Par Idrissa Fofana, Aristide Koné, Ahmed Cissé, Jean Paul Tédga
A l’occasion des vacances d’été, Afrique Education vous propose de faire connaissance avec les figures historiques qui ont marqué le continent africain. Nous démarrons ce dossier avec cinq noms illustres : le roi Hassan II du Maroc, le colonel Houari Boumediene d’Algérie, le « mwalimu» Julius Nyerere de Tanzanie, les présidents Omar Bongo du Gabon et Gnassingbé Eyadèma du Togo. Dans le numéro 353 du 1er au 15 août, nous parlerons du Ghanéen Kwame Nkrumah, du Guinéen Ahmed Sékou Touré, du maréchal Mobutu Sese Seko, du Tunisien Habib Bourguiba et de l’Egyptien Abdel Gamal Nasser.
LE SAGE GNASSINGBÉ EYADÈMA : MONTRER SA FORCE POUR NE PAS AVOIR À S’EN SERVIR
En Afrique de l’Ouest, c’était connu de tous. Pour parler de leur président, Félix Houphouët-Boigny, les Ivoiriens disaient « Le Vieux». Il n’y avait plus d’explication à donner car l’interlocuteur savait de qui il s’agissait. A sa mort, en décembre 1993, cet honneur fut presque mécaniquement transféré au chef de l’Etat togolais. C’est ainsi que, aussi bien respectueusement qu’affectueusement, la grande majorité des Togolais, y compris, certains ministres donnaient de l’appellation « Le Vieux» pour parler du président. Il faut noter du reste que le chef de l’Etat togolais que nous appelions d’ailleurs à AFRIQUEDUCATION, « Le Sage» (après la mort d’Houphouët, il joua ce rôle à mer-veille au niveau de la CEDEAO et de l’UEMOA), bénéficiait, souvent, d’un petit nom qu’on lui donnait ici et là. Dans l’armée togolaise, par exemple, c’était tout simplement « Mon Général ». Alors que l’armée disposait de plusieurs officiers généraux, on faisait référence à un seul, le général Gnassingbé Eyadèma. Quand vous demandiez par exemple des nouvelles du « Général » ou quand vous essayiez de menacer un militaire en lui disant : « Soldat, je ne suis pas content de vous. Je vais en référer au Général », il se mettait tout de suite au garde à vous. Le Sage avait une très grande autorité sur son armée qu’il façonna, d’ailleurs, à son image : disciplinée, rigoureuse dans les missions qui lui étaient imparties, bien entraînée et apte à faire face à toute situation.
Si le président de la République n’avait pas été un militaire fort et qui suscitait du respect, le Togo, aujourd’hui, serait à l’image de la Guinée Bissau ou de la Sierra Leona. Le fait qu’il ait été un homme à poigne, jus-qu’à sa mort en février 2005, a sauvé ce pays de la déstabilisation.
For t de l’autorité qu’il dégageait de façon naturelle, il a été utilisé pour éteindre des foyers d’incendie et de déstabilisation dans plusieurs pays de la sous-région. C’est dommage qu’on ne parle pas toujours des trains qui arrivent à l’heure, mais s’agissant du Sage Gnassingbé Eyadèma, l’histoire retiendra, peut-être, un jour (car il n’est pas tard pour l’écrire), que c’est grâce à lui que le président Félix Houphouët-Boigny, alors qu’il était déjà affaibli par la maladie et par de fréquents séjours médicaux en Suisse, a conservé son pouvoir jusqu’à la mort, déjouant par la même occasion plusieurs tentatives de coups d’état. Qui sait que la sécurité du président Houphouët, cet homme qui était considéré de son vivant comme le « Sage de l’Afrique » était discrètement assurée par les hommes du président Gnassingbé Eyadèma ?
Le chef de l’Etat togolais a joué, pendant les vingt dernières années de son pouvoir, un rôle stabilisateur en Afrique de l’Ouest, en collaboration par fois avec les présidents français successifs, de Charles de Gaulle à Jacques Chirac, avec lesquels il a entretenu de très bonnes relations. Il marchait droit. Et ne soutenait jamais des actions de déstabilisation. La France officieuse, celle des réseaux, a pu élire domicile, ailleurs, dans un autre pays de l’Afrique de l’Ouest, que nous ne citerons pas, parce qu’il ne voulait jamais cautionner la déstabilisation d’un Etat voisin. C’est la raison pour laquelle il avait convoqué le général Robert Gueï, en janvier 2000, à Lomé, pour lui demander « qui a fomenté le coup d’état » contre le régime du président Bédié ? Après les événements du 19 septembre 2002 qui faillirent emporter le régime de Laurent Gbagbo et qui entraînèrent la division du pays par deux, Lomé fut la première capitale à accueillir les parties ivoiriennes au conflit pour trouver un terrain d’entente. Mais très vite, Guillaume Soro qui fut un interlocuteur de poids dans cette négociation, fut faux bond, après avoir remarqué que le Sage n’entendait pas jouer le jeu des puissances qui voulaient déstabiliser la Côte d’Ivoire.
Telle fut la démarche du Sage Gnassingbé Eyadèma. En très bon militaire respecté, il entretenait d’excellentes relations avec ses frères d’armes qui dirigeaient le Nigeria. Cela leur permettait de parler le même langage quand il fallait acter des solutions en Guinée Bissau (où on se rappelle que feu le général rebelle Ansumane Mané lui donnaient du « Grand Frère » en privé), en Sierra Leone, et au Liberia. Avec le général Olusegun Obasanjo, le Sage a toujours agi dans l’intérêt de l’Afrique et de la sous-région, dans les conflits qu’ils avaient à gérer.
Une petite anecdote : en 2004, AFRIQUEDUCATION fit une pleine page de couverture sur le président Maaouya Ould Sid Ahmed Taya qui venait d’échapper à un coup d’état militaire. Notre magazine combattait farouchement son régime à cause de l’esclavage qui continue de frapper les Négro-Mauritaniens et qui est couvert par le pouvoir tenu par les Maures. AFRIQUEDUCATION avait même créé une rubrique bimensuelle sur l’esclavage en Mauritanie qui était abondamment alimentée. Inutile donc de dire que ce coup d’état militaire (raté) fut salué dans notre magazine. Lors d’un contact téléphonique avec le Sage, alors que ce numéro (encore chez les marchands de journaux) était posé sur son bureau, il nous exhorta de savoir faire la part des choses. Il ajouta qu’il savait bien que le régime de Taya soutient l’esclavage, une pratique qu’il condamnait comme nous à AFRIQUEDUCATION, mais qu’il fallait faire très attention entre ce problème d’esclavage, et les troubles qu’on voulait à tout prix créer dans le pays, en cherchant à évincer son président du pouvoir. Et que notre magazine n’avait pas raison de ne pas condamner cette tentative de coup d’état juste parce que Taya soutenait l’esclavage. Voilà comment fonctionnait le Sage. Ses prises de position étaient sans ambiguïté. Un militaire juste, droit. Un Grand Africain. Un Panafricaniste.