L’élection du secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie risque d’être reléguée au second plan des priorités du Sommet de Beyrouth prévu du 18 au 20 octobre 2002. Après le Sommet de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) tenu à Accra au Ghana, dimanche 29 septembre, Beyrouth donnera, sans doute aussi, l’occasion à la famille francophone élargie, de se pencher sérieusement sur le cas de la Côte d’Ivoire. Car ce pays cher à feu Félix Houphouët-Boigny est atteint, aujourd’hui, par une maladie qui provoque des ravages au sein de sa population et dont le remède existe sans qu’il ne puisse convenir à tout le monde. Cette maladie s’appelle l’ivoirité.
Ce concept a été révélé, pour la première fois, dans les années 80 par un certain opposant appelé Laurent Gbagbo qui, déjà à cette époque, n’admettait pas que les étrangers régulièrement installés en Côte d’Ivoire disposent d’un droit de vote en bonne et due forme. Ils sont utilisés comme du « bétail électoral », clamait alors le leader du Front populaire ivoirien (FPI) à l’endroit du président Houphouët, comme si ce dernier avait besoin du vote des étrangers pour faire gagner la Machine PDCI-RDA. Mais dans un souci d’apaisement, le « bétail électoral » fut retiré des listes électorales de Côte d’Ivoire. Les choses auraient pu en rester là si ce concept n’avait pas évolué au point que le successeur de Houphouët en fasse une théorie connue sous le nom de l’ivoirité. Henri Konan Bédié a mis toute l’Afrique mal à l’aise d’autant plus qu’il n’avait vraiment pas besoin d’un tel raccourci pour gagner la présidentielle de 2000. Plus grave, il a trahi le pacte qui fut scellé entre Alassane Dramane Ouattara et lui-même devant les deux baobabs africains : le Sage de l’Afrique, Gnassingbé Eyadèma et le Patriarche El Hadj Omar Bongo. Ce pacte non écrit consistait à laisser Bédié se présenter, seul, à la présidentielle de 1995 à condition qu’il accepte la candidature de Ouattara au scrutin de 2000. Parti au FMI, Ouattara laissa Bédié gagner cette élection par un score de 96% des voix en l’absence de Laurent Gbagbo qui choisit la stratégie du boycott pour dénoncer les fraudes. Mais quand il annonça l’intention de quitter le FMI pour revenir en Côte d’Ivoire pour préparer la présidentielle de 2000, Bédié, ignorant la parole donnée aux présidents togolais et gabonais, alluma le feu de l’ivoirité. Quand on parle de la Côte d’Ivoire et des tragédies qui l’affectent, aujourd’hui, il ne faut pas perdre de vue ce détail de l’histoire. Le pays vit déjà à l’heure de la présidentielle de 2005 qui risque d’être une échéance de tous les dangers. En effet, Laurent Gbagbo voudra garder son fauteuil même s’il sait pertinemment que son accession, en octobre 2000, à la magistrature suprême à la tête d’un FPI largement minoritaire, a été le fait d’une succession de circonstances favorables avec, en prime, un gouvernement socialiste à Paris qui était acquis à sa cause. En 2005, il n’aura plus comme unique candidat, le général Robert Gueï que les soldats « loyalistes » viennent de réduire au silence pour toujours. Un postulant de moins de taille !
Quant à Alassane Ouattara, il a certes obtenu son certificat de nationalité (même si les 5 copies signées par la juge viennent d’être brûlées dans l’incendie de sa résidence). Mais la constitution actuelle l’exclut de la compétition parce qu’il s’est déjà prévalu d’une autre nationalité, en l’occurrence, celle de l’ex-Haute Volta (actuel Burkina Faso). Or la façon dont les positions des adversaires et des partisans de Ouattara sont tranchées sur cette question me laisse penser que la Côte d’Ivoire traîne là une grosse bombe à retardement. Quelle que soit la solution adoptée, il y a de fortes chances qu’il y ait encore des troubles graves dans le pays, d’autant plus que les houphouétistes affirment que quand le « Vieux Sage » avait fait appel à Ouattara pour qu’il redresse l’économie du pays, il n’était nullement question qu’il succède à lui après sa mort.
Reste Henri Konan Bédié, l’homme par qui la Côte d’Ivoire a basculé dans l’instabilité. Il règne à la tête d’un parti très affaibli par des dissensions internes, par la contestation de son autorité, et par le fait qu’il a perdu bêtement le pouvoir. Si par hasard, il accédait à nouveau à la présidence de la République, il aurait fort à faire, et avec le RDR et avec l’UDPCI.
En résumé, aucun de ces trois leaders ne présente un profil de rassembleur. Pourtant, il y a de fortes probabilités pour que l’un des trois gagne la présidentielle de 2005, ce qui veut dire que ce n’est ni demain ni après-demain que la paix reviendra au pays cher à feu Félix Houphouët-Boigny.