De Serge Mikouagna, à Libreville
C’est parti pour la grande amitié entre Mahamadou Issoufou, le chef de l’Etat du Niger, et, son homologue du Tchad, Idriss Déby Itno. La 14e session ordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement des pays de la Commission du bassin du Lac Tchad (CBLT) leur a donné l’occasion de renforcer leurs liens. Des retrouvailles qui ont permis la constitution d’un bataillon équipé par les pays membres (Niger, Tchad, Nigeria et Cameroun), et qui devra faire face aux menaces terroristes et des trafiquants de toutes sortes qui écument ce Bassin. Mais en marge de ce Sommet auxquels ont pris, également, part le président du Nigeria, Goodluck Jonathan, et, le Centrafricain François Bozizé, Déby a souhaité qu’Issoufou l’introduise, le plus vite possible, auprès de l’équipe du nouveau président français, François Hollande, qui, à ses yeux, est une énigme.
Le président du Niger va donc faire contre mauvaise fortune bon cœur, pour rendre service à quelqu’un qui est responsable de la mort d’un de ses amis, le mathématicien et homme politique de gauche tchadien, Ibni Oumar Mahamat Saleh. La disparition d’Ibni en 2008, dont le corps n’a jamais été rendu à la famille pour faire le deuil, reste en travers de la gorge de Mahamadou Issoufou et des socialistes français. Pour preuve, quatre années après ce for fait (le régime de N’Djamena est accusé d’avoir brûlé son corps dans l’acide), le sénateur socialiste français, Gaëtan Gorce, continue de mener un combat au niveau des instances judiciaires européennes pour que la vérité soit rétablie. Les assassinats des opposants pendant le long règne d’Idriss Déby (22 ans) sont nombreux. Les détournements de fonds aussi. Sans oublier beaucoup d’atteintes aux droits de l’homme.
Il faut dire que même s’il a été favorisé par la session de la CBLT, le rapprochement d’Idriss Déby Itno de son homologue du Niger, Mahamadou Issoufou, a connu une accélération après la mort du colonel Mu’ammar al Kadhafi. Considérée comme une grande perte pour le leader tchadien, la mort du dirigeant libyen est synonyme de manque à gagner en termes d’armes, de munitions et d’espèces sonnantes et trébuchantes pour combattre les rebelles tchadiens. Perdre tous ces avantages du jour au lendemain, ne se digère pas facile-ment. Et Déby visiblement ne l’accepte pas, d’où le choix d’un bouc émissaire en la personne de Jean Ping, président de la Commission de l’Union africaine (UA). Pour Déby, en effet, Ping n’a pas fait ce qu’il fallait pour maintenir l’intégrité physique de Kadhafi et territoriale de la Libye. Il porte la lourde responsabilité de sa mort.
Le président tchadien oublie qu’en tant que chef de secrétariat, Ping n’est là que pour appliquer les décisions prises par les 54 chefs d’Etat du continent. Il ne décide pas à leur place. De plus, il lui était impossible de mettre en bon ordre, une seule et même musique continentale, chaque président prêchant pour sa chapelle, au grand bonheur des Occidentaux qui en voulaient à Kadhafi depuis des lustres. Les vrais responsables de l’assassinat du colonel libyen, sont la France de Nicolas Sarkozy, les Etats-Unis de Barack Obama et l’OTAN, trio qui a mené d’incessantes frappes de destruction massive qui ont rasé une partie du pays.
Pourtant, la position défendue par Déby l’est également par l’Afrique du Sud qui, au passage, avait bien voté « la résolution de la mort » qui avait don-né le feu ver t aux frappes « humanitaires » destinées à préserver les vies, avait-on expliqué, au Conseil de sécurité.
Alors que de par sa fonction de président en exercice de la CEEAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale), zone géographique à laquelle appartient le Gabon, Déby devrait être le principal soutien à la candidature de Jean Ping à sa succession comme président de la Commission de l’UA pour quatre autres années, il s’est transformé, contre toute attente, en principal pour fendeur de cette candidature, en reprenant à son compte les arguments très politiciens et démagogiques des anti-Ping. On a par exemple été surpris d’entendre le président tchadien soutenir, comme Pretoria et les pays de la SADC, que depuis la création de l’UA en juillet 2000, à Lomé, aucun ressortissant de l’Afrique australe, sous-région à laquelle appartient l’Afrique du Sud, n’a encore présidé aux destinées de cette organisation. C’est en partie vrai, sauf que le Tanzanien Salim Ahmed Salim, originaire de cette même sous-région, a dirigé la défunte OUA (Organisation de l’Unité africaine) pendant trois mandats pleins de septembre 1989 à septembre 2001, sans être contesté par personne. La réélection de Jean Ping à Addis Abeba, fin janvier 2012, n’ayant pas été possible à cause de la division des pays membres, le nouveau président en exercice de l’UA, le Béninois Yayi Boni, a convoqué un Sommet à cet effet, samedi 17 mars, à Cotonou. Y étaient conviés uniquement les présidents en exercice des cinq ensembles sous-régionaux du continent, ainsi que les chefs d’Etat du Gabon et de l’Afrique du Sud. Si l’Afrique de l’Est représentée par le premier ministre éthiopien, Meles Zenawi, et la CEDEAO présidée par le chef de l’Etat de Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, sont, clairement, favorables à la reconduction de Jean Ping, le président de la CEEAC qui devait être le plus grand défenseur du candidat gabonais, a étonné en soutenant, plutôt, la candidate de l’Afrique du Sud, Xhosazana Dlamini-Zuma. Un soutien considéré comme une trahison au Gabon où Idriss Déby Itno est perçu comme un authentique fils du pays. Un coup de poignard dans le dos de Jean Ping qui a mis Ali Bongo Ondimba hors de lui. Surpris et choqué par l’attitude de son homologue tchadien, il a carrément claqué la porte du Mini-Sommet de Cotonou, avant d’être repris in extremis par son frère et ami le président hôte, Yayi Boni. Les Gabonais ont du mal à avaler la pilule que tentent de leur faire ingurgiter les présidents sud-africain et tchadien.
Car du côté sud-africain comme tchadien, on a visiblement la mémoire courte. Jacob Zuma, qui a gravi tous les échelons de l’Etat au côté de Nelson Mandela, sait comment ce dernier appréciait le défunt président du Gabon, le patriarche El Hadj Omar Bongo Ondimba. Pendant les durs moments de l’apartheid que vivaient les Noirs sud-africains, le soutien (multiforme) du patriarche était de tous les instants. Jacob Zuma se souvient, sans doute, aussi (il aurait la mémoire cour-te de l’oublier) de la première visite historique de Nelson Mandela, hors d’Afrique du Sud, en tant qu’homme libre, au Gabon. Madiba remerciait, ainsi, par ce geste symbolique sans prix, la légendaire générosité dont l’ANC et lui-même, furent l’objet, pendant leurs très longues années de souffrance. Cette visite eut lieu en 1991, quelque temps, après sa sortie de prison. Pour la petite histoire, le Grumman du patriarche parti le chercher, à Pretoria, fut dévié sur Port-Gentil, à cause d’un violent orage qui s’abattait sur Libreville. Madiba dut attendre, deux heures durant, confortablement, installé dans le salon présidentiel de l’aéroport de la cité pétrolière, que le vent de la capitale gabonaise devienne plus accueillant. Ce sont des souvenirs qui ne s’oublient guère, quand on se veut un homme politique dont le pays aspire à occuper un poste permanent au Conseil de sécurité des Nations-Unies.
Du côté tchadien, la reconnaissance devrait encore être plus grande. C’est grâce à l’entregent du patriarche Ondimba qu’Idriss Déby Itno est encore au pouvoir. En mars 2006, alors que les chefs d’Etat des pays de la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) sont en Sommet, à Bata, en Guinée équatoriale, les rebelles tchadiens aidés par leurs homologues soudanais, attaquent et menacent de prendre le palais présidentiel, à N’Djamena. Grâce à son savoir-faire particulier, le patriarche Ondimba gère la situation, au mieux des intérêts de Déby, avec son homologue français, Jacques Chirac.
C’est ainsi que le président tchadien, rentré dare dare, à N’Djamena, réussira sa contre-offensive. Sa nouvelle épouse de l’époque, Hinda Déby Itno (il a épousé l’année dernière Amani Moussa Hilal, la fille de Moussa Hilal, le chef de la milice Janjawid, qui fait maintenant office de première dame) qui en est à sa toute première sortie internationale, en tant que première dame, est très affectée. Elle a la preuve par neuf que le pouvoir au Tchad est loin d’être une partie de plaisir. Elle ne peut rentrer dans de telles conditions avec son époux. Elle est très inquiète pour son général président de mari. Heureusement, qu’en même temps, elle fait l’objet de toutes sortes d’attentions du couple présidentiel gabonais. Docteur Edith Lucie Ondimba, la première dame du Gabon, aujourd’hui, décédée elle aussi, s’en occupe avec une extrême attention.
Ce n’est pas tout. Quelques jours, plus tard, le 13 avril, exactement, les rebelles du Front uni pour le changement (FUC) du capitaine Mahamane Nour, entrent dans N’Djamena et là, aussi, Déby qui est à deux doigts de tomber, est à nouveau, sauvé par son grand-frère de Libreville, qui œuvre, une fois de plus, au côté de son homologue Jacques Chirac, pour faire échec à la tentative de renversement du régime d’Idriss Déby Itno. Preuve de l’intensité des combats, les soldats français aident à repousser l’assaut des rebelles du FUC. Conséquence, le 3 mai 2006, il est triomphalement réélu à l’élection présidentielle avec 64,67% des suffrages exprimés, élection que le FUC voulait lui interdire d’y prendre part.
Entre temps, Jacques Chirac a pris une retraite bien méritée et laisse la place à Nicolas Sarkozy. Les rebelles, eux, sont toujours aussi mordants. Déterminés plus que jamais à avoir la peau de celui qu’ils appellent le « dictateur sanguinaire ». En février 2008, en véritable conglomérat, les rebelles tchadiens du Commandement militaire unifié (CMU) qui est composé du RFC de Timan Erdimi, un cousin à Déby, de l’UFDD du général Mahamat Nouri, un parent d’Hissein Habré, et du CNT de Hassan Al Djineidi, lancent une offensive pour prendre N’Djamena. Les expatriés français et autres sont vite évacués vers le Gabon quand ils ne rentrent pas carrément en France. Beaucoup d’entre eux se retrouvent, également, dans les hôtels de Yaoundé et de Douala où ils passent leur temps à consulter les sites internet qui leur donnent des nouvelles sur l’assaut du palais présidentiel. Après avoir subi un revers à Massaguet le 1er février, Idriss Déby Itno reste planqué dans son palais à N’Djamena. Les rebelles l’y cernent le 2 février et jurent d’en finir une fois pour toutes. Totalement encerclé, avec un petit carré de combattants, le général 5 étoiles Idriss Déby Itno appelle au secours plusieurs fois le patriarche Ondimba, l’un de ses seuls recours. Nicolas Sarkozy, finit par lui proposer l’exil en France. Mais là encore, le patriarche Ondimba par un tour de passe magique dont il avait le secret, réussit à le sortir de ce pétrin. Sa femme, Hinda Déby Itno, une fois de plus, se retrouve, à Libreville, dans de bonnes mains de sa grande sœur Edith Lucie, pendant que son époux, s’emploie à nettoyer les poches de résistance, après l’échec de l’attaque du 2 février. Que de souvenirs à couper le souffle dans l’amitié tchado-gabonaise. C’est la raison pour laquelle, Idriss Déby Itno, pour les Gabonais, est considéré comme un compatriote à eux.
On a, donc, du mal à comprendre comment il peut avoir si vite oublié tout ce que le défunt président du Gabon a fait pour lui, dans sa carrière politique mouvementée, en complotant en vue de l’échec du candidat que, lui, le patriarche Ondimba, avait installé à la tête de la Commission de l’UA, avant de dire adieu au monde des vivants. C’est une trahison qui ne passe pas sur les rives du fleuve Ogooué.
A Libreville, on espère vivement que le président du Tchad et président en exercice de la CEEAC, prendra, sans tarder, ses responsabilités de porte-parole de la sous-région, pour lui éviter la honte de l’échec de son (propre) candidat, après qu’on ait investi tant de sollicitude pour sa réélection.