De Idrissa Fofana
Le premier anniversaire de la chute du régime de Laurent Gbagbo , le 11 avril 2011, a révélé l’étendue du parcours qui reste pour réconcilier les Ivoiriens. On avait une idée du fossé qui sépare le camp des vainqueurs de celui des maîtres d’hier, avec le refus de certains exilés d’accepter la main tendue du nouveau pouvoir. Le refus du Front populaire ivoirien (FPI), le parti de Laurent Gbagbo , de participer aux dernières législatives, laissant ainsi la totalité du pouvoir aux vainqueurs du 11 avril 2011, en dit aussi long sur le niveau de haine qui existe entre les deux camps antagonistes. Ce 11 avril 2012, premier anniversaire de la chute du pouvoir des refondateurs, c’est la presse, à l’instar du Patriote et du Nouveau Réveil pour le pou-voir, et La Voie toujours aussi proche du FPI, qui s’y est mise, montrant à suffisance que la Côte d’Ivoire peinait à se réconcilier et que le pays était plus que jamais divisé en deux.
Le président de Côte d’Ivoire, Alassane Dramane Ouattara, aura beau annoncer un taux de croissance de 8% en 2012, les hommes d’affaires français et européens auront beau se bousculer en Côte d’Ivoire où les chantiers ouvrent les uns après les autres, le chef de l’Etat aura beau annoncer l’atteinte du statut de pays émergent de la Côte d’Ivoire, à l’horizon 2020, il aura beau gagner des batailles diplomatiques au niveau de la sous-région, notamment, à la tête de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) qu’il préside et qui a réussi à transformer le putsch des capitaines maliens en une révolte cadrée qui se règle dans un cadre institutionnel, il a beau s’investir corps et âme pour le retour à une situation constitutionnelle en Guinée Bissau où les militaires viennent, une nouvelle fois, ce 12 avril, de prendre le pouvoir, rien n’y fait. C’est comme si Alassane Ouattara travaillait pour son prestige personnel, unique, et non pour le rayonne-ment politique et diplomatique de la Côte d’Ivoire en Afrique et dans le monde. Déjà, il y a quelque temps, des rumeurs insistantes – il faut le souligner – ont circulé sur l’influence grandissante de certains ressortissants français dans la gestion des grands dossiers de la Côte d’Ivoire. Y compris dans l’entourage direct du chef de l’Etat. Une rumeur savamment alimentée par l’opposition ? Alassane Ouattara, comme s’il la minimisait, n’a rien fait pour l’éteindre, ce qui l’a amplifiée au point de faire admettre qu’une telle présence s’explique par l’implication forte et insoupçonnée de la France de Nicolas Sarkozy dans la chute de Laurent Gbagbo. Les Gbagboistes n’y vont pas par quatre chemins quand ils par-lent d’un « quadrillage » de la Côte d’Ivoire sur le plan sécuritaire, militaire et économique des Français, comme pour expliquer « un retour sur investissement » de l’effort de guerre des Sarkozystes.
Dans ce brouhaha qui rappelle les premiers mois de l’arrivée de Laurent Gbagbo au pouvoir en octobre 2000, Alassane Ouattara et son équipe ne se laissent pas démobiliser. C’est de bonne guerre, reconnaît-on. C’est ainsi qu’Abidjan espère décrocher, en juin, un allègement considérable de la dette extérieure, dans le cadre d’un programme du Fonds monétaire internationale (FMI) et de la Banque mondiale (BM). Le contexte est favorable, Christine Lagarde, la patronne du FMI, ayant déjà donné un satisfecit pour la gestion de Ouattara lors de son passage, à Abidjan, à la fin de l’année dernière. Avant elle, le socialiste Dominique Strauss-Kahn ne tarissait pas d’éloges à l’endroit du successeur de Laurent Gbagbo. Mais si la Côte d’Ivoire entend redevenir la vitrine (française) d’une relation franco-africaine en quête de nouveaux repères (c’était du moins, l’ambition de Nicolas Sarkozy), il y a encore un long chemin à parcourir. Déjà il n’est pas sûr que la reprise économique, avec la création d’emplois espérés, suffise à apaiser les rancœurs du côté de Laurent Gbagbo. D’autre part, après avoir pris goût au pouvoir et à ses avantages, l’ancienne équipe en est encore à le pleurer, mais aussi et surtout, parce qu’elle n’est pas certaine de pouvoir le reconquérir de si tôt, avec le transfèrement de Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale (CPI) qui le soupçonne d’être « coauteur indirect » de crimes contre l’humanité commis par ses forces. « La justice des vainqueurs », rétorque ses partisans qui s’organisent pour politiser au maximum les plaidoiries qui pourraient commencer le 18 juin.
Pour y faire face, les Amis de Laurent Gbagbo viennent de lancer « L’Appel pour le 18 juin 2012 » pour essayer de faire contrepoids aux charges de crimes contre l’humanité pour les-quelles il devra s’expliquer à La Haye. Ce Collectif demande à toute personne qui a de la sympathie, de la pitié, de la reconnaissance pour ce qu’il a fait pour la Côte d’Ivoire voire pour l’Afrique, d’écrire à la Cour pénale internationale dans le but de témoigner de la bonté et de l’humanisme de l’homme politique incarcéré. Car pour ce Collectif, Laurent Gbagbo ne peut pas être un dictateur, encore moins, un criminel. Ce Collectif veut montrer que Laurent Gbagbo n’est pas isolé et entend tout faire, y compris en utilisant les moyens de lobbying, pour que la vraie justice soit rendue dans son affaire et qu’il soit à jamais disculpé et réhabilité. Du boulot en perspective car de fortes charges pèseraient sur l’ancien président, selon les nouveaux dirigeants ivoiriens.
Dans ce contexte de « Ni paix Ni guerre » que traverse la Côte d’Ivoire, on a du mal à comprendre à quoi sert véritablement la Commission Dia-logue, Vérité et Réconciliation (CDVR). Pressenti un temps pour devenir premier ministre, le président de cette Commission, l’ancien premier ministre Charles Konan Banny, se démène comme un beau diable pour rapprocher les deux camps ennemis, sans grand succès. On peut d’ailleurs se demander s’il a le profil de l’emploi : après avoir été gouverneur de la BCEAO et premier ministre de Côte d’Ivoire, deux fonctions de commandement, pour atterrir par la suite grand réconciliateur d’un pays où on a passé une décennie à se tirer dessus, il fallait néanmoins être Charles Konan Banny pour accepter une telle mission. Le challenge est de taille !
La question est, cependant, de savoir si le succès de la CDVR ne proviendra pas des gestes forts de pardon initiés par le pouvoir politique lui-même ? En effet, les Gbagboistes ne comprennent pas qu’on leur parle de réconciliation après avoir transféré leur champion à la CPI, tandis que l’ex-première dame, Simone Gbagbo, et le président du FPI, Pascal Affi N’Guessang, pour ne pas citer les autres, sont, toujours, en résidence surveillée, dans le Nord du pays où ils sont inaccessibles à leurs militants et sympathisants. Depuis leur incarcération, cinq demandes de visi-te ont été rejetées par la justice ivoirienne. Seuls les parents proches ont accès aux prisonniers du Nord.
Autre fait qui montre que la réconciliation est en panne : le dernier accrochage entre le pouvoir et l’ancien régime a eu lieu au Ghana où les événements du 11 avril 2011, n’ont pu être commémorés, comme il se devait, le gouvernement ivoirien ayant fait savoir au pouvoir ghanéen qu’il s’agissait des retrouvailles qui pouvaient sceller l’alliance en vue de la future déstabilisation de la Côte d’Ivoire. Les dirigeants ghanéens ne se sont pas fait prier pour accéder à cette demande d’autant plus que quelques jours auparavant, avaient circulé de fortes rumeurs de tentative de coup d’état dans Abidjan par des exilés ivoiriens venant du Ghana. Des rumeurs qui n’étaient pas totalement infondées avec l’affaire du colonel-major Katé Gnatoa qui fut en service à la sécurité présidentielle jusqu’à la chute de Laurent Gbagbo. Cet officier a été arrêté en mars dernier dans un hôtel d’Abidjan, en provenance du Ghana, avec l’intention de favoriser l’organisation d’un coup d’état, selon des sources proches de l’entourage d’ Alassane Ouattara. Lors de sa capture, il y aurait eu des tirs nourris car il ne voulait pas se rendre. Voulait-il faire un coup d’état tout seul ou agis-sait-il en bande organisée avec d’autres qui avanceraient masqués ? S’agirait-il d’une affaire fabriquée par les Services juste pour museler l’opposition par ces temps de tumulte en Afrique de l’Ouest ? Grièvement blessé, le colonel Katé Gnatoa se remet progressivement de ses blessures dans un hôpital de la place, sous une surveillance attentionnée des services de sécurité de Côte d’Ivoire.
Autrement dit, en l’espace d’un mois, la CEDEAO que préside Alassane Ouattara vient de connaître deux déstabilisations majeures avec les coups d’état du Mali et de la Guinée Bissau. Les amis de Laurent Gbagbo voyant à quelle allure le vent est en train de tourner en France, se sentent-ils du coup pousser des ailes ?