(à l’occasion de son voyage à Brazzaville)
Le président français Jacques Chirac se rendra les 4 et 5 février 2005 à Brazzaville, la capitale du Congo, une ville totalement sinistrée qui est loin de connaître aujourd’hui la ferveur d’antan, quand le général de Gaulle y lança l’Appel de la France libre. Pasteur de son état mais aussi homme politique d’une rigueur qui commence à donner espoir à une opposition congolaise complètement désarçonnée, Dominique Kounkou rappelle un certain nombre de ses devoirs à Jacques Chirac, tout en reconnaissant les siens et ceux de ses compatriotes dans le drame congolais, avant de lui souhaiter une bienvenue dans la très « sinistrée terre congolaise ». Le président français est averti : il doit savoir qu’il apporte un soutien politique à un régime sanguinaire, totalitaire, même si le prétexte trouvé est « La forêt du Bassin du Congo ».
Afrique Education : Révérend Pasteur Dominique Kounkou, nous vous remercions de nous recevoir, une deuxième fois, en l’espace de deux mois, malgré un emploi du temps fort chargé. Mais il faut dire que la situation socio-politique qui prévaut aujourd’hui au Congo-Brazzaville où va se rendre les 4 et 5 février, le président français Jacques Chirac, impose que vous sortiez à nouveau de votre réserve.
Révérend Pasteur Dominique Kounkou : Afrique Education, par le sérieux de son travail, force tellement le respect que c’est toujours pour moi un grand plaisir de vous accueillir chaque fois que les agendas le permettent. Vous savez aller en profondeur dans vos questions. La dernière intervention (son interview parue dans le numéro 169 du 1er au 15 décembre 2004, ndlr) dont les appels téléphoniques continuent de me parvenir, en est largement la preuve.
L’actualité est chargée au Congo : la visite du président Jacques Chirac, le nouveau gouvernement que Sassou vient d’offrir au Congo, les élections législatives dans certaines circonscriptions du Pool. Commençons, si vous le voulez bien, par la visite du président français. Quel message voulez-vous lui transmettre ?
Voyez-vous, si le rapport rédigé par Catholic Relief Service et Caritas Congo, qui bénéficie de l’appui du Secours Catholique était écrit sur la Corrèze (département français de la région du Limousin auquel appartient Jacques Chirac dont le chef-lieu est Tulle, ndlr), et intitulé « une population abandonnée », j’aurais invité le président de la France à rendre au moins, une visite à cette population de Corrèze et d’arrêter la diplomatie de salon puisque le monde entier le regarde. Mais vous savez que le titre de cet excellent rapport est : « le Département du Pool en République du Congo, une population abandonnée », ce qui change tout.
Que voulez-vous que je dise au président de la France puisque le Congo ne l’intéresse que pour son bois, son pétrole et son ami Sassou devenu infréquentable pour tous, mais qui sait si bien faire dans l’impunité et le crime politique ?
Par respect pour la France, j’adresse au président de la France, la bienvenue sur ma terre sinistrée dont la capitale du pays est devenue la plus grande poubelle, le majestueux fleuve du Congo, une cachette de containers d’ossements…
…Pourquoi le président Jacques Chirac qui s’est fait le héros de la cause irakienne, deviendrait-il subitement aveugle devant le drame que vit le Congo ?
Je ne dis pas que le président de la France est aveugle, au contraire, il voit bien qu’au Congo, il n’y a pas une présence effective du président Bush. L’enjeu de la prise de position de l’Irak n’était pas l’amour pour l’Irak, mais le contrôle de la position de puissance dominante dans la région. Comme les Etats-Unis étaient en mauvaise presse, il fallait qu’une puissance moyenne tente sa chance dans le cœur du peuple arabe.
Au Congo où il n’y a aucun contre-pouvoir, on continue à pratiquer la jurisprudence politique des gendarmes d’Ouvéa en Nouvelle Calédonie du temps où le président de la France était le premier ministre du président François Mitterrand. Cette politique d’Ouvéa est à tout point semblable à la politique menée par Sassou dans le Pool et à Owando.
Mais à chaque époque, sa politique. A Rome, Cicéron a donné cette leçon devenue classique : « La vraie loi, c’est la raison droite avec la nature répandue chez tous, constante éternelle. Cette loi, il n’est pas permis de l’abroger ni d’y déroger en quoi que ce soit, elle ne peut être abrogée complètement. Elle n’est pas autre à Rome, autre à Athènes, autre maintenant, autre plus tard ».
En politique, quand on enfreint cette loi de caractère général, les conséquences sont les difficultés que rencontre la France en Afrique. On le voit dans l’affaire du pétrole en Angola. On ressent le même malaise en lisant la lettre que le Collectif des Français de Côte d’Ivoire a appelé : « Vision Vérité, Côte d’Ivoire » et a adressé à tous les députés français.
Beaucoup d’ambassades m’ont contacté pour le compte de leur Etat à la suite de ma première interview (Afrique Education, numéro 169 du 1er au 15 décembre 2004) dans le but de travailler avec l’opposition congolaise. La sagesse politique commande que ces signaux indicateurs soient examinés avec le plus grand sérieux par les états majors politiques français. Si le gouvernement ne veut pas réexaminer sa politique africaine, pourquoi le président de l’UMP (Union pour un mouvement populaire), Monsieur Nicolas Sarkozy, ne prendrait-il pas l’initiative d’un débat sur la politique africaine de la France à l’Assemblée nationale, par exemple ? A moins qu’ils attendent que les Verts avec Noël Mamère si courageux dans les causes, initie un tel débat si indispensable et si urgent.
Pour ma part, je considère que ces indicateurs sont significatifs. Ils m’informent que la puissance économique de mon pays et de ma sous-région (Afrique centrale), peut être apportée à la table de négociation avec tous ces Etats puissants qui manifestent leur intérêt pour une gestion différente des relations internationales avec les Etats du Golfe de Guinée dont le Congo.
Allez donc dire au président de la France que Brazzaville est un haut lieu de la politique française. Là, un grand homme d’Etat français, le Général Charles de Gaule, a tenu un grand discours suivi d’effets. Cela est important à relever puisqu’il paraît qu’à présent, les chefs des Etats ne se soucient plus de la cohérence entre leur discours sur l’impunité et leur pratique de l’impunité. S’ils n’ont pas la mémoire, eux qui passent, le peuple qui demeure, retient tout dans son cœur. Ils ne le savent plus ces chefs !
Alors quelle consigne donnez-vous au peuple congolais à propos de cette visite du président français à Brazzaville ?
D’accueillir à travers le président de la France, le peuple de France avec qui il va devenir nécessaire de trouver les voies de médiation et de réconciliation. Ce peuple de France, je le rencontre souvent et je l’ai vu vraiment très vrai et très solidaire avec le peuple congolais dans sa souffrance si injuste. En France, les plus hautes autorités de l’Eglise catholique et de la Fédération protestante, s’engagent à un niveau inimaginable parce qu’elles n’acceptent pas que l’injustice soit au nombre des valeurs avec lesquelles on pratique la bonne gouvernance du monde. Cet engagement exigeant a été très complémentaire de celui des Evêques Milandou, Nkombo, Portella et du président Mbama, le président de l’Eglise évangélique du Congo dont je suis encore membre.
J’ai suivi l’engagement ferme de la FIDH (Fédération internationale des droits de l’homme), de Survie, de la Cimade, de la Fiacat, qui travaillent avec des amis congolais de grande intégrité tels que Benjamin Tougamani, Olivier Bidounga, etc. Je salue, également, l’action courageuse des députés français qui soutiennent cette cause.
La presse, avec le Monde, Libération, Témoignage Chrétien et Réforme, a fait des larges échos du problème congolais.
De plus en plus, je rencontre des magistrats et des avocats français qui ont au pied l’épine congolaise.
Les hommes et les femmes d’affaires que je rencontre en France, m’avouent que la réputation de Sassou devient de plus en plus difficile à gérer qu’un embargo. Même les groupements politico-philosophiques mettent en débat le cas Sassou. Il en va de plus en plus de leur crédibilité et de leur cohérence.
La conception du pouvoir devient une plaie terrible pour les affaires au Congo. Vous savez, il faut aider la France à être fidèle à la vocation de liberté qui l’a élevée au rang de grande puissance, comme le constatait l’Allemand Georg Jellinek. Par un regard sans complaisance, ancré dans la vérité.
Que les Congolais accueillent en Monsieur le Président de la France, le peuple fraternel de France. Là, ils démontreront que la souffrance a façonné en eux un grand peuple digne qui, dans la marche vers sa liberté, s’ouvre sans haine au peuple de l’Union européenne comme il s’ouvre au peuple d’Amérique ou d’ailleurs.
Racontez-nous ce qu’a fait Sassou après la lecture du numéro 169 d’Afrique Education.
Je n’aime pas les anecdotes, mais puisque mon état major de Brazzaville me l’a signalé, je le félicite. Je le dois aux Congolais à l’étranger. Selon la secrétaire de Sassou, le discours de fin d’année était déjà écrit. Mais à la lecture de mon interview (dans Afrique Education), il a carrément modifié son message. Il s’est senti entre autres obligé d’ajouter qu’en février 2005, il commencerait la réfection de la route du Pool. Vous vous souvenez, c’est la route qui relie Brazzaville à Kinkala, où (je l’avais dit dans Afrique Education) on met facilement sept heures de temps aujourd’hui au lieu de seulement quarante-cinq minutes auparavant. Sassou veut désormais la refaire. Tant mieux pour nous.
Vous y croyez vraiment ?
Remarquez que Sassou en marxiste parle aux Congolais non pas en citoyens, mais en masses populaires. Il a l’illusion que personne n’a entendu et donc personne ne lui rappellera les promesses non tenues. Moi, je considère que notre peuple est adulte. Eh bien, maintenant, je vais obliger Sassou à parler vrai.
Alors vous y croyez !
Non ! Bien sûr sinon pourquoi n’a-t-il pas signé le décret que son directeur de cabinet avait pourtant préparé et soumis dans le parapheur à sa signature. Ce décret devait déclarer le Pool zone sinistrée pour permettre aux ONG internationales d’être subventionnées pour intervenir auprès de cette population du Pool abandonnée. Quand son directeur de cabinet a repris le parapheur, tous les documents étaient signés mais le décret sur le Pool avait disparu. Dites à Sassou de commencer par signer ce décret.
Je tiens à souligner que la question du Pool se situe dans le domaine public. Chacun doit avoir son idée sur la question. Il s’agit d’aboutir à une réconciliation-réparation de ce département avec le reste du pays.
Voyez-vous, le politique congolais crée facilement des conflits mais il ne sait pas que les dégâts provoqués par des guerres se réparent. Combien de ressortissants de cette région qu’on appelle improprement Nibolek ont-ils perdu les uns des maisons, les autres la vie, d’autres encore plus d’un ami cher ? Ma sœur qui a épousé un ressortissant du Niari, a eu besoin de puiser dans les ressources de sa foi, de quoi braver jugement et discrimination. Pendant ce temps, ceux qui ont créé les guerres sont en exil, peu attentifs aux souffrances des populations sans ressources.
Nous sommes en train d’évoluer vers une véritable insouciance politique qui nous éloigne de l’esprit de réconciliation et de réparation. C’est l’ordre public qui est perturbé constamment et non la politique du pays qui est faite dans ce sens. Nous n’avons plus d’hommes d’Etat ni de pratique, ni de culture. C’est la source du drame du Congolais d’aujourd’hui. Quand les hommes et les femmes qui ont fait confiance à un homme politique se retrouvent dans la situation d’aller mendier pour vivre ou se vendre à vil prix à l’ennemi, c’est grave. Nous sommes là dans un univers sociologique de fin de la conviction dont nous n’avons plus idée et dont la réduction politique à l’appartenance ethnique interdit l’intelligence. J’appelle désormais ceux qui ont été déçus à comprendre que l’appartenance ethnique n’empêche pas l’émergence d’un rassemblement à un pôle républicain pour former ceux qui demain remettront ce pays sur les rails.
Justement, parlant de cette solidarité et de cette volonté de rassemblement, on ne vous a jamais entendu réagir à l’affaire Kolélas qui est persona non grata dans son propre pays où la justice l’a condamné par contumace et où il voudrait se rendre pour rencontrer ses juges. Mais Sassou refuse toujours. Pourquoi ?
C’est purement cocasse. Sassou est ce qu’on appelle « tsi mpoumboulou » (voyou en langue lari). Il se ridiculise lui-même. Dans l’affaire de premier ministre, comme dans celle de la justice, il a de la peine à être civilisé politiquement.Ou bien Kolélas est coupable, et il faut dans ce cas le laisser se constituer prisonnier au Congo comme il le souhaite lui-même pour qu’il soit jugé avec le respect du contradictoire ou bien il est innocent, et dans ce cas, il faut réviser le jugement qui est alors sans fondement.
Je soutiens Kolélas dans une telle démarche. Ce trait de caractère est très significatif de la détermination de ce résistant de la première heure.
Savez-vous que le gouvernement d’union nationale de Sassou est déjà là ?
Oui, le bateau ivre de Sassou est arrivé. Il embarque ce gouvernement avec la même équipe, au grand désespoir de ceux qui chantaient déjà le grand rassembleur Sassou, sauf celui qui était sûrement un des plus brillants : le vice-gouverneur de la BEAC (Banque des Etats de l’Afrique centrale), Monsieur Rigobert Roger Andely. Il est parti de l’équipe de Sassou semble-t-il très éprouvé. Le combat politique congolais doit être rigoureux et non fondé sur des mirages. Sassou veut le pouvoir pour sa famille. Les autres ne servent que de faire valoir.
Comment pourrait-il en être autrement ? Je pense qu’on peut trouver une définition structuraliste c’est-à-dire par opposition à autre chose à la contradiction principale de son gouvernement : la nomination d’un premier ministre non prévu par sa constitution.
C’est tout simple : le principe constitutionnel de Sassou s’oppose au principe constitutionnel de gouvernement qui a été celui du Congo depuis l’indépendance. Avant Sassou, la séparation des pouvoirs qui prévoit un premier ministre, a été le mode de gouvernement du Congo. La démocratie était le principe, la volonté de confiscation de pouvoir en était l’exception. Cela exigeait la prise de distance du chef de l’Etat dans la gestion quotidienne du pouvoir. Or, pour exercer de la sorte le pouvoir, il faut être légitimé. Sassou se sait illégitime. Mais il voudrait faire comme tous les vrais démocrates du monde. Malgré sa constitution étriquée, il se donne, il se dote d’un premier ministre. Je dis, « Très Bien ». Mais alors, poussons la logique plus loin et donnons plus de pouvoir à ce premier ministre, et puis, on verra ce qu’il en adviendra. D’autre part, il faut au Congo un ministre de la Défense avec les pleins pouvoirs et non un ministre à la Présidence délégué à la Défense comme actuellement. De quoi Sassou a-t-il peur, lui qui est tout puissant ? Je le mets au défi d’en désigner un.
Sous les autres régimes, les distinctions politiques étaient parfaitement claires et le sont restées jusqu’à une époque récente avant d’être brouillées par l’amateurisme de Sassou. Toutes ses improvisations démontrent la nécessité pour les républicains congolais de revisiter la Constitution de 1992 (celle issue de la Conférence nationale souveraine) et de l’appliquer dans toute sa rigueur pour définir le référent politique sur lequel asseoir la gestion du pouvoir. La même rigueur fera accéder aux postes de responsabilité les Congolais et les Congolaises, en raison de leurs compétences et non en raison de leur âge ou de leur origine ethnique. Or, dans l’équipe gouvernementale actuelle, on remarque que certaines personnes n’ont pour profession que d’être ministres.
Il est donc urgent d’apprendre notre histoire constitutionnelle, et de méditer les propos, les pratiques et les actes de pouvoir, de parler un langage rigoureux et de préserver l’esprit de dialogue et de la Constitution de 1992.
C’est cet esprit de dialogue qui assure hier comme aujourd’hui la paix civile. C’est un art de vivre ensemble, qu’il nous faut ré-apprendre. J’en appelle à tous les Congolais même à ceux qui n’ont pas l’habitude de pratiquer la politique. Ils savent tous comment et qui joindre. Dans chaque pays et au Congo en particulier, je lance l’idée des comités citoyen de soutien de cette espérance congolaise, une sorte d’amicale qui nous permettra de mieux nous connaître, de travailler ensemble, de gouverner ensemble en raison des qualités politiques des uns et des autres et non des origines ethniques ou de l’âge. C’est aussi à cette politique de confiance que je recommande à ceux qui ont des intérêts au Congo et qui sont fortement déçus par cette chaotique de pouvoir peu propice aux affaires.
On annonce Ntoumi à l’Assemblée nationale en tant que futur député du Pool. Qu’en pensez-vous ?
Je comprends la perfusion très proche de l’étranglement sous laquelle on fait vivre Ntoumi. Mais il me semble que s’il y avait accord, ce serait un calcul très aléatoire et même un piège à la vie politique de Ntoumi. Je crois qu’il faut dénoncer un tel accord qui affaiblit le crédit de Ntoumi. Plusieurs y voient la confirmation que Ntoumi est bien une fabrication de Sassou. En dénonçant publiquement cet accord, Ntoumi a encore la possibilité de remettre les choses en place. Adelaïde Mouhani, comme Isidore Mvouba, et d’autres candidats à la députation, ont le droit de se présenter où ils veulent, sans forcément bénéficier d’une entente anti-démocratique qui ferait que Ntoumi ou d’autres, s’abstienne d’être candidat là où eux se présentent. Ce sont des citoyens congolais, mais il faut que la campagne les oppose à de véritables candidats librement désignés par les Congolais. Il est nécessaire que cette avancée vers un peu plus de démocratie ne soit confisquée par personne. J’y veillerai personnellement. J’ai même pensé que des Congolais de l’extérieur devraient être candidats à ces élections dans le Pool. Je les soutiendrai dans la mesure de mes forces.
Pasteur, serez-vous candidat à ces élections du Pool ?
J’ai soumis la question à notre état major. Elle est à l’étude. Il y a des oppositions internes à cette candidature.
Nous tiendrez-vous au courant ?
Bien sûr. Si ce n’est pas lors de ces élections, ce sera peut être pour les prochaines.
On prend alors rendez-vous ?
Pourquoi pas !
Propos recueillis par Jean-Paul Tédga