Un évêque ivoirien, à qui le président de la République avait offert 2 véhicules 4×4 pour lui permettre de visiter les paroisses et fidèles de son vaste diocèse, les emporta avec lui le jour où il rejoignit le diocèse où il fut transféré 5 ans plus tard. Ce nouveau diocèse était pourtant plus riche que le premier. Un autre évêque reçut un jour la visite du même chef de l’Etat. Celui-ci était accompagné d’un parent. Lorsque le président lui demanda ce qu’il pouvait faire pour son diocèse, l’ordinaire du lieu proposa qu’on construise un centre culturel dans son village. Le président répondit qu’il allait réfléchir à cette requête.
Dans la voiture qui le ramenait dans la capitale, il se confia à celui qui l’accompagnait en ces termes : “Je ne comprends pas les évêques d’aujourd’hui. Beaucoup de prêtres mènent une vie tellement difficile qu’ils sont obligés d’aller en famille quand ils sont malades. L’évêque, à qui nous avons rendu visite hier, je lui demande comment je pourrais aider le diocèse dont il a la charge et tout ce qu’il trouve à me dire, c’est que je construise un centre culturel dans son village qui est situé dans un autre diocèse du pays. Les missionnaires blancs se comportaient-ils de la sorte quand ils étaient là ? Est-on évêque pour son village ou bien pour l’endroit où on a été affecté ? Si un évêque doit partir avec le matériel du diocèse, de quels moyens son successeur disposera-t-il pour faire son travail ? L’église peut-elle critiquer l’argent public détourné par les politiciens si ceux qui la dirigent ne sont pas eux-mêmes exemplaires, si leur obsession est de construire dans leur village une maison pour leurs vieux jours avec les maigres ressources du diocèse ?” Son compagnon avait été, lui aussi, choqué par la réaction de “Monseigneur”. Il se contenta d’ajouter : “Mon frère, on a l’impression que l’épiscopat est devenu un business pour certains prélats qui préfèrent vivre seuls dans un luxueux palais au lieu d’habiter avec leurs prêtres sous le même toit. J’ai appris que, dans certains diocèses, l’évêque est le seul à gérer les finances. Autrement dit, il n’y a pas d’économe diocésain et, quand il y en a un, celui-ci n’a pas toujours l’autorité nécessaire pour s’opposer aux dépenses extravagantes de l’évêque. Je ne crois pas que la génération qui fut nommée dans les années 60 et 70 ait fait mieux car, si le catholique Houphouët fut fort généreux avec les évêques, combien d’entre eux ont-ils laissé une maison de retraite pour les prêtres malades et âgés comme la Maison Marie-Thérèse dans l’archidiocèse de Paris ? Combien de prêtres bénéficient-ils d’une assurance-maladie ?”
Lorsque certains prêtres osent se lâcher, ils ne disent pas seulement comment ils sont piétinés et humiliés (d’anciens curés qui, du jour au lendemain, deviennent vicaires de jeunes qu’ils ont fait entrer au petit séminaire ou se retrouvent sans aucune charge dans la paroisse). Ils parlent aussi d’églises ou de chapelles jamais construites mais dont l’argent donné par Missio ou Misereor (deux organismes catholiques allemands) a été empoché par l’évêque. Les prêtres et laïcs du Gabon, du Burundi, du Cameroun, des deux Congo, de Centrafrique, de Guinée, du Tchad, du Togo, du Bénin, du Sénégal pourraient formuler les mêmes critiques. Tous seraient d’accord pour admettre que les abus et dérives de certains “princes de l’église” fragilisent et discréditent le Corps du Christ. Mais le fait que ces pratiques peu catholiques ne soient pas nouvelles ne signifie pas que l’on devrait continuer à les tolérer. Le pape François les a résumées en un mot (“cléricalisme”) et les a régulièrement fustigées. Par exemple, pendant son séjour au Mozambique et à Madagascar (début septembre 2019), le successeur de Pierre présente le cléricalisme comme une “véritable perversion dans l’église, où le pasteur se met toujours devant les fidèles et punit d’excommunication ceux qui s’écartent”. Il ajoute : “Le cléricalisme condamne, sépare, frustre, méprise le peuple de Dieu. Il ne prend pas en compte le peuple de Dieu. Il ne prend pas en compte la souveraineté du saint peuple de Dieu.”
Le 6 février 2022, le pape argentin revient à la charge, expliquant que le cléricalisme est à la source des “abus sexuels, abus de pouvoir et de conscience”, qu’il “crée la rigidité et que, sous chaque type de rigidité, il y a de la pourriture. Toujours”. Mais d’où vient ce cléricalisme qui n’a rien à voir avec l’évangile ? Pourquoi certains évêques se permettent-ils toutes sortes de plaisirs tout en étant extrêmement durs avec les autres (prêtres et laïcs) ? Pour le premier pape jésuite, le cléricalisme rigide cache souvent de “graves problèmes, de profonds déséquilibres et des problèmes moraux”. Il poursuit : “Nous nous concentrons sur le sexe et nous ne donnons pas de poids à l’injustice sociale, à la calomnie, aux commérages, aux mensonges. L’église a aujourd’hui besoin d’une conversion profonde sur cet aspect.”
Le pape Benoit 16 en novembre 2011 à Ouidah au Bénin.
Le synode sur l’église et la synodalité convoqué par le pape en 2022 pourrait permettre cette conversion, à condition que clercs et laïcs sachent bien de quoi il s’agit quand on parle de synode. Le terme “synode” est composé de “sun” et de “odos”, 2 mots grecs qui signifient “marcher ensemble” ou “faire route ensemble”. La synodalité signifie donc que tous les baptisés (clercs et laïcs) ont un rôle à jouer dans la bonne marche de l’église parce que “l’église n’est pas fondée vraiment, elle ne vit pas vraiment, elle n’est pas le signe parfait du Christ parmi les hommes si un laïcat authentique n’existe pas et ne travaille pas avec la hiérarchie” (cf. Ad Gentes, décret sur l’activité missionnaire de l’église, 7 décembre 1965, n°21), parce que les laïcs “sont coresponsables de l’être et de l’agir de l’église” (Benoît XVI à l’ouverture du Congrès ecclésial du diocèse de Rome, le 26 mai 2009), parce que “la visibilité et la sacramentalité de l’église appartiennent à tout le peuple fidèle de Dieu et pas seulement à quelques personnes élues et éclairées” (Discours du pape François lors de la rencontre avec les évêques chiliens, le 16 janvier 2018).
Mais clercs et laïcs ne sont pas seuls dans cette “marche ensemble”. Jésus, leur Maître et Seigneur, les précède et les accompagne sur cette route comme jadis il accompagnait les disciples d’Emmaüs abattus et découragés après sa mort. S’ils croient que ce Jésus est la vérité (Jn 14, 6), qu’il est venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité (Jn 18, 37) et que la vérité affranchit (Jn 8, 32), alors il faudra qu’ils se parlent en toute franchise dans les mouvements et communautés ecclésiales de base, dans les paroisses et diocèses, que tous les problèmes parmi lesquels les quêtes excessives imposées aux fidèles au cours des messes et “le cléricalisme rigide” soient mis sur la table et qu’on puisse en débattre sans langue de bois, que toute l’église ait le courage de se remettre en cause, de reconnaître ses erreurs et manquements, de se demander ce qu’elle a fait du prophétisme, de la défense de la veuve et de l’orphelin, etc. Au moment où l’Afrique francophone (Centrafrique, Mali, Burkina Faso, Guinée, etc.) lutte pour s’extirper des griffes de la France, le synode ne peut pas ne pas interroger la part prise par l’église dans ce combat vital. Le faire, c’est se souvenir que la première expérience que les fils d’Israël font de Dieu est celle de la libération, du passage de l’esclavage à la liberté. C’est plus tard que les Hébreux prennent conscience du Dieu qui a créé le ciel, la terre et tout ce qui s’y trouve. Le synode devra se poser la question : De quoi Dieu libère-t-il l’Afrique aujourd’hui ? De quel esclavage nous affranchit-il ?
Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)