bénin a assuré sa transition démocratique en 1990.

Elu en avril 2016, Patrice Talon est, incontestablement, à l’origine de cette situation. Voulant rester à l’écart des querelles entre le pouvoir et l’opposition, la société civile béninoise, ainsi que, les représentants internationaux n’ont pas souhaité déployer d’observateurs en signe de mécontentement et de désapprobation, lors des élections législatives. L’Union européenne, par exemple, a, carrément, annulé, quelques jours, avant la tenue du scrutin, la participation de ses observateurs pour ne pas cautionner un processus que toute la CEDEAO a déploré et dénoncé. Mais, Talon reste droit dans ses bottes. Comme quelqu’un qui est happé par un mauvais esprit qui le guide et le manipule jusqu’au précipice.

Comme lui, hier, Talon fait vivre en exil ses opposants, à l’instar de Sébastien Ajavon, candidat à l’élection présidentielle de 2016, sans lequel il n’aurait pas été élu président de la République au deuxième tour du scrutin qui l’opposait à Lionel Zinsou, le candidat du pouvoir. Sorti troisième de cette élection, Sébastien Ajavon avait appelé à voter pour lui. Sous Talon, le Bénin est (re)devenu (comme sous le marxisme-béninisme de Mathieu Kérékou avant la Conférence nationale souveraine de février 1990), ce pays où on n’est plus libre, où de nombreux activistes, politiques ou journalistes sont interpellés ou convoqués au commissariat. Pour avoir contredit ou contrarié le président de la République. Sans le dire ouvertement, Patrice Talon a mis son prédécesseur, Yayi Boni, en résidence surveillée. Une résidence surveillée par la police où les sorties et les entrées sont filtrées par elle.Yayi Boni n’est pas autorisé à sortir de sa résidence. Il est prisonnier.

Non seulement, ce président musèle les journalistes et activistes politiques et contraint à l’exil ses opposants politiques, mais, il s’est, résolument, mis à l’école de la dictature et du totalitarisme du président congolais, Denis Sassou-Nguesso. Pour preuve, c’était la stupéfaction, dimanche, 28 avril, matin, jour des élections législatives, lorsque le Bénin s’est réveillé sans aucun accès aux réseaux sociaux, pour la première fois de son histoire. En effet, bon élève du dictateur (5 étoiles) Sassou-Nguesso, qui, pendant l’élection présidentielle de mars 2016, avait coupé les réseaux sociaux, pendant quatre jours, empêchant toute communication entre les observateurs nationaux et internationaux, dont ceux de l’Union africaine, il a, rigoureusement, suivi son maître dans cette fâcheuse pratique qui n’honore, nullement, le Bénin. Ni la CEDEAO. Une situation qui avait entraîné le courroux de Xhosazana Dlamini-Zuma, à l’époque, présidente de la Commission de l’Union africaine, qui était chargée de superviser cette présidentielle. On peut, donc, dire que Patrice Talon dispose d’un très bon entraîneur en matière de régression démocratique en la personne de Sassou-Nguesso dont nul, en Afrique et dans le monde, n’ignore les états de service en la matière (sur notre photo Patrice Talon en villégiature chez Sassou-Nguesso à Oyo en 2016, où il a bénéficié des conseils toxiques qui rendent sa gouvernance politique chaotique comme l’est celle du Congo-Brazzaville).

Connaissant leurs droits, les Béninois, à l’invitation des anciens chefs d’Etat, Nicéphore Soglo et Boni Yayi, et d’autres leaders de partis de l’opposition, ne restent pas les bras croisés. Le jour des législatives, leurs partisans ont brûlé le matériel électoral, à Tchaourou, département de Borgou, la commune de l’ancien président Boni Yayi. A Kandi, l’une des principales usines de coton du pays – secteur dans lequel le président Talon a fait fortune avant de se lancer en politique – a été incendiée.

L’ex-chef de l’Etat avait rompu son silence, une semaine avant l’élection, en demandant au président, Patrice Talon, d’interrompre le processus électoral, et à la population béninoise de se soulever dans un « sursaut patriotique ». Il avait même défilé aux côtés de son prédécesseur, Nicéphore Dieudonné Soglo, pour inviter les Béninois et les Béninoises à refuser la tenue de ces élections.

Le parlement a approuvé, fin 2018, la mise en place d’un nouveau code électoral pour simplifier le paysage politique et empêcher la prolifération des partis : on compte plus de 250 partis politiques au Bénin (12 millions d’habitants).

Toutefois, même les principaux mouvements de l’opposition (comme les partis des anciens présidents de la République ou de l’Assemblée nationale) ne sont pas parvenus à remplir les conditions imposées par la CENA (Commission électorale nationale) et n’ont pas pu présenter leur liste.

Conséquence, le Bloc républicain et l’Union progressiste, deux mouvements (tous) proches du président Patrice Talon, admis à compétir, disposeront de 83 députés sur 83 dans l’hémicycle de Porto Novo. C’est, donc, un système de parti unique qui ne dit pas son nom et qui est appelé à soutenir l’action politique de Patrice Talon. Quant à l’opposition, c’est dans la rue qu’elle s’exprime, désormais, ce qui a sans doute fait dire à Nicéphore Soglo que Si Patrice Talon ne revenait pas à de meilleurs sentiments démocratiques en organisant d’autres élections législatives « inclusives », il était fort possible qu’il ne puisse pas terminer son mandat. La balle est, donc, dans le camp du pouvoir.

Pour trouver une solution, Patrice Talon, une fois de plus, s’est tourné vers son maître en dictature, Sassou-Nguesso. C’est ainsi que, jeudi, 2 mai, il a envoyé son ministre des Affaires étrangères, Aurélien Agbénonci, à Brazzaville, prendre l’avis du « gourou » de la dictature. Interrogé par la presse locale, l’envoyé de Talon a expliqué que son déplacement fait suite au souci du chef de l’Etat béninois de « faire comprendre à son homologue les éléments de la situation sociopolitique très tendue au Bénin, et recueillir ses conseils ».

Après avoir demandé, en vain, le report de ces élections, l’opposition, de son côté, monte le ton. S’exprimant au nom de l’opposition, le député, Eric Houndété, a annoncé que les affrontements entre forces de l’ordre et les populations ont causé sept morts au total dont une femme enceinte. Deux décès dans la commune de Kandi et les autres dans la partie méridionale du pays. Ces personnes étaient en train de revendiquer le retour de la démocratie, argumente-t-il. Mais, déplore l’ancien premier vice-président de l’Assemblée nationale, les militaires ont tiré sur eux à balles réelles.

Autre signe du recul démocratique, l’intervention de la Conférence épiscopale, comme avant la Conférence nationale souveraine de février 1990. Après son message du 14 avril dernier pour la paix, non suivi d’effet, la Conférence épiscopale du Bénin donne, à nouveau, de la voix pour condamner les actes de violence et de vandalisme sous toutes ses formes et appelle les leaders politiques au dialogue.

Dans un communiqué signé de Monseigneur, Victor Agbanou, la Conférence épiscopale rappelle l’atmosphère délétère dans laquelle se sont déroulées les élections législatives du 28 avril dernier, les incidents et la violence, qui ont émaillé par endroits le scrutin, la faible participation de la population et les inimaginables scènes de violence du mercredi, 1er mai, avec leur lot de victimes.

Ces différents événements préoccupent la Conférence épiscopale. Cette dernière relève que «la psychose gagne le cœur des Béninois si fiers de leur pays connu et reconnu sur le plan international comme un havre de paix et un modèle de démocratie en Afrique». Alors, les Evêques du Bénin «expriment leur compassion et leur proximité spirituelle aux victimes des divers actes de violence perpétrés sur toute l’étendue  du territoire national».

Ils condamnent, fermement, les actes de violence et de vandalisme sous toutes leurs formes. Ils réitèrent leur appel à tous de s’abstenir de toute forme de violence et invitent les leaders politiques à «renouer le fil du dialogue pour préserver la paix sociale et l’unité nationale, gage du développement harmonieux du pays». Les Evêques «offrent leur service pour la médiation en vue d’un retour au calme, à la cohésion sociale, à la tolérance réciproque qui ont toujours caractérisé le peuple béninois».  

La balle est, désormais, dans le camp du président, Patrice Talon. Il lui appartient de ramener la paix dans le pays.

Moussa Konaté et Aristide Koné.

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