« On veut partir ! N’importe où, mais partir ! », lancent de jeunes Erythréens qui tuent le temps sous une toile de tente dans le camp de réfugiés d’Hitsats, en Ethiopie, à quelques kilomètres de la frontière érythréenne.
Le nombre de jeunes en uniforme en atteste : une des causes principales du départ est le service militaire obligatoire, officiellement, de dix-huit mois, mais qui peut durer des décennies. Et en fait de service militaire, les jeunes sont souvent employés aux tâches les plus ingrates par l’Etat, sans salaire. Du « travail forcé », selon l’ONU.
L’Erythrée, un des pays les plus pauvres d’Afrique qui a acquis son indépendance de l’Ethiopie en 1993, après lui avoir imposé une guerre de sécession, figure systématiquement dans les derniers des classements internationaux en matière de libertés politiques, libertés d’expression ou droits humains de base. Arrestations arbitraires, tortures et disparitions d’opposants politiques sont fréquemment rapportées.
Un rapport du Conseil des droits de l’Homme des Nations-Unies dénonçait, en juin, « des violations systématiques, généralisées et flagrantes des droits de l’Homme » par le gouvernement érythréen, qui « peuvent constituer des crimes contre l’humanité ».
Après avoir gagné, en 1991, une guerre d’indépendance de 30 ans contre l’Ethiopie, à la tête du Front populaire de Libération de l’Erythrée (FPLE), Issayas Aferworki est devenu président en 1993. Et l’est resté depuis, sans opposition, ni élection. En l’absence de médias indépendants, même la liberté de religion est menacée.
Décrit par un ancien ambassadeur américain comme un « déséquilibré provocateur », Afeworki, 69 ans, a fondé, ensuite, le seul parti politique du pays, le Front populaire pour la démocratie et la justice, qu’il dirige d’une main de fer.
Même avant l’imposition de sanctions par l’ONU, en 2009, l’économie érythréenne, pratiquement entièrement, contrôlée par l’Etat, était en lambeaux. En 2013, l’Erythrée était 181e sur 187 au classement de l’ONU en matière de développement humain.
Plus de 33.000 réfugiés érythréens ont été enregistrés, en Ethiopie, en 2014, par le Haut commissariat de l’ONU aux réfugiés (HCR), un exode considérable pour ce petit pays de six millions d’habitants.
Dans le camp d’Hitsats, aux allures de petite ville où se mélangent de simples toiles de tentes et des petites maisons de briques, personne ne songe à revenir en Erythrée.
Mais visas et statut de réfugiés dans un pays tiers ne sont accordés qu’au compte-gouttes. A peine un millier d’Erythréens réfugiés, en Ethiopie, se sont vu proposer une réinstallation aux Etats-Unis ou au Canada, par le biais du HCR, en 2014. Les seuls pays européens à avoir offert des places – France, Norvège et Suisse – n’ont accueilli que douze personnes.
Faute de voie légale, les réfugiés se transforment en migrants. Les Erythréens n’ont aucun mal à se fondre dans la population éthiopienne du Tigré dont ils parlent la langue et à passer incognito hors des camps. Les réseaux de passeurs sont très bien implantés.
Tout le monde connaît les tarifs d’un aller simple pour l’Europe : 1.000 dollars pour aller au Soudan, 4.000 ou 5.000 dollars, de plus, pour une place sur une embarcation vers les côtes européennes via la Libye.
Quand ils ne peuvent pas payer, les réfugiés mettent à contribution leurs proches dans la diaspora.
Une fois, en Europe, les Erythréens ont bien plus de chances d’obtenir le droit d’asile qu’en restant dans les camps éthiopiens.
« Je connais les risques. Nos amis nous ont dit exactement ce qui nous attend. Je sais qu’en tant que femme, je risque d’être agressée sexuellement. Un de mes proches est mort en Méditerranée. C’est une question de chance », assure Meaza, une jeune femme de 25 ans, qui a quitté l’Erythrée avec un groupe d’une vingtaine d’amis pour l’Europe et le Canada. « Je veux changer ma vie et celle de ma famille restée en Erythrée », explique-t-elle.
Les grands pays où aiment se rendre les migrants, à savoir, les Etats-Unis, le Canada, la Grande Bretagne, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, pour ne citer que ceux-là, devraient, au-delà des questions d’ordre humanitaire, revoir la position pour ce qui est de certains d’entre eux, à l’endroit des dirigeants des pays exportateurs de migrants. Car si ces derniers quittent leur pays, ce n’est pas, souvent, de gaieté de cœur. C’est, généralement, à cause de la dictature et de la mauvaise gouvernance des dirigeants africains. Hors, les politiques conduites par certains pays d’accueil de migrants à l’endroit de ces dictateurs africains, ne sont pas exempts de tout reproche. Au contraire même parfois. Beaucoup se maintiennent à leur poste grâce aux complicités des pays du Nord. Qu’on ne s’étonne donc pas que les migrants s’invitent en Europe et en Amérique du Nord, par tous les moyens, où ils espèrent moins mal vivre que dans leur pays.
Avec AFP