Propos recueillis par Jean Paul Tédga
On ne dira pas qu’après avoir fait tomber le régime du général Moussa Traoré, en 1991, au profit du parachutiste Amadou Toumani Touré (ATT), alors qu’il était le secrétaire général de l’AEEM (Association des élèves et étudiants du Mali), Oumar Mariko se soit beaucoup assagi. Médecin de formation et député à l’Assemblée nationale, sans avoir participé au coup d’état qui a emporté ATT, il ne craint pas de dire pourquoi il l’a soutenu en le qualifiant « de salutaire ». Son analyse de la situation politique qui prévaut, actuellement, au Mali devrait être lue et relue par les dirigeants de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest).
AFRIQUEDUCATION: Le Mali est un pays qui ne faisait pas la Une de l’actualité internationale avant le putsch du 22 mars. N’y a-t-il pas des raisons cachées au grand public qui aient conduit à la catastrophique situation que connaît le pays aujourd’hui ?
Contrairement à ce que vous dites, le Mali était connu comme un nid du terrorisme, du narcotrafic, des prises d’otages avec des rançons fabuleuses dans sa partie Nord. Le chef de l’Etat du Mali, Amadou Toumani Touré (ATT), était, de plus en plus, indexé par la communauté internationale comme l’auteur ou le complice de ces activités qui ont transformé le Nord du Mali en un no man’s land. Les Maliens ont vécu avec beaucoup d’indignation, l’intervention des armées mauritanienne et française sur le territoire malien contre les terroristes de groupes d’AQMI (Al-Qaïda pour le Maghreb islamique). Il n’était pas rare d’entendre dire que les présidents mauritanien, Abdoul Aziz, et, français, Nicolas Sarkozy, cachaient leurs informations au président malien ATT de crainte que ce dernier n’informe les terroristes ; ces informations n’ont, d’ailleurs, été démenties ni par ATT ni par son entourage. Cette situation n’est-elle pas révélatrice du système de gestion catastrophique de son régime ? Nous avions, d’ailleurs, en tant que député, adressé une question orale au ministre de la Défense de l’époque qui n’a jamais voulu y répondre. Il est vrai que les élections présidentielle et législatives de 1997, de 2002, de 2007, ont été, fortement, frauduleuses, obligeant la Cour constitutionnelle à faire un aveu de taille. En effet, la Cour constitutionnelle a conclu que le Mali s’est installé dans la fraude à demeure. Il est, aussi, vrai que cette Cour constitutionnelle n’a, jamais, pris ses responsabilités pour annuler les différents scrutins. Elle a, toujours, évoqué des questions financières et dit que la communauté internationale n’était pas prête à organiser de nouvelles élections car c’est elle qui paye la facture. Où se trouve notre souveraineté en la matière ? Cette même communauté internationale a, toujours, donné des bons points au régi-me malien pour avoir accepté toutes ses propositions malgré la corruption, les détournements de deniers publics, la gabegie financière dont le régime faisait montre au grand jour. Elle a servi de franchises pour le régi-me présenté comme démocratique alors qu’il s’agissait d’un mirage. En réalité, la démocratie malienne se limitait à une liberté de presse relative, alors que les droits humains essentiels étaient réels pour une minorité de la population et un vrai mirage pour la grande majorité du peuple.
Pour comprendre le fait que le Mali n’était pas à la Une de l’actualité internationale, il faut savoir que cette communauté internationale s’est fait prendre dans son propre jeu d’une par t, d’autre par t, l’opportunisme des dirigeants politiques contre les intérêts du peuple qui se sont englués dans un consensus combiné au jeu trouble de la communauté internationale, tout ceci a fardé la situation et couvé la poudrière malienne. L’opposition muselée était inaudible, ainsi que, toutes les luttes sociales menées par les différents secteurs socio-économiques. On comprend, alors, que le monde soit surpris par le coup d’état que j’ai qualifié de salutaire.
Amadou Toumani Touré (ATT) n’avait pas soutenu l’intervention de l’OTAN en Libye. Il avait aussi refusé de signer, contrairement, à plusieurs de ses homologues africains, le fameux « Accord de gestion concertée des flux migratoires et de codéveloppement » que lui proposait l’ancien président français. Ses difficultés ne viennent-elles pas de ce double refus ?
Sur ce point, je dirais qu’ATT avait des raisons personnelles pour ne pas soutenir ces deux décisions. En fait, il a hésité, longtemps, sous la pression aussi de la rue malienne, qui n’était pas favorable à la signature de ces accords et qui était opposée à la guerre de l’OTAN. Il a fini par lâcher Kadhafi et a manœuvré pour casser le mouvement social et politique de soutien à la Libye. Ces positions n’ont pas été déterminantes dans sa chute ; je dirais, plutôt que, l’effritement du tissu social, l’injustice dans tous les secteurs, la pauvreté grandissante, le comportement sans scrupule de la nouvelle bourgeoisie née du népotisme, de l’affairisme, des détournements des deniers publics, etc., et pour couronner le tout, la déliquescence de l’armée malienne face à la rébellion du Nord (le monde entier a suivi l’interpellation de ATT par les épouses, mères et sœurs des militaires), ont été le ras- le-bol interne qui a précipité la fin de son régime. Sinon, comment pouvez-vous comprendre l’acharnement de la communauté internationale à vouloir remettre son régime en selle ?
Avec beaucoup de rapidité et de courage, on vous a vu soutenir le putsch du capitaine Sanogo ? Pourquoi un tel soutien alors qu’ATT laissait le pouvoir deux mois seulement après ?
Avez-vous la certitude qu’ATT allait quitter le pouvoir ? Comment pensez-vous qu’ATT aurait pu faire des élections alors que cela était impossible sur une grande partie du territoire national ?
Notre parti (Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance – SADI, ndlr) avait demandé la démission du régime précisément le 9 février 2012. Pour deux raisons.
1) Le fait que les élections n’étaient pas possibles car le fichier n’était pas prêt, la Cour constitutionnelle avait donné un avis négatif quant à la tenue du référendum qui était couplé avec la présidentielle (cet avis émis depuis le 13 mars 2012 avait été caché au peuple) et de nombreux Maliens vivant au Nord étaient réfugiés dans les grands centres urbains, au Niger, au Burkina Faso, en Mauritanie et en Algérie, dans des conditions de vie difficiles.
2) La deuxième raison majeure était l’occupation de deux-tiers du territoire avec la possibilité pour la rébellion de semer l’insécurité et la panique aux portes de la région de Ségou et de Kayes.
Au niveau de SADI, nous avions dit à la classe politique malienne : asseyons-nous autour de la table pour discuter et trouver une solution à la guerre au Nord. Après, nous parlerons des élections. Nous n’avons pas été entendus. Alors, nous avons demandé à ATT de démissionner. Et c’est dans cette situation que nous avons assisté au coup d’état que nous avons salué et soutenu. Je précise que le coup d’état est proscrit dans un Etat démocratique, mais, pas dans un pays où tous les droits sont bafoués.
Le coup d’état a réussi mais le capitaine Sanogo a échoué dans sa volonté de s’installer à la tête de l’Etat malien pour assurer la transition. La CEDEAO n’a-t-elle pas bien décidé en demandant aux put-schistes de retourner dans leurs casernes ?
Je pense que non. Mais l’histoire nous édifiera. Je ne parlerais pas d’échec, Sanogo visait un objectif et il n’a pu mettre à exécution toutes ses stratégies pour le moment. On ne peut pas faire un coup d’état par simple plaisir de le faire. La CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) a outrepassé ses compétences et se dessine comme un instrument de réinstallation de l’ancien régime au pouvoir; c’est invraisemblable !
Aujourd’hui, la transition malienne est assurée par le président Dioncounda Traoré et le premier ministre Cheik Modibo Diarra. Cette architecture vous semble-t-elle à même de permettre au Mali de relever le défi de la transition en douze mois ?
Cet attelage ne correspond à aucun dispositif constitutionnel ; il est le fruit d’une prise de position politique dont la CEDEAO seule détient le secret. Cet attelage manque égale-ment de légitimité !
Cheik Modibo Diarra n’étant pas de l’ADEMA, sa tâche ne sera pas facile.
Condamnez-vous l’agression qui a conduit le président Traoré à venir se soigner en France fin mai ? N’est-ce-pas dommage pour la démocratie malienne de se retrouver dans une situation où le président de la République fût-il de transition, est moles-té dans son propre bureau par de vulgaires personnes dont plusieurs courent encore ?
Cette agression a été condamnée par SADI, la COPAM (Coordination des organisations patriotiques pour le Mali). Notre culture ne permet pas de lever la main sur un aîné, a fortiori, un aîné septuagénaire et président (de la transition, ndlr) de surcroît. La justice, je l’espère, mettra tout en œuvre, pour que les auteurs soient identifiés et punis. Je souhaite que cette situation ne connaisse pas le même sort que celui du Sergent Moussa Diarra en 1997. Un policier qui a été lynché par la foule suite aux élections truquées organisées par Alpha Oumar Konaré, et contestées par une bonne partie de la classe politique ; le policier évacué sur l’hôpital, s’est retrouvé mort en tenue, lui qui était habillé en civil…
Déjà près de deux mois que le premier ministre, Cheik Modibo Diarra, est en fonction. Remplit-il convenablement sa feuille de route ? Avez-vous des conseils à lui donner pour améliorer son travail et celui de son gouvernement ?
J’ignore la feuille de route du premier ministre. La CEDEAO avait dans le cadre de l’accord cadre, promis qu’une concertation nationale se tiendra pour donner une feuille de route au PM. Voilà la CEDEAO qui nie cette démarche. Le premier ministre, pour réussir, doit en premier chef, s’appuyer sur le Peuple Malien. Ceci ne peut se faire sans les actes de la Convention qui viennent de se tenir les 21 et 22 mars 2012. Qu’il mette en œuvre, rapidement, ces actes qui lui donneront les coudées franches pour engranger de réels succès.
On a du mal à vous comprendre, vous les Maliens. Au lieu de faire l’union sacrée pour chasser les imposteurs islamistes et les indépendantistes du MLNA qui occupent le Nord du pays, vous les renforcez au contraire en n’arrêtant pas de vous chamailler à Bamako. Quel est cet état d’esprit négatif qui anime les politiciens maliens dont vous faites partie ?
En fait, ceux qui sont responsables par leurs actes politiques de la rébellion et de l’état de déliquescence de notre économie, veulent, par le biais de la communauté internationale, se réinstaller. Sachez que la rébellion fait des misères au sein du peuple, mais sachez que des gens en vivent… Suivez mon regard !!
A SADI, nous sommes positifs car notre objectif est le maximum de bon-heur pour le maximum de Maliens. L’Union sacrée est en marche depuis la Convention, nous sommes dans un processus, souhaitez-nous bonne chance, le peuple malien se retrouvera.
Le président en exercice de l’Union africaine, Yayi Boni, qui a rencontré son homologue français, François Hollande, le 29 mai, à Paris, va demander une intervention militaire au Conseil de sécurité, pour libérer le Nord du Mali. Comment réagissez-vous ? Le fait que Yayi Boni s’implique, au nom de l’Union africaine, aux côtés du médiateur Blaise Compaoré et du président en exercice de la CEDEAO Alassane Ouattara, n’est-ce pas une très bonne chose, puisque tout le monde a constaté que les Maliens sont totalement dépassés par les événements qui les accablent ?
En quoi sommes-nous dépassés ? Amadou Haya Sanogo a toujours dit : nous avons besoin de matériels et de logistique. Ces besoins bien définis ont-ils été satisfaits ? A ma connaissance, non. Au contraire, l’achat de matériel militaire effectué par les militaires est bloqué, justement, par certains présidents de la CEDEAO qui prétendent aider le Mali. Que l’on mette à disposition la demande formulée et que l’on juge après.
Depuis que la crise secoue le Mali, on a entendu à peine le président Alpha Oumar Konaré. Même si vous n’êtes pas un de ses proches, pour-quoi se mure-t-il dans un tel silence alors que c’est justement maintenant que le Mali a besoin de son expérience pour s’en sortir ?
Posez-lui directement la question.
Où se situe exactement SADI dans l’échiquier politique malien ? Quels sont les partis que vous combattez ? Quels sont ceux dont les idées sont proches des vôtres ?
SADI était il y a, seulement 3 mois, l’unique parti d’opposition au parlement. Nous n’avons pas de partis à combattre, nous avons un idéal à défendre : la justice, l’égalité, l’épanouissement de notre peuple, l’union libre des peuples libres d’Afrique dans l’exercice de leur pleine souveraineté, conformément, aux vues des présidents Modibo Keita, Kwame Nkrumah, Ahmed Sékou Touré, Abdel Gamal Nasser, dans un élan de dépassement. Nous combattrons ceux qui seront à l’antithèse de cette démarche. Avec la nouvelle don-ne, nous sommes, de plus en plus, proches de nos compatriotes. Beaucoup de partis, associations et ONG du Mali, vont dans ce sens !!
Une question personnelle pour terminer : de la mythique AEEM (Association des élèves et étudiants du Mali) dont vous fûtes le charismatique leader, au SADI dont vous êtes le géniteur, vous ne vous êtes pas assagi. Vous êtes toujours prêt pour la révolution. Quel est votre secret pour rester aussi vif et combatif ?
L’AEEM n’a jamais été un mythe, c’est une réalité vivante qui a pleine-ment joué son rôle en son temps. Avant l’AEEM, j’ai été militant et dirigeant de l’UNEEM (Union nationale des élèves et étudiants du Mali, ndlr) et membre fondateur du Comité d’Initiative Démocratique (CNID dirigé par Me Mountaga Tall, ndlr). J’ai donc été de tout le temps très sage. La sagesse signifie, ne pas cautionner l’injustice et la violation des droits humains, être pour le bonheur de tous étant sensible à la misère des autres. Je suis toujours prêt pour engager le processus de changement positif pour les populations.
Mon secret ? La sensibilité profonde aux aspirations profondes de mon peuple, de tous les peuples épris de paix et de justice. L’indifférence n’est pas ma nature !