Par Jean Paul Tédga
Après avoir pesé le pour et le contre, consulté ses conseillers et requis l’avis de ses homologues dont quatre se trouvaient, à Lomé, parmi lesquels le président en exercice de l’Union africaine (UA), le Béninois Yayi Boni, le président du Togo, en même temps, président en exercice de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), Faure Gnassingbé, a pris la décision d’extrader l’ancien ministre de la Défense, Moïse Lida Kouassi, en Côte d’Ivoire, à la demande des autorités de ce pays. Ce dernier faisait l’objet, depuis plu-sieurs mois, en même temps que d’autres dignitaires de l’ancien régime, d’un mandat d’arrêt international. Président d’un pays membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies, Faure Gnassingbé a, rigoureusement, respecté le droit international. Rien, sur ce plan, ne doit (ne peut) lui être reproché.
Moïse Lida Kouassi vivait, tranquillement, à Lomé, depuis plus d’un an avec sa famille. Sans aucun problème. C’est, également, le cas de milliers d’Ivoiriens qui ne souhaitent pas encore, pour des rai-sons qui leur sont propres, retourner dans leur pays. Les Ivoiriens du Togo, exilés ou non, vont et viennent dans Lomé, et dans l’intérieur du pays, sans être inquiétés. Le Togo a, toujours, été, pour eux, leur deuxième nation. Qui se sou-vient, encore, qu’après avoir été chassé du pouvoir par le général Robert Gueï, en décembre 1999, Henri Konan Bédié avait commencé son exil par le Togo où il avait été pris en charge, par feu le Sage Gnassingbé Eyadèma? Moïse Lida Kouassi n’avait, donc, pas à s’inquiéter s’il était resté respectueux des règles de l’exil qui lui a été accordé. La faute n’est pas imputable aux autorités togolaises. Elle est le fait de l’ancien ministre qui a continué à mener ses activités politiques, violant les règles d’hospitalité togolaise.
Alors qu’on attendait de lui une discrétion à toute épreuve, Moïse Lida Kouassi s’est répandu dans la presse locale, comme il n’avait jamais fait auparavant, mettant, terriblement, mal à l’aise les responsables de sa nouvelle terre d’accueil, quelques jours, seulement, avant la tenue, à Lomé, du 16e Sommet de l’UEMOA. Il s’est donc mis, volontaire-ment, bêtement, en difficulté, alors qu’il n’avait qu’à observer l’obligation de réserve à laquelle il était astreint pour continuer à se la couler douce au Togo. Cela dit, je ne voudrais pas paraître sec-taire à l’endroit de Moïse Lida Kouassi. Car s’il se retrouvait à Lomé, c’est bien pour une raison. Celle-ci l’avait poussé, en juin 2010, à écrire un ouvrage qu’il avait intitulé, Témoignage sur la crise ivoirienne : De la lutte pour la démocratie à l’épreuve de la rébellion, aux éditions l’Harmattan, à Paris. A l’époque, AFRIQUEDUCATION n’avait pas jugé nécessaire de remuer le couteau dans la plaie, en parlant de ce livre, parce que la Côte d’Ivoire entrait en campagne. Aujourd’hui où Moïse Lida Kouassi devient un prison-nier du système qu’il avait dénoncé dans son ouvrage, nous avons choisi de reproduire (pages 34-35) un chapitre emblématique de celui-ci où, dans la nuit du 19 septembre 2002, il avait failli être assassiné par les rebelles venus faire le coup d’état, à Abidjan, avant que la Côte d’Ivoire ne soit divisée par deux, après l’échec de cette tentative, le Nord tombant sous la gestion des rebelles et le Sud, sous celle des partisans du président Laurent Gbagbo.
En réalité, la Côte d’Ivoire, contrairement, aux apparences, commence à devenir une poudrière. Faure Gnassingbé a raison de ne pas vouloir que la mèche qui pour-rait faire exploser ce pays frère, soit allumée à partir du Togo. C’est son droit le plus absolu.
Président en exercice de l’UEMOA, il a, en outre, l’obligation de préserver la paix dans les huit pays de l’Union. Quel investisseur viendra s’aventurer en Côte d’Ivoire alors qu’elle vit à l’heure des rumeurs d’interminables coups d’état militaires ? Même les amis de Sarkozy ne s’y risquent plus en ce moment. Il faut, donc, laisser Alassane Ouattara travailler, en paix, ou alors, le critiquer à visage découvert, comme l’a fait le professeur Mamadou Koulibaly, président de Lider, et ancien président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, dans le numéro 348 d’AFRIQUEDUCATION. Ce dignitaire du régime déchu a tenu des propos acerbes contre sa gestion actuelle, depuis Abidjan, sans prendre le maquis. Votre bimensuel préféré n’a pas été interdit de vente dans le pays, après les avoir publiés intégrale-ment, sans aucune censure de notre part. Cette interview de l’actuel chef de l’opposition ivoirienne a été reprise ou commentée par la presque totalité de la presse papier ou en ligne de Côte d’Ivoire. Voilà comment le régime actuel devrait être combattu si on n’est pas d’accord avec lui. Se réfugier dans les pays voisins et amis de la Côte d’Ivoire avant de flinguer Ouattara est une attitude de lâcheté répréhensible.
Je félicite Faure Gnassingbé d’avoir eu le courage de poser cet acte qui se veut, également, pédagogique dans la mesure où il montre les limites à ne pas franchir pour tous les autres exilés qui auraient pu être tentés de suivre l’exemple de leur ancien ministre.
Le chef de l’Etat togolais parle très peu, mais il agit, toujours, de façon sensée et avec beaucoup de responsabilité. Il ne s’emporte presque jamais. Il est un homme d’Etat. Alors que nous n’arrivons pas, encore, à bien gérer les crises de Guinée Bissau et du Mali qui s’éternisent sous nos yeux, avons-nous le droit d’accepter, à nouveau, la déstabilisation de la Côte d’Ivoire quels que soient les reproches faits aux uns et aux autres ? Je réponds Non !