Par Jean Paul Tédga
Le procureur du tribunal militaire du Kef, dans le Nord-Ouest de la Tunisie, a requis la peine capitale pour l’ancien président, Zine El Abidine Ben Ali, poursuivi pour « complicité d’homicides volontaires ». Il a demandé « les sanctions les plus sévères possibles » pour ses 22 co-accusés, anciens hauts responsables du régime, poursuivis pour la mort d’au moins 22 personnes à Thala et Kasserine, deux villes du Centre qui ont payé un lourd tribut au soulèvement populaire qui provoqua la fuite en Arabie Saoudite de Ben Ali, le 14 janvier 2011. Le verdict devait être donné alors que le magazine était sous presse.
L’ancien président tunisien faisait, déjà, l’objet de dizaines d’actions en justice devant les justices militaire et civile. Conséquence, il cumule, au civil, des condamnations allant jusqu’à 66 ans de prison, notamment, pour détournements de fonds, trafic de drogue et abus de biens publics. Il fait, égale-ment, l’objet, avec son épouse, Leïla Trabelsi,d’un mandat d’arrêt international. Mais l’Arabie Saoudite n’a jamais, jusqu’à présent, répondu aux demandes d’extradition tunisiennes.
Le cas de Zine El Abidine Ben Ali est révélateur de ce que les élites africaines peuvent vouloir quelque chose et son contraire. Jamais Ben Ali n’aurait lâché le pouvoir de son plein gré, s’il n’avait pas été contraint et forcé de le faire. Et pour cause, après avoir dirigé la Tunisie, pendant un quart de siècle, d’une main de fer, sans aucun espace de liberté, il n’avait aucune certitude qu’en abandonnant le pouvoir, ceux à qui il avait fait du mal, le laisseraient tranquille. Qu’il eut choisi de rester en Tunisie ou ailleurs, la justice aurait été à ses
trousses. A la tête d’une fortune colossale, il n’était pas sûr que les Tunisiens lui colleraient la paix. Il serait, tous les jours, à la mer-ci des procédures judiciaires qui rendraient pénible sa vie quotidienne. Il vivrait un stress permanent, lui et sa famille, qui ruinerait sa santé. Bref, c’était aussi compliqué pour lui d’abandonner le pouvoir que de le conserver. La majorité des dirigeants africains sont dans ce cas de figure. Certains ne s’accrochent pas au pouvoir pour la (simple) volonté d’y rester. Beaucoup d’entre eux refusent de partir par peur d’avoir à affronter la justice et les humiliations qui s’en suivent. En effet, un ancien chef d’Etat qui ne dispose plus de son immunité, peut être interpellé et jeté en prison, partout, pour des faits qu’il a commis dans l’exercice de ses fonctions. Cette idée hante le sommeil de quelques-uns.
Il appartient, donc, aux Africains d’être conséquents avec eux-mêmes, en ne voulant pas à la fois, le beurre et l’argent du beurre. S’ils veulent que leurs dirigeants quittent le pouvoir parce qu’ils y sont depuis plusieurs années, ils doivent leur donner des garanties suffisantes qu’ils continueront à vivre, décemment, sans être inquiétés, une fois qu’ils auront abandonné le pouvoir. Cette hypothèse suppose une très grande hauteur de vue. Un dépassement de soi qui transcende la haine et les frustrations qu’on a vécues. Cela suppose, aussi, qu’on n’ait pas l’œil rivé sur le rétroviseur même si rien ne doit être oublié. Cette hypothèse suppose, enfin, un bon compromis sur le standard de vie que l’ancien chef d’Etat doit mener et sur la nature de ses biens qu’on doit accepter de considérer comme étant des « Biens bien acquis ». En y mettant de la volonté et un minimum de bonne foi, et sur tout d’intelligence et de bon sens, il n’est pas difficile de trouver un compromis avantageux en ter mes de for tune. Cette for tune ne serait plus l’objet d’aucune contestation car elle serait sécurisée et reconnue par toutes les instances internationales, comme étant légitime.
Par ces temps de vaches maigres, où chaque pays essaie de trouver les moyens pour s’en sortir, les Africains doivent aborder des sujets qui fâchent, comme celui de la longévité au pouvoir de leurs dirigeants. C’est la seule et unique façon d’anticiper les conflits internes provoqués par de longs règnes. Il sera très difficile, dans les prochaines années, peut-être même dans les prochains mois, de truquer une élection pour conserver son pouvoir, dans un pays africain. Quand on a vu un chef d’Etat comme Nicolas Sarkozy, quitter le pouvoir, tête baissée, contre son gré, après y avoir mis, seulement, cinq petites années, et que Barack Obama, l’homme le plus puissant de la terre, n’aura droit, au mieux des cas, qu’à huit années de présence à la Maison Blanche, les Africains, devraient, eux-mêmes, favoriser des solutions d’alternance, et éviter qu’on les leur impose de l’extérieur. Car ça finit parfois par des guerres civiles, tous les pays africains ne disposant pas de la maturité du Sénégal.
Même la Chine, que beaucoup de dirigeants africains copient, et où le parti unique est omniprésent, a, depuis long-temps, résolu, de façon consensuelle, la question de l’alternance au pouvoir : sauf cas de force majeure ou de haute trahison, le président chinois a droit à deux mandats de cinq ans. Pas plus. Les dirigeants africains auraient intérêt, au nom de leur propre survie, à suivre ce mouvement.