Deux semaines n’ont pas permis à la majorité présidentielle et à l’opposition radicale de s’entendre sur la manière de mener les réformes institutionnelles et constitutionnelles. Malgré un talent de facilitateur reconnu, Mgr Nicodème Barrigah-Benissan ne pouvait se substituer aux parties en présence. C’était trop lui demander.
Qu’est-ce qui n’a pas tourné rond, entre la majorité présidentielle et l’opposition, pour que le dialogue, annoncé à grand renfort de publicité, ce qui a suscité beaucoup d’espoir au niveau des populations, connaisse, finalement, un échec ? Débuté le 19 mai, sous la facilitation de Mgr Nicodème Barrigah-Benissan, évêque d’Atakpamé, et ancien président de la Commission Vérité Justice et Réconciliation, ce dialogue (ou plus précisément sa première phase en attendant que les choses se décantent) a été clôturé, deux semaines, après, par l’adoption d’un rapport, en l’absence de certains principaux partis de l’opposition. Il s’agit de l’ANC (Alliance nationale pour le changement), de l’ADDI (Alliance des démocrates pour le développement intégral) et de la Coalition « Arc-en-ciel ». Bon à savoir : une autre partie de l’opposition a joué le jeu jusqu’à la fin. Il s’agit, notamment, de l’Union des forces du changement (UFC) de Gilchrist Olympio, qui compte trois députés, à l’Assemblée nationale, et quelques ministres dans le gouvernement. Depuis 2010, son président qui est, en même temps, l’opposant historique, Gilchrist Olympio, a cessé d’être celui qui dit, systématiquement, NON, à toute initiative qui vient du pouvoir. Il a choisi de changer son mode de fonctionnement, en participant à la gestion des affaires de l’Etat où il peut peser sur le cours des choses, de l’intérieur. C’est, donc, fort de cette expérience participative qu’il a jugé, bon et utile, de ne pas quitter le dialogue, alors que, si on analyse bien la situation, c’est la majorité présidentielle qui a à perdre, certains de ses avantages qui lui donnent beaucoup de confort. C’est d’elle que l’opposition attend des concessions de taille qui ne peuvent que l’affaiblir. Comment accepter de scier la branche où on est assis, alors que ceux qui vous le demandent ne se montrent aucunement élégants ? C’est la question fondamentale qui se pose dans un contexte où la capacité de rassembler et de convaincre du facilitateur, n’a pas suffi, pour retenir les radicaux de l’opposition. Autrement dit, ils venaient demander à la majorité présidentielle d’accepter de se mettre dans une situation de fragilité, en faisant des concessions de taille. Mais en le lui demandant, elle se sait dans un rapport de force qui lui est totalement défavorable. Tout dépend, donc, du seul bon vouloir de la majorité présidentielle. Mais dans quel pays, a-t-on vu un pouvoir accepter de se saborder de cette manière, juste pour faire plaisir à la partie adverse ? Nulle part dans le monde.
Les deux principaux points de désaccord, ont trait à la limitation du mandat présidentiel et au mode de scrutin à deux tours. L’opposition considère qu’au terme de son deuxième mandat de 5 ans, à la tête de l’Etat, l’actuel président du Togo, Faure Gnassingbé, ne devrait plus se présenter, à l’élection présidentielle de mars 2015. Le parti au pouvoir, Union pour la République (UNIR), dont Faure est le champion toutes catégories, n’est pas du même avis. On ne peut pas changer les règles du jeu au cours du match, a-t-il fait savoir, expliquant qu’il est prêt à examiner cette requête, à condition que cela ne soit point une épée de Damoclès qui pendrait sur la tête du président de la République. Autrement dit, on accepte le principe de la limitation du nombre de mandat, à deux, si le décompte se fait à par tir du prochain mandat de Faure Gnassingbé.
D’autre part, l’interprétation que les uns et les autres donnent aux réformes envisagées, n’est pas la même. Pour l’opposition radicale, disons les choses franchement, le fait que le président porte le nom de « Gnassingbé » gêne. C’est, donc, plus, un problème de personne qu’autre chose.
Pour les partisans du chef de l’Etat, par contre, les réformes souhaitées ont, avant tout pour but, de moderniser les institutions du pays afin qu’elles s’adaptent à l’environnement du moment. Pour la majorité présidentielle, les ajustements considérés le sont, à la lumière de ce que veut le pouvoir togolais, c’est-à-dire, en tenant compte de l’évolution sociopolitique nationale et internationale.
L’opposition étant sous-représentée à l’Assemblée nationale, et pour cause, elle est, largement, minoritaire dans le pays, la majorité présidentielle, pour manifester sa bonne volonté de dialoguer et de trouver des solutions équitables et consensuelles, qui permettent au pays d’aller de l’avant, a marqué son accord pour que les discussions se déroulent sous les auspices d’un facilitateur neutre, en l’occurrence, Mgr Nicodème Barrigah-Benissan, que toutes les parties au dialogue ont accepté. Rien n’obligeait, fondamentalement, la majorité présidentielle de se mettre, autour d’une table, en ce moment précis, puisque l’Etat du Togo fonctionne correctement.
Autre aspect qui n’a pas, suffisamment, été mis en exergue : le fait que ce dialogue n’ait qu’un caractère informel bien que politique. Il n’est inscrit dans aucun texte légal, au Togo, que les deux parties doivent se retrouver pour parler des mandats présidentiels et du vote à deux tours à la présidentielle. Pourtant, c’est nécessaire d’en parler si on veut décrisper l’atmosphère avant l’échéance de mars 2015. Cela dit, qu’on ne perde pas de vue que, dans le cadre de ce dialogue, certains points peuvent faire l’objet d’un consensus, et se voir rejetés, une fois, soumis à l’appréciation des députés, qui, eux, sont des véritables représentants légaux du peuple. Le point de vue de l’Assemblée nationale ne peut être ignoré du gouvernement. C’est pourquoi, en recevant l’opposition radicale, l’année dernière, le président n’avait pas manqué d’avertir que le débat suggéré se terminerait, à l’Assemblée nationale, qui aurait le dernier mot.
D’autre part, la configuration actuelle de l’Assemblée nationale, ne permet pas de faire de grandes réformes, qui pourraient engendrer des débats trop passionnés. Il faut, par exemple, une majorité qualifiée de 4/5e des députés, pour faire passer une réforme ayant trait à la limitation des mandats ou à une élection présidentielle à deux tours. Aucun parti politique, à l’heure actuelle, au Togo, n’est en mesure de disposer, à lui tout seul, d’une telle majorité. Il faudrait, donc, susciter des réformes qui sont possibles d’être réalisées, et qui vont, dans le sens de la modernisation des institutions et de l’Etat de manière générale. Etant donné que l’opposition a beaucoup plus besoin des dites réformes que la majorité présidentielle, il lui appartient, à elle qui est plus nécessiteuse que la majorité présidentielle, de se montrer flexible, et de prendre tout ce que le pouvoir est prêt à lâcher, sans fermer la porte, comme elle l’a, maladroitement, fait, en boudant la fin des travaux. Elle doit savoir que, jusqu’à preuve du contraire, le pouvoir togolais fonctionne, correctement, assis, sur ses deux pieds, et que rien n’urge, pour lui, d’ouvrir un système électoral qu’il maîtrise parfaitement, et qui lui procure le maximum d’avantages.
« Lorsqu’il s’est agi de faire le point sur les positions des uns et des autres concernant le mandat présidentiel et le mode de scrutin, et qu’on n’arrivait, toujours, pas à trouver de consensus, certains partis politiques ont estimé que si on ne parvenait pas à cela, le dialogue n’aurait plus de sens », a rapporté Mgr Nicodème Barrigah-Benissan, pour expliquer le refus des partis de l’opposition radicale, de signer le rapport final. Et d’ajouter : « Chacun peut apprécier, à sa manière. Mais, c’est un dialogue, une étape qui n’a pas permis d’arriver à toutes les conclusions auxquelles les uns et les autres s’attendaient ». Et de conclure en restant optimiste : « ce serait excessif de parler d’un échec de ce dialogue, mais juste une protestation par rapport au fait qu’on ne soit pas parvenu à un accord sur des points aussi importants ».
Très peu représentés à l’Assemblée, après leur défaite aux élections législatives de juillet 2013, les partis de l’opposition, qui se savent, largement, minoritaires dans le pays, auraient tort de penser qu’ils peuvent obtenir, au niveau d’un dialogue informel, qui est une structure ad hoc, des réformes de fond dont le lieu de discussion est l’assemblée nationale et le gouvernement. La démocratie a, également, ses règles, qui doivent être respectées.
Le rapport, même non signé par tous les participants au dialogue, a été adressé au gouvernement et selon le facilitateur, il y aura, de la part de ce dernier, une réflexion et, probablement, les sujets qui ont fait l’objet des discussions, seront débattus à l’Assemblée nationale.