Cette interpellation peut paraître condescendante, donnant l’impression de réveiller des gens éveillés. Loin de moi l’idée de dénigrer les gens du savoir.
Il y a quelques années, j’ai écrit un pamphlet similaire. Je me demandais, où se trouvait-il, et si nous avions des intellectuels ou de simples instruits gavés de connaissances. Et cette interrogation me taraude toujours l’esprit devant le spectacle affligeant et pénible du nihilisme de ces valeurs qui font le ciment de cette communauté de destin que forment les Comoriens. Un nihilisme dans lequel l’intellectuel est complice par assistance, passivité ou par une attitude arthritique. Nonobstant, je sais aujourd’hui qu’ils ne sont pas de simples instruits. Il y a un niveau de savoir, une capacité d’analyse, une faculté de projection dans le microcosme intello-comorien, assimilables aux qualités d’un bon intellectuel. Mais celui-ci, serait-il plongé dans un profond sommeil comme hypnotisé par les événements ?
L’actualité politique a poussé certains à se lancer dans des diatribes surprenantes, par leur légèreté dans le fondement et leur essence. Quelles écoles avons-nous fréquentées et qu’avons-nous sérieusement appris, lorsque certains Comoriens font des raccourcis dangereux de comparaisons des Comores au IIIème Reich et aux camps de concentration de l’Allemagne nazie ? Je considère cela comme une inculture de ce que fut le régime hitlérien, avec ce qu’il a représenté d’ignominie, brutalité et violences. Ces comparaisons sont une insulte à l’Histoire contemporaine et aux profondes douleurs incommensurables laissées dans la conscience collective par ces premiers coupables de crimes contre l’Humanité.
Et je ne comprends pas le silence des historiens, des philosophes et des politiciens face à cette diarrhée verbale qui assimile notre pays à un régime banni par la planète entière. Je comprends encore moins ce silence devant la campagne de Fake news, de mensonges dans laquelle est plongée notre pays, par certains, avec un sensationnalisme clivant et tendancieux, qui ignore le côté factuel du vrai journalisme.
Je conçois que le combat des idées puisse être rude, car c’est la preuve d’une vitalité de la démocratie et d’une grande ouverture d’esprit. Mais, il y a des limites que l’intellectuel doit savoir ne pas franchir et éviter de tomber à l’opposé de ce qu’il prétend être et de ce qu’il croit défendre. Il doit être à même d’identifier cette ligne jaune au-delà de laquelle toute explication se vide de toute sa pertinence.
Les débats sur les assises nationales et le référendum ont suscité beaucoup de passions incontrôlées et de graves dérapages, loin des valeurs comoriennes d’une société non-violente, éprise de paix. L’affaire des clous à Mohéli, la tentative d’assassinat d’un vice-président, la grave agression d’un gendarme, la destruction de biens publics et privés, la place des médias et des réseaux sociaux dans le débat, sont des événements de nature à bouleverser un code de conduite qui fait des Comores, un pays à part en Afrique.
Nous devrions procéder à une hiérarchisation des priorités dans le débat. Et il y a des silences trop assourdissants qui devraient poser un problème de conscience à l’intellectuel. Le premier est celui de la position inédite des Comores sur la défense de l’intégrité du territoire au sujet de Mayotte. Cette position courageuse oblige l’intellectuel, en tant que faiseur d’opinion, à une mission de pédagogie d’appropriation des Comoriens parce que le patriotisme et l’intégrité du territoire sont sacralisés. Et pourtant, le silence y est assourdissant.
Aussi, est-il nécessaire pour l’intellectuel de jouer son rôle de réflecteur de bonnes ondes et de bouclier contre les descentes aux enfers que nous voyons dans d’autres pays où règne le chaos. Et rien ne peut être plus noble à défendre, au point de mettre en péril ce caractère si particulier au pays du Cœlacanthe.
L’intellectuel devrait lutter contre ce funeste dérapage de l’assimilation occidentaliste et de l’acculturation programmée de l’Afrique qui font de la démocratie européenne, une fausse séparation de l’Etat et de l’Eglise ou du mariage gay, une démocratie identique à celle des Comores musulmanes. Cette démocratie du libertinage n’est pas la nôtre et cela ne fait pas de nous, pour autant, des démocrates au rabais. Il doit faire comprendre que la liberté ne donne pas tous les droits, qu’elle a des limites et des règles. Et que le non-respect de ces limites et ces règles peut vous priver de libertés.
Le référendum est passé. La vie continue. Mais, nous devons tirer les leçons de tous ces moments de tension. Nous avons mis en danger notre souveraineté, en voulant faire de l’ingérence une règle du droit international. Nous avons voulu faire du consensus un principe de la démocratie. Or, l’unanimisme est tout, sauf démocratique. Une absurdité imposée par la puissance de l’argent à l’Afrique pour perdurer les crises, et mieux profiter des richesses d’un continent qui selon cette puissance, doit rester dans un état de léthargie perpétuelle.
Certes, il y a eu, de part et d’autre, un discours brutal et des actes discutables. Mais, le temps de la rédemption commence. Nous devons rentrer dans une logique de correction de ce discours de déconstruction programmée par « cet autre » si proche et si lointain. Alors moi qui ne le suis pas, je demande à l’intellectuel de se réveiller, parce que des pompiers-pyromanes sont à l’œuvre autour de notre maison commune.
Mohamed Mbechezi