Consultant international sur l’Afrique et les migrations, Jean-Paul Gourévitch vient de publier un important ouvrage sur « Les migrations pour les nuls », chez First Editions, où tous les aspects de la question sont traités, de façon scientifique. On est loin de l’à peu près, même si son approche attise des passions chez qui le sujet est avant tout politicien. Preuve que l’immigration est au centre de la vie, en France, l’accueil du livre, par certains milieux, a mis de l’huile sur le feu, en créant des polémiques stériles. Les tribunaux aideront, sans doute, à mettre les uns et les autres d’accord. La qualité de l’ouvrage n’est en rien remise en cause. C’est le fruit de 25 ans de recherches de l’auteur.
AFRIQUEDUCATION : Vous dites que « Les Migrations pour les Nuls », c’est votre testament. Pourquoi ?
Jean-Paul Gourevitch : Cela fait 25 ans que je travaille sur le sujet, à la fois, en Afrique, avec les diasporas africaines, en France, et, aussi, sur le plan international. Et, donc, je voulais faire un ouvrage de synthèse, le plus précis, le plus documenté, et, le plus dépassionné possible. Je dirais, le plus objectif, avec tous les guillemets nécessaires.
Avez-vous réussi à atteindre cet objectif ?
Ce sont les lecteurs qui le diront. Ce qui s’est passé, est passé. J’ai été victime d’une cabale, d’une attaque. La cabale vient de l’AFP (Agence France Presse). Une journaliste engagée a publié une dépêche, totalement, à charge, contre l’ouvrage. Cette dépêche a été reprise in extenso par 51 journaux de la presse écrite, télévisuelle, radiophonique, et du net. Mon avocat a demandé un droit de réponse à l’AFP, qui a refusé. Parce que c’est un organisme d’Etat, on ne peut pas lui demander un droit de réponse ? On aurait pu l’attaquer en diffamation, mais l’affaire, en justice, aurait pu traîner 5 ans. Cette cabale a fait que les journaux sérieux, comme, Le Monde, Le Figaro, Le Point, ont reproduit, tel quel, l’article. Mais, j’ai, tout de même, obtenu quelques droits de réponse comme à Rue 89, ou au Nouvel Obs. Mais, pour y parvenir, il a fallu une lettre de l’avocat. Le courrier de l’Atlas a publié, aussi, un droit de réponse, et m’a permis de m’exprimer dans ses colonnes. Le Point a fait un rectificatif. Metronews a refusé, et, on est au tribunal.
Ça, c’étaient des attaques venant de l’extrême gauche et d’une partie de la gauche. Ensuite, il y a eu des attaques de l’extrême droite. Elles n’étaient pas insultantes, mais, elles contestaient les chiffres. Pour l’extrême droite, je sous-estimais l’immigration et son coût : 8,5 milliards d’euros, comme je le dis dans mon ouvrage. Pour l’extrême droite, l’immigration coûte 70 milliards d’euros. J’ai répondu qu’on peut, toujours, discuter. Moi, je donne mes sources, ma démarche et mon mode de calcul. Si ceux qui me critiquent faisaient la même chose, ils arriveraient, à peu près, à mes chiffres qui ne sont pas différents de ceux de l’OCDE. En conclusion, le mieux, c’est de lire l’ouvrage. C’est un travail, particulièrement, fouillé, à partir de 5 monographies, qui traitent, à la fois, de l’immigration et de l’expatriation. L’expatriation coûte, presque, aussi, chère, à la France, que l’immigration. Ceux qui arrivent, en France, et, ceux qui partent de France, coûtent, à peu près, la même chose, à l’Etat. C’est moins de 1% du PIB. Ce ne sont pas des sommes astronomiques, comme le disent certains.
Que contiennent les 8, 5 milliards d’euros ?
La différence, c’est entre ce que les immigrés rapportent, à l’Etat, et, ce qu’ils coûtent à l’Etat français. On peut être plus précis. Les migrants réguliers couvrent plus de 93,7% de leurs dépenses (les dépenses que l’Etat fait pour eux). Par contre, les migrants en situation irrégulière ne couvrent que 27% des dépenses que l’Etat consent pour eux.
Les dépenses, ce sont, d’un côté, les prestations sociales et familiales, les aides au logement, les aides à la formation, l’installation. Il y a, aussi, tous les coûts sociétaux (sécurité, dépenses faites pour lutter contre l’immigration irrégulière, l’hébergement et les reconduites à la frontière). Je parle, ici, des réguliers.
Pour les irréguliers, ce sont les dépenses d’hébergement, tout ce qui relève des reconduites à la frontière, de l’asile, des procédures judiciaires. Avant de statuer sur le sort d’un irrégulier, il y a, environ, 600 jours, en moyenne, pendant lesquels il est à la charge de l’Etat. Mais, ce n’est qu’une petite partie du problème de l’immigration. Ce qu’il faut comprendre, aujourd’hui, c’est que les migrations se sont diversifiées. Les parcours aussi. On a, aujourd’hui, à la fois, des migrations de travail, familiales, sociales, fiscales, politiques, retraitées, et, chacune de ses catégories a des sous-catégories. C’est pour cela que j’ai fait un ouvrage de plus de 400 pages, pour expliquer pourquoi les gens quittent leur pays pour aller dans un autre pays : les motivations des uns et des autres sont très très différentes.
La deuxième idée, c’est qu’autrefois, les migrations, c’étaient des allers retours ou des allers sans retour. Aujourd’hui, les migrations, ce sont des parcours. On va dans un pays, puis, dans un autre pays. Puis, on revient, et, on repart, et, ainsi, de suite.
Quelle est la situation exacte qui prévaut entre l’Afrique et l’Europe ?
L’Afrique est, dix fois, plus peuplée, et, les Africains sont, dix fois, plus pauvres que les Européens. Donc, on n’empêchera pas les Africains d’émigrer, en Europe ou ailleurs. La difficulté, c’est que, pour réussir sa migration, il faut, à mon avis, trois caractéristiques : 1°) Il faut avoir de la force de travail ou de l’intelligence à vendre.
2°) Il faut avoir une capacité financière parce que migrer coûte cher et, une fois qu’on arrive dans un pays, il faut pouvoir survivre.
3°) Il faut un réseau relationnel, dans le pays, où on arrive, pour avoir des contacts avec sa diaspora, pour avoir sa prise en charge. Une immigration réussie, c’est celle qui peut conjuguer la capacité de travailler, la capacité de survivre, financièrement, et la capacité de se créer les relations. Or, beaucoup de gens qui partent, n’ont pas la totalité de ces capacités. Certains croient que ça ne pourra pas être plus mal que chez eux. Mais ce qui est caractéristique, c’est que le désir d’émigration dépend de deux choses. Les facteurs push (je veux quitter mon pays) et les facteurs pull (je suis attiré par un pays). Quand les facteurs push et les facteurs pull s’ajoutent, la migration est, automatique, presque. C’est la géopolitique des flux migratoires dans le monde. Comme c’est un sujet qui devient compliqué, j’ai fait cette synthèse sur les migrations.
On croit comprendre que le monde est un village planétaire, mais pas en Europe.
L’idée de village planétaire est une belle idée, mais elle ne me parait, plus, correspondre à la réalité économique et politique. Pour qu’il y ait village, il faut qu’il y ait une communauté. Aujourd’hui, le monde est traversé par des conflits économiques, politiques, religieux, sociaux, et, dans ce qu’on appelle village planétaire, c’est un peu la cacophonie. Donc, je dirais qu’il n’y a pas un village planétaire, mais, un espace dans lequel chacun essaie de trouver sa place comme il peut, avec beaucoup de difficultés.
Avez-vous l’impression que ce problème d’immigration qui touche au premier point, l’Afrique et l’Europe, soit inscrit dans l’agenda politique des dirigeants des deux parties ?
Il n’y a pas de politique européenne en matière d’immigration. Monsieur Sarkozy avait fait voter un pacte européen pour limiter l’immigration et l’asile, mais, chaque pays agit à sa manière. Et il n’y a, pas non plus, de politique africaine de maîtrise de l’immigration. Chaque pays laisse partir ses ressortissants en pensant que, grâce au transfert de fonds et à l’aide internationale, ça lui rapportera gros, alors qu’en fait, il se prive de ses ressources humaines, financières, et ce que je démontre, c’est que les migrations ont un coût important pour le pays d’origine.
Et, le pays d’origine ne se rend pas compte. Même la France a payé les études pour des gens qui vont s’expatrier, et, il n’y a pas de retour sur investissement.
Que faut-il faire ?
Je crois qu’on n’est pas, encore, à l’état où on pourrait définir une véritable politique, mais, on pourrait harmoniser les politiques de chaque pays. S’entendre, par exemple, sur les politiques fiscales, d’accueil, d’asile, pour éviter que chaque migrant fasse un peu son marché en fonction des avantages qu’il trouve et des inconvénients qu’il trouve, aussi, dans un autre. On n’est pas, encore, prêt pour une politique européenne ou africaine de l’immigration, mais, on peut harmoniser les pratiques.
Et pourtant Frontex existe ?
Frontex a de très petits moyens. En second lieu, Frontex est déchiré entre son souci humanitaire (porter secours aux migrants qui se noient), et son souci de contrôle (combattre l’immigration irrégulière). Et, puis, Frontex ne pèse, rien, face aux mafias qui organisent des trafics.
Où sont ces mafias ?
Elles sont dans les deux continents. Il y a des mafias qui contrôlent les départs. Ce sont des mafias africaines. Il y a des mafias qui contrôlent des arrivées. Ce sont des mafias chinoises, et des pays de l’Est. Et des mafias occidentales qui font venir des gens pour les payer moins cher. La main d’œuvre pas chère, ça arrange beaucoup de personnes. Les mafias sont bien organisées et disposent de beaucoup d’argent. Elles profitent du désir d’émigration, et, spéculent sur le désir d’émigration. On ne sait pas combattre ces mafias car elles sont bien dissimulées et opèrent de façon sournoise.
En France, il y a 2,7 millions de personnes originaires d’Afrique subsaharienne et 3,5 millions de personnes originaires du Maghreb. Mais le nombre d’Africains augmente, plus vite, que celui des Maghrébins car l’immigration africaine est plus importante et, parce que les Africains font plus d’enfants. Les Maghrébines se rapprochent de la moyenne de la natalité française alors que pour la femme africaine, la transition démographique, est une histoire récente.
Cela veut dire que dans dix ou 20 ans, le nombre de personnes d’origine africaine, en France, sera plus importante que le nombre de personnes d’origine maghrébine. Ca va poser problème car entre les deux communautés, ça ne marche pas toujours très bien.
Combien faut-il mettre pour voyager ?
C’est difficile à dire. Prenons un exemple précis : pour quelqu’un qui part du Sénégal, Il faut, au moins, de 8.000 à 10.000 euros ne serait-ce que pour tenir quelques mois. Il faut qu’il puisse vendre sa force de travail pour devenir autonome.
Entre la Chine et la France, c’est beaucoup plus cher. Les arrivants vont travailler, au noir, pour des employeurs, en France, qui vont récupérer l’argent, mis à leur disposition, pour venir. C’est pourquoi il n’y a pas un chiffre. Ce que j’ai voulu faire dans cet ouvrage, c’est montrer la complexité, lutter contre l’amalgame, la désinformation. C’est un travail de passeur, de messager, essayer de donner aux gens des outils pour qu’ils puissent comprendre la complexité de la chose. C’est pour cela que je suis attaqué car certaines personnes ne veulent pas qu’on appréhende la réalité du processus. Ségolène Royal avait dit, autrefois, qu’il faut dépolitiser le problème de l’immigration. On en est loin.
Qu’en est-il de la prostitution ?
En France, elle vient de deux grands centres : le Ghana, le Cameroun, la Sierra Leone, le Nigeria. Mais, on a, aussi, une prostitution des pays de l’Est : Ukraine, Biélorussie, Moldavie, et, une troisième prostitution qui vient des Balkans : Albanie, Kosovo, Macédoine. Ce sont les trois grandes filières de prostitution visibles car il y en a, aussi, qui sont invisibles : la prostitution chinoise, entre autres.
LES MIGRATIONS POUR LES NULS
de Jean-Paul Gourevitch
Editions First Editions
454 pages – 22,95 €