De Agapit Maforikan, à Cotonou
Il s’est mis très vite au travail. Moins d’un mois après avoir été porté à la tête de l’Union africaine (UA), fin janvier, à Addis Abeba, par ses pairs, le chef de l’Etat béninois, Dr. Boni Yayi, a réuni, à Cotonou, le 18 février, un Sommet auquel ont participé douze chefs d’Etat et de gouvernement, autour des grands défis qui menacent le continent.
«… J’ai souhaité, en ma qualité de président en exercice de notre Union, organiser cette rencontre informelle pour pouvoir bénéficier de vos riches expériences et de votre sagesse, étant donné que parmi vous, figurent des présidents de communautés économiques régionales, des doyens qui, avant moi, ont présidé, brillamment, notre organisation commune. Je souhaite que vous puissiez, à ce titre, m’édifier sur le chemin à emprunter durant mon mandat. Il faut, à tout prix, éviter que chacun aille dans la direction de son choix car, si c’était le cas, le bateau Afrique risquerait de perdre le gouvernail ».
Le président en exercice de l’UA a, par la suite, soumis, à ses pairs, six questions résumant les préoccupations de l’heure :
1) Comment renforcer notre unité ainsi que la capacité d’anticipation et de réaction de notre organisation pour faire face, dès maintenant, aux défis multiples et multiformes auxquels notre continent est confronté ?
2) Comment améliorer les mécanismes de prévention et de gestion des conflits dont nous disposons pour mieux gérer les crises et réagir efficacement aux nouvelles menaces à la sécurité du continent ?
3) Quels mécanismes mettre en place pour renforcer l’intégration politique et économique du continent afin de prendre en charge son propre développement pour l’épanouissement intégral de nos peuples ?
4) Comment coordonner les partenariats stratégiques qui lient notre continent au reste du monde dans la gestion des nombreux défis, à savoir, défi de paix, défi de stabilité, défi de sécurité, défi de la démocratie et de la meilleure gouvernance et défi du développement ?
5) Comment gérer l’expertise inestimable et la source de sagesse que représentent les anciens chefs d’Etat, qui ont dirigé nos pays et qui sont prêts à se mettre à la disposition du continent ?
6) Comment faire pour que l’Afrique puisse parler d’une seule et même voix et de façon responsable sur les grands enjeux de notre planète ?
Le président en exercice de l’UA dit espérer des réponses à chaque préoccupation afin de disposer d’une boussole pour ses actions futures. Et à ceux qui voyaient en cette rencontre informelle une occasion de trouver une porte de sortie en vue de doter l’organisation d’une nouvelle commission consensuelle, le président Boni Yayi s’est fait clair, rappelant qu’un «comité présidentiel de huit membres constitué par les présidents des cinq régions de notre continent plus la République sœur du Gabon, la République sœur de l’Afrique du Sud et le Bénin, a été mis en place pour examiner la question prioritaire de la désignation du président et des membres de la Commission de l’Union». Une manière de lever toute équivoque sur cette question, et surtout, de faire de la rencontre de Cotonou autre chose qu’un forum de conciliabules et de campagne de positionnement pour la présidence de la Commission de l’Union.
« Les atouts sont là. Ce qui reste maintenant, c’est de nous retrouver autour des valeurs communes », ainsi s’exprimait le président béninois, Boni Yayi, l’hôte de la réunion informelle, du 18 février, des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA, au lendemain d’une rencontre qui, somme toute, aura tenu ses promesses, aux dires même du premier responsable politique du continent. Le président Boni Yayi, qui venait de raccompagner les derniers chefs d’Etat encore sur le sol béninois, à savoir, le SudAfricain, Jacob Zuma, le Rwandais, Paul Kagamé, le Congolais, Denis Sassou Nguesso, et le Tchadien, Idriss Déby Itno, a conféré avec la presse béninoise et internationale présente à l’aéroport international Cardinal Bernardin Gantin. Après être revenu sur le caractère informel de ce Sommet, il a précisé que l’essentiel des échanges a eu lieu à huis-clos, entre chefs d’Etat et de gouvernement, exclusivement. Du coup, les délégations envoyées à Cotonou pour représenter leur président n’ont pas pu prendre part aux débats.
Après avoir écouté diverses communications, notamment, celle de leur « doyen », Denis Sassou Nguesso, sur l’historique des situations de crise, les chefs d’Etat et de gouvernement, ont pris deux résolutions importantes :
– Faisant allusion à la Libye, ils ont décidé de parler, désormais, d’une seule et même voix pour ne plus subir les influences extérieures : « Nous avons évoqué le cas de la Libye et certains ont fait leur mea culpa », a affirmé le président béninois.
– Ils ont, en outre, retenu de veiller à la préservation de l’unité, la paix, la stabilité, la gouvernance, notamment, la gouvernance électorale sans lesquelles aucun développement n’est possible.
Ces conclusions sont reprises par la plupart des chefs d’Etat, une fois de retour chez eux, à l’instar du Nigérien, Mahamadou Issoufou : « Quand on regarde la carte de l’Afrique, on a l’impression qu’on a devant soi, un miroir brisé, alors il faut, sur le plan politique, faire progresser l’unité africaine. On a, à cet effet, beaucoup parlé de l’ambition que nourrissaient les pères fondateurs de l’unité africaine, notamment, Kwame N’Krumah, qui disait que « l’Afrique doit s’unir ou périr ». On a convenu, après nos échanges, que la promotion de l’unité africaine doit se faire autour d’un certain nombre de valeurs, notamment, démocratiques, à l’exemple de l’Union européenne. Il faut faire progresser la démocratie en Afrique, c’est l’une des conditions fondamentales pour faire cette unité africaine sur le plan politique ». Un autre sujet qui aura retenu l’attention du président nigérien et sur lequel il a insisté à son retour à Niamey, c’est les échanges autour des questions du développement du continent : « Nous sommes tombés d’accord sur le fait qu’il faut mettre l’accent sur la réalisation des infrastructures, notamment, énergétiques, ainsi que, les routes et les chemins de fer. Ce qui, a-t-il relevé, rejoint, d’ailleurs, une de nos préoccupations ici au Niger ».
« Sur la question énergétique, nous avons insisté sur le fait que l’Afrique possède un immense potentiel hydroélectrique mais qui n’est, malheureusement, pas assez exploité. Je le disais, récemment, lors d’une rencontre ici à Niamey, que, seulement, 7% de ce potentiel est, aujourd’hui, exploité. Il faut, donc, qu’on mette nos efforts, ensemble, pour pouvoir exploiter cet énorme potentiel hydro-énergétique pour le développement commun de nos pays ».
Les potentialités du continent africain sont énormes : 23% des superficies mondiales en terres cultivables, soit plus de dix fois l’Europe, plus de trois fois la Chine ; la jeunesse de la population qui, d’ici 2020, sera autour de 1,5 milliard d’âmes. Pour Boni Yayi, cette jeunesse est un atout si le continent parvient à lui assurer la formation adéquate et l’encadrement nécessaire.
Les échanges ont, également, porté sur la question du développement de l’agriculture et de la sécurité alimentaire. Ce qui lui a fait dire que ses pairs et lui, sont, désormais, décidés à concentrer leurs efforts sur ces questions en allégeant l’ordre du jour de leurs sessions et en les orientant plus sur les valeurs ainsi identifiées. En clair, « Il faut que nous ayons désormais à l’esprit nos obligations en matière de gouvernance politique, économique et sociale dans nos pays. Une fois qu’on aura réglé cette question, nous pourrons accélérer notre rythme de mise en place des infrastructures qui doivent rapprocher nos Etats, nos économies et nos popula tions. Nous allons poursuivre les réflexions pour aller vers des réformes qui vont assouplir l’ordre du jour de nos Sommets et, surtout, les centrer autour des valeurs que nous avons identifiées».
Mais toutes ces bonnes résolutions ne sauraient se traduire dans les faits sans une synergie entre les différents organes de l’Union. C’est pourquoi les chefs d’Etat envisagent des réformes en vue de restaurer l’harmonie entre le président de la Commission et le président en exercice pour que les missions soient, clairement, définies et la représentativité du continent au plan mondial clarifiée et respectée de tous.
En guise de conclusion, le chef de l’Etat béninois évoque un sujet sensible, celui de la préservation de la paix sur le continent : « Ce continent est le nôtre, lorsqu’il y a instabilité quelque part, il faut que nous puissions être les premiers à intervenir. Autrement, l’extérieur le fera à notre place. C’est pour cette raison que les échanges ont porté sur la question du financement des interventions en Afrique par les Africains. Nous sommes ouverts au reste du monde mais faisons en sorte que le complément qui doit venir d’ailleurs n’efface pas le continent ».
Depuis lors, chaque président a regagné son pays, laissant à Boni Yayi le soin de mettre de l’ordre dans les différentes idées afin de savoir par quel bout les prendre. Un autre défi en perspective pour le président béninois qui, on doit le reconnaître, en a déjà vu d’autres.