De Aristide Koné
Le départ de Nicolas Sarkozy de l’Elysée signe la fin de la récréation chez les partisans du président Alassane Ouattara. Désormais, ceux-ci sont sur la sellette. Le procureur de la Cour pénale internationale, Luis Moreno-Ocampo, a annoncé d’autres inculpations. Il y a de quoi redouter le pire, du côté du pouvoir en place. Se dirige-t-on, enfin, vers une justice équitable ?
C’est un dossier explosif que le procureur argentin, Luis Moreno-Ocampo va laisser, le 8 juin 2012, date de la fin de son mandat comme procureur de la CPI (Cour pénale internationale), à son successeur, la Gambienne Fatou Bensouda. Après avoir laissé croire, un moment, au président Alassane Ouattara, au lendemain de son instal-lation à la tête de l’Etat, qu’il n’avait pas de raisons de s’inquiéter, et que ce qui lui était demandé, c’était d’assurer le transfèrement de Laurent Gbagbo, dans de bonnes conditions, auprès de la CPI, il parait tout à fait indiqué, aujourd’hui, pour Alassane Ouattara, que c’était l’acte à ne pas poser. Car il a coupé, ainsi, la branche sur laquelle il est lui-même assis. La question est cependant de savoir s’il pouvait faire le dos rond alors qu’il était littéralement pressé par des organisations des droits de l’homme qui rivalisaient toutes, d’ardeur pour demander à tour de rôle, l’inculpation de Laurent Gbagbo par la CPI ?
Aucune justice indépendante, surtout pas celle de la CPI, ne pouvait garantir l’impunité aux tueurs en séries qui gravitent dans l’entourage présidentiel, et qui avaient, des mois durant, permis à Alassane Ouattara d’arriver au pouvoir. D’autre part, Ocampo a une crédibilité à préserver qui peut le servir, ailleurs, sa carrière n’étant pas terminée. Il a donc intérêt à laisser une image d’homme impartial même s’il ne s’est pas rendu service à lui-même en n’inculpant que des prévenus africains. A cet égard, il traînera pendant longtemps l’image d’un procureur sectaire voire raciste. L’Afrique est-elle le seul continent qui abrite les hors la loi et les malfaiteurs de tout acabit ? Pourtant, il n’a fait que prospecter en Afrique comme si on ne déplorait pas des crimes de guerre ou contre l’humanité en Asie ou au Moyen-Orient, par exemple ? Laurent Gbagbo a comparu le 5 décembre 2011 devant la CPI, après qu’il fut discrètement livré à Ocampo par son successeur, dans la nuit du 29 au 30 novembre 2011. L’ancien président est accusé de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, ayant abouti à la mort de près de 3.000 personnes, en quatre mois de conflit. Mais cela dit, même la justice des vainqueurs a aussi ses limites. Pour faire la guerre, il faut être au moins deux. Celle opposant Gbagbo à Ouattara, a provoqué des dégâts dans les deux camps, sans qu’on sache, exactement, qui était responsable de quoi, quand et comment ? Il va donc de soi que Gbagbo ne devrait pas continuer de se retrouver tout seul dans sa cellule.
La grosse prise qui risque de faire beaucoup de bruits, à laquelle on s’attend à Abidjan et contre laquelle Alassane Ouattara est sur ses gardes, c’est incontestablement l’actuel président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro. Ce dernier serait une prise idéale pour Ocampo ou Bensouda. Car pour avoir été le secrétaire général du MPCI (Mouve-ment patriotique de Côte d’Ivoire), puis des Forces Nouvelles, sans oublier le poste de ministre de la Défense dans le gouvernement parallèle composé sous son autorité en tant que premier ministre d’Alassane Ouattara, alors même que le camp Ouattara était acculé à l’hôtel du Golf, après la proclamation de l’élection présidentielle, Guillaume Soro devrait avoir de gros soucis à se faire, d’autant plus que lui, et Ouattara, ne peuvent plus compter sur le parapluie élyséen, Nicolas Sarkozy ayant été congédié par les Français.
Le dossier, en réalité, est plus que compliqué. Accusé par Laurent Gbagbo d’être le bras financier de la rébellion qui avait failli le renverser en septembre 2002, Alassane Ouattara serait lui-même un pensionnaire de la CPI s’il ne bénéficiait pas de l’immunité que confère la fonction de président de la République. Ce qui n’est pas le cas de Guillaume Soro ainsi que de ses principaux lieutenants. La logique de la CPI est implacable : si Gbagbo est enfermé à Scheveningen, c’est parce qu’il fut le donneur direct ou indirect d’ordres de tueries massives, en tant que président de la République. Il ne peut se soustraire à une telle responsabilité au regard de sa qualité passée de chef suprême des forces armées au moment des faits. Ayant été leur chef politique direct, l’actuel président de l’Assemblée nationale devrait s’expliquer sur les exactions commises de septembre 2002 à la présidentielle de 2010 par les Forces Nouvelles. Par la suite, il est aussi accusé de violations des droits de l’homme commises par les mêmes Forces Nouvelles, quand elles conduisaient la bataille de la prise du pouvoir. Dans son rapport du 6 octobre 2011, Human Rights Watch a cité, nommé-ment, Martin Kouakou Fofié, Eddie Médi, Fofana Losséni, Chérif Ousmane et Ousmane Coulibaly, comme « étant responsables soit au titre de leur participation directe, soit au titre de leur responsabilité de commande-ment de certains crimes graves », sans que cela n’ait une quelconque suite judiciaire. A l’époque, ils émar-geaient tous dans les Forces Nouvelles. La justice ivoirienne qui n’était pas compétente jusque là, l’est subitement devenue dès lors que les proches d’Alassane Ouattara étaient mis en cause. Ainsi, le président de la République a opportunément créé une commission nationale chargée d’enquêter sur les crimes de guerre, alors que la CPI est déjà saisie de la question. A la CPI, on pense que la création précipitée de cette Cour n’est qu’une façon de soustraire certaines personnes gênantes des fourches caudines de la CPI. Du coup, cette dernière a décidé d’ordonner elle-même les poursuites, ce qui n’arrange pas beaucoup les affaires du président de Côte d’Ivoire qui, tenait un double langage sur cet-te question : tantôt il disait qu’il ne protège personne dans son camp, s’affichant comme un chef d’Etat juste et impartial, tantôt, il manœuvrait pour soustraire certains de ses parti-sans de la justice.
L’arrestation prévisible de Guillaume Soro en vue de son transfèrement à La Haye serait un coup dur pour le président de la République. Selon certaines sources, c’est parce qu’il a senti la perte de toute prise sur les événements et que même le calendrier de ceux-ci lui échappait qu’il a, de son propre chef, accéléré la procédure de désignation de Soro à la présidence de l’Assemblée nationale. Sans respecter les conditions d’âge, il l’a placé à la tête de cette institution, violant, volontairement, la constitution.
Objectif : montrer à Soro que, lui, Ouattara pouvait, aussi, se plier en quatre, pour lui renvoyer l’ascenseur. Mais en tout bon chef de guerre, Guillaume Soro aurait pris des mesures pour sa sécurité. Pas moins de 300 personnes en armes assurent sa sécurité. Ils sont basés à Bouaké, une ville totalement infiltrée par une milice à sa solde, qui échappe à l’autorité du chef d’état-major le général Soumaïla Bagayoko.
Alassane Ouattara avait beaucoup misé sur Nicolas Sarkozy, président de la République, pour sortir indemne des accusations qui pèsent sur lui et sur ses partisans. Mais sa défaite le 6 mai l’a plongé dans une grande souffrance, ce qui aurait d’ailleurs, selon nos sources, motivé son séjour privé, entre les deux tours de l’élection. Le 7 mai, à 13h30, bien que battu, son « ami personnel » l’a, néanmoins, reçu, sans protocole, sur le perron de l’Elysée. Objet de cette rencontre : la stratégie à adopter vis-à-vis du pouvoir socialiste, très proche du FPI de Laurent Gbagbo ainsi que le dossier CPI.
Contre mauvaise fortune, Ouattara a été obligé de faire bon cœur, en faisant lire, le soir même, une lettre de félicitation, au président élu François Hollande, dans le journal de 20h00 de ce que les Ivoiriens appellent depuis avril 2011, « Télé Ouattara » : « Monsieur le Président, j’ai suivi avec beaucoup d’intérêt votre élection à la magistrature suprême de la République française. En cette circonstance, il m’est agréable de vous adresser, au nom du gouvernement et du peuple ivoirien, ainsi qu’en mon nom personnel, mes très vives et chaleureuses félicitations ».
Ouattara va perdre au change, quand on voit le faste républicain qui fut mis, fin janvier, pendant sa visite d’Etat en France, chez l’ami Sarkozy. Le président de Côte d’Ivoire est d’autant plus désarmé vis-à-vis de la CPI que les mandats d’arrêt de Luis Moreno-Ocampo vont à nouveau atterrir chez les partisans de Laurent Gbagbo. On cite pèle mêle, l’ex-général de la jeunesse, Charles Blé Goudé, actuellement, en Gambie, Mao Glofiéhi, Brou Amessan Pierre Israël, ainsi que les généraux Dogbo Blé Bruno et Vagba Faussignaux. On n’imagine pas la CPI procéder à ces nouvelles interpellations dans le camp de Gbagbo alors qu’elle ne fait pas la même chose dans celui du président Ouattara.