En faisant appel au secteur privé, la guerre est devenue une extraordinaire aubaine commerciale. Il s’agit de vendre des armes pour la prévenir, détruire le territoire adverse pour la gagner, promouvoir les entreprises du vainqueur pour le reconstruire.
En 2019, le budget militaire américain atteignait 732 milliards de dollars et celui de la Russie 65 milliards, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). Les entreprises américaines ont réalisé 54 % de toutes les ventes d’armes du monde en 2020. Leur levier commercial reste l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord), qui leur ouvre de fantastiques débouchés.
Et puis, il y a les sociétés militaires privées (SMP) : Wagner, Dyncorp Executive Outcomes, Meteoric, Blackwater, Kroll, Global Risk Strategies… Pour ces sociétés, la paix doit demeurer l’exception. L’état normal du monde, c’est la guerre. Plus les gens s’entretuent, plus elles gagnent de l’argent. Halliburton, pour son intervention en Afghanistan et en Irak, a perçu plus de 4 milliards de dollars. Ce sont des baroudeurs rompus à la castagne qui ne marchent plus au drapeau mais à la prime et qui ont signé un contrat en toute connaissance de cause. Plus besoin de consoler les veuves, de remettre des médailles et de convaincre le peuple des vertus d’une mort héroïque. Retombées également lucratives pour les compagnies d’assurances. La privatisation de la guerre a fait flamber le marché de la couverture des risques. Le groupe Lloyd’s a quadruplé ses bénéfices en dix ans, atteignant plus de six milliards de dollars.
En Europe, le marché de la guerre est une chasse gardée américaine, mais l’Afrique est à prendre car la croissance exponentielle des nouvelles technologies engendre d’énormes besoins sur des métaux confidentiels. Et la France est idéaliste. Goulamina, au Mali, fait partie des plus grands sites de lithium du monde.
Mais comment manipuler les Africains et siphonner leurs ressources ?
D’abord, en vendant des armements au nom de la lutte antiterroriste. Lors du Sommet Russie-Afrique, à Sotchi, le 24 octobre 2019, près de quarante dirigeants africains ont répondu. Les entreprises Kalachnikov, Pribor ou Almaz-Antey y vantaient leurs productions. L’Ethiopie du Prix Nobel de la Paix, Abiy Ahmed, a acheté un système de défense antimissile Pantsir-S1. Le président centrafricain, Faustin-Archange Touadéra, a demandé à renforcer l’aide militaire à son pays en lui envoyant « des moyens létaux et des véhicules blindés de transport de troupe ».
Ensuite, en circonvenant les bons décideurs. Ainsi, Rameaux-Claude Bireau, neveu du président et ministre de la Défense de la République centrafricaine, depuis août 2021, avait obtenu l’appui décisif de Moscou contre les rebelles de la Coalition, qui tentaient, avec des complicités françaises, de s’emparer de Bangui. Les mercenaires russes se sont interposés, en soutien des FACA (Forces armées centrafricaines).
On peut, aussi, siphonner les ressources de l’Afrique en se payant sur la bête : les Russes avaient obtenu la gestion des recettes douanières du Centrafrique, près du tiers du budget de l’Etat. Scandalisée, la France a obtenu, avec l’appui du FMI et de la Banque mondiale, la suspension de l’accord, au grand dam de Bangui, qui n’y voyait que des avantages (Théodore Inamo, directeur général des Douanes, est le neveu du président Faustin-Archange Touadéra). En septembre 2021, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, avait même été jusqu’à accuser le Groupe Wagner de se « substituer » à l’autorité de l’Etat en Centrafrique et d’en « confisquer la capacité fiscale ».
Le rappel à l’ordre heurta la susceptibilité des Africains et pesa dans le départ des Français, décidément trop donneurs de leçons. Alors qu’ils sont loin d’être des enfants de choeur : le pillage du Centrafrique depuis l’indépendance, c’est bien les Français et personne d’autres. Pourquoi ils ne se donnent pas de leçon à eux-mêmes ?
Enfin, dernier moyen de siphonner les ressources de l’Afrique, la sécurité.
Pour les mercenaires de Wagner, l’idée est de reproduire en Afrique le montage syrien. Explication : le Groupe Wagner a intégré une autre société, Evro Polis, dirigée, également, par Evgueni Prigojine (le patron de Wagner et grand ami de Vladimir Poutine). En 2016, un contrat signé avec le régime de Bachar el-Assad accorde à Evro Polis 25 % des revenus des champs de gaz et de pétrole situés à l’Est du pays, à charge pour Wagner d’en virer l’Etat islamique qui, depuis 2014, en tirait des revenus sans être dérangé, l’intérêt des Etats-Unis étant alors de faire durer la guerre. Il est probable qu’en Afrique, Wagner obtiendra les mêmes résultats contre les rezzous islamistes de la région. Avec, en échange de leur élimination, une part des revenus miniers.
A la France, la guerre coûte de l’argent, aux Russes elle en rapporte. Bien sûr, ils devront partager l’Afrique avec la Chine et la Turquie, et bientôt, l’Inde. Mais, la France (grand pilleur devant l’éternel et ce depuis l’esclavage et la colonisation) partie, représentera toujours un souci de moins ! C’est déjà ça.
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