CONFERENCE DE DAKAR AVRIL 2002 : Pour une nouvelle coopération décentralisée Yves Ekoué Amaïzo

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Les responsables politiques et économiques se succèdent pour affirmer qu’ils appuient le nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique, plus connu sous le sigle anglais NEPAD (New Partnership for Africa’s Development) et adopté lors de la 37e session de la Conférence au Sommet de l’OUA tenu à Lusaka, Zambie en juin 2001. Les dix secteurs retenus comme prioritaires ont été répartis entre cinq pays: 1. Sénégal : infrastructures, environnement et nouvelles technologies de l’information et de la communication ; 2. Nigeria : gouvernance économique ; 3. Egypte : agriculture, accès aux marchés, diversification des produits ; 4. Algérie : développement des ressources humaines notamment dans l’éducation et la santé ; 5. Afrique du Sud : Gouvernance politique.

Rien d’original dans le NEPAD ?

Pour mettre en œuvre ces différents programmes, l’Afrique a été découpée en cinq sous-régions économiques régionales. Le comité directeur de pilotage du NEPAD est composé de 15 chefs d’Etat dont deux chefs d’Etats par sous-régions (Nord, Sud, Centre, Est, Ouest), et les cinq présidents-promoteurs du NEPAP, eux-mêmes assistés par le représentant de l’Organisation de l’Unité Africaine. Chaque sous-région doit s’appuyer sur l’organisation sous-régionale pour assurer une réelle promotion de l’intégration et de la coopération régionales. En filigrane, tout est axé sur l’octroi d’un fonds de type « Marshall » pour le NEPAD. Ainsi le renforcement du partenariat entre les principaux donateurs, principalement les pays du G 8, se réduit souvent à faire une liste de projets et programmes et à aller rechercher le financement auprès des partenaires financiers du développement. Ne pas prévoir d’alternatives sérieuses au fait que les pays occidentaux pourraient ne verser que des sommes ridiculement faibles après avoir tambouriné haut et fort leur foi au NEPAD, serait une erreur grave. Il faut opter non plus uniquement pour des projets à soumettre pour financement, mais plus pour la mise en place d’une approche systémique valorisant les efforts louables des acteurs du Nord et du Sud en faveur de l’interdépendance et l’efficacité des actions. Il s’agit donc surtout de rapprocher les peuples. A part la volonté réelle des Chefs d’Etat de prendre en charge le développement de l’Afrique, après tout, il n’y a rien d’original dans le NEPAD si tout doit encore passer par des Chefs d’Etat, si tout doit passer par des représentants de bailleurs de fonds et si tout doit passer par des Gouvernements centraux. Il faut D E C E N T R A L I S E R et introduire de nouveaux acteurs de la société civile dans le jeu. Ces nouveaux acteurs doivent pouvoir faire pression sur leurs représentants et conduire ainsi à un contrôle permanent des actions. Il est donc proposé de revisiter « la coopération décentralisée », pas celle qui se limite à une déconcentration des budgets au niveau des pays du Nord, mais celle qui permet réellement aux collectivités locales du Nord comme du Sud de répondre ensemble à la demande sociale. S’il faut parfois des interfaces de type « organisations non gouvernementales », elles ne sont pas toujours les bienvenues surtout lorsque certaines mettent un zèle incompréhensible à défendre les intérêts, les produits, les pratiques et la culture du Nord en niant la culture, le savoir et les pratiques non-excluantes de la population locale. Il y aura quelque chose d’original dans le NEPAD le jour où de multiples dossiers réalisables et demandés par les citoyens africains pourront se traiter directement avec leurs homologues du Nord par l’intermédiaire de leurs représentants de proximité. C’est donc en valorisant un processus de transformation en profondeur de la société africaine par l’interdépendancei des acteurs tout en réduisant le rôle des Chefs d’Etat à celui de « soutien discret » que le NEPAD pourra être considéré comme quelque chose d’originale et de nouveau. Il faut nécessairement « décentraliser la coopération décentralisée ».

Humaniser la coopération décentralisée

Le sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement prévu à Dakar du 15 au 17 avril 2002 a, entre autres, pour objet initialement de s’assurer de l’engagement du secteur privé et des institutions d’appui aux projets et programmes qui seront proposés. La réalité est tout autre. Si la Société financière internationale, l’instrument privilégié de la Banque mondiale pour le secteur privé, par la voix de son vice-président allemand Peter Wolcke, croît au NEPAD, ce dernier ne propose pas de contribution pour un fonds pour le NEPAD. Au contraire, il insiste plus sur la coordination des actions intégrées entre les Etats. L’utilisation des cerveaux africains, bloqués à l’étranger du fait d’un environnement local peu propice tant pour le retour des Africains comme des potentiels investisseurs, ne doit pas être oubliée. Pour le marocain Omar Kabbaj, Président de la Banque Africaine de Développement, il ne faut pas sous-estimer les risques d’échec du NEPAD si les projets retenus ne sont pas « crédibles, réalisables et rentables ». Cela étant dit, le patron de la BAD n’a pas prévu d’enveloppes supplémentaires pour le NEPAD. Bref, il faut se rendre à l’évidence qu’il n’y aura pas de Plan Marshall pour l’Afrique même si plusieurs en parlent. Les dirigeants africains devraient donc ne pas compter uniquement sur l’apport hypothétique d’argent frais. Ils devraient, au contraire, relancer des mécanismes de coopération qui facilitent l’identification, la réalisation et l’efficacité des projets identifiés en commun avec des potentiels partenaires intéressés par des réalisations concrètes. Si plus de 50 % des propositions à venir peuvent trouver des budgets dans le cadre des enveloppes financières existantes, cela se fera principalement, à n’en pas douter, sur la base de décisions politiques, avec des partenaires des gouvernements centraux, dans le cadre des enveloppes budgétaires existantes, et sous conditionnalités. Il est urgent d’envisager des solutions alternatives où d’autres intervenants de la société civile peuvent intervenir au nom du citoyen. Une nouvelle coopération décentralisée devrait être la réponse.

Erreur de parallaxe des Chefs d’Etat

Les dirigeants africains, pour avoir boycotté le Forum social de Porto Alegre de 2002, ne se rendent pas compte collectivement que les acteurs de la coopération au développement sont de plus en plus multiples, de plus en plus variés, et que les décisions se prennent de plus en plus au niveau décentralisé. Les Etats voient leur rôle se rétrécir. De même que l’Etat doit se désengager des activités productives et les confier graduellement au secteur privé, de même l’Etat doit se mettre en retrait et laisser émerger les acteurs locaux, ceux qui, dans un environnement démocratique et transparent, sont la tête des communes, des villes, des sous-régions, etc. La coopération décentralisée, outre la souplesse et la rapidité dans les décisions, permet de répondre aux attentes du terrain et des citoyens à la base. La réduction des « intermédiaires » garantit qu’une partie très importante des budgets affectés servent effectivement les bénéficiaires en dernier ressort. Les relations personnelles retrouvent leur spontanéité et favorisent les échanges d’expériencesii, de transfert de technologie. Cela peut même favoriser les migrations productives, c’est-à-dire permettre, par exemple, à un groupe d’agriculteurs de Sokodé au Togo d’aller se former à des techniques de productivité agricole à Millau, France avec comme objectif non pas de rester dans le pays d’accueil, mais de revenir mettre en pratique les connaissances acquises chez eux. Cela permet aussi de mobiliser de substantielles ressources budgétaires sans passer par les gouvernementaux centraux. La mise en relation directe des citoyens du Nord avec ceux du Sud, des citoyens de la sous-région d’Afrique de l’Ouest avec ceux d’Afrique australe, par exemple, ne peut que favoriser les synergies. Il ne faut donc pas voir dans la nouvelle coopération décentralisée un processus de désengagement de l’Etat mais plutôt une incitation pour l’Etat de promouvoir les mécanismes d’accompagnement et de laisser les acteurs, au niveau décentralisé, prendre en charge leur développement. Il va de soi que sans un minimum de démocratie, cela ne peut fonctionner. En effet, si, pour une ville africaine, le maire n’est pas élu dans la transparence mais est désigné par le Gouvernement, et que certaines ONG étrangères et locales font allégeance au pouvoir central, on voit mal comment la nouvelle coopération décentralisée peut fonctionner.

Sur un autre plan, il est important que les coopératives et l’organisation sous-jacente puissent graduellement être dupliquées dans les campagnes africaines. Là encore, le démantèlement des circuits de fourniture de semences, production, de préservation post-récoltes et de commercialisation, sous le couvert de « stratégie de libéralisation des marchés », ne devrait en principe plus se traduire par des catastrophes sociales et humaines si l’Afrique, dans le cadre de la nouvelle coopération décentralisée, accorde une place prioritaire à ce mécanisme d’appui à son développement. La multiplicité des partenaires locaux et leurs diversités ne peuvent que faciliter la transformation de la créativité africaine face à la pauvreté et à l’adversité, en de véritables projets « productifs » à taille humaine sans interférences intempestives des Gouvernements centraux. Les nombreuses privatisations qui ont lieu en Afrique, souvent sans préparation devraient pouvoir trouver des réponses plus adaptées si les discussions étaient menées au niveau des collectivités locales.

Créer un centre de ressources informationnelles sur la Coopération décentralisée

Il ne faut bien sûr pas se limiter à la dimension économique de la coopération décentralisée. Le rapprochement ainsi effectué entre les collectivités locales du Sud et celles du Nord peut permettre d’identifier plus rapidement et plus facilement les entreprises, les universités, les ONG, les groupements d’intérêts, les familles et des personnes qui souhaitent s’engager dans une coopération vraie, simple, directe et efficace. Il suffit pour cela que lors de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernements africains, prévue à Dakar du 15 au 17 avril 2002 sous le haut patronage du Président Abdoulaye Wade entouré d’au moins 15 autres présidents africains et certainement d’au moins trois chefs de Gouvernement du Groupe du G 8, l’on puisse décider de réaliser une Banque de données avec un moteur de recherche global sur la coopération décentralisée. Toutes les collectivités locales des pays soutenant le NEPAD seront invitées à fournir les informations devant alimenter cette base de données. Les dirigeants des pays occidentaux pourraient faire preuve de « magnanimité » en acceptant que 50 % du budget qu’ils devront mettre à disposition pour ce budget, soit utilisé pour recruter des expertises nationales dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication en Afrique. Le Sénégal, non seulement est en charge de ce secteur prioritaire pour l’Afrique, mais possède de multiples expertises locales dans le domaine. Il suffit d’ailleurs de se référer au travail exemplaire du sénégalais Amadou Top, Président de l’Observatoire sur les Systèmes d’Information, les Réseaux et les Inforoutes au Sénégal (OSIRIS)iii, pour se convaincre qu’un tel projet de mise à disposition de l’information virtuelle faciliterait la mise en relation des expertises. Cela pourrait se réaliser en un temps record et réduirait grandement les coûts de transaction lors des premiers contacts. De plus cela créera des emplois et favorisera la structuration de réseaux professionnels indispensables pour réussir le NEPAD. L’organisation sous-régionale pourrait être dans un premier temps l’UEMOA, puis la CEDEAO en Afrique de l’Ouest. Au niveau international, la coordination pourrait être proposée à l’Organisation des Nations Unies. Son agence en charge de l’appui à la compétitivité et au développement industriel pourrait être solicitée du fait de l’approche intégrée adoptée depuis quatre ans. Il va de soi qu’Afrique Education se fera un plaisir de rendre compte, en toute objectivité, de l’état d’avancement du dossier.

Humaniser la solidarité internationale

En prenant la France comme exemple, il faut rappeler que le titre IV, « De la coopération décentralisée » de la loi du 6 février 1992, relative à l’administration territoriale de la République, reconnaît le droit aux collectivités locales françaises de « conclure des conventions avec des collectivités territoriales étrangères et leurs groupements, dans les limites de leurs compétences et dans le respect des engagements internationaux de la France ». Il n’est pas interdit, de demander à quelques champions de la coopération décentralisée que sont Jacques Godfrain et Charles Josselin, ex et actuel ministres délégués à la coopération de témoigner et d’expliquer leur nouvelle vision sur la question. Il faut espérer qu’ils pourront tous deux réagir et soumettre de nouvelles propositions de coopération décentralisée française pour le NEPAD et amener d’autres pays à suivre le mouvement. C’est aussi cela la cohabitation. En attendant, ils doivent donc mettre en pratique ce qu’ils prêchent. Sur le terrain, on attend d’eux qu’ils usent de leur influence pour orienter la coopération française vers des programmes de coopération revalorisant la décentralisation des pouvoirs vers des représentants locaux élus, le renforcement institutionnel d’acteurs africains de la vie associative, la constitution de réseaux virtuels, puis physiques, d’acteurs « décentralisés » à des fins de montage de dossiers d’intérêts mutuels. Il faut aussi pousser à la mise à disposition de contribution en provenance de l’Union européenne pour la nouvelle coopération décentralisée, etc. Une forme plus humaine de la solidarité internationale pourrait alors voir le jour en parallèle à celle menée sous le couvert du paradigme de la sécurité du Président Georges W. Bush Junior. Le jumelage entre deux villes ne suffit plus. C’est vers une citoyenneté de l’interdépendance que nous nous dirigeons sans le savoir. Pour y faire face dans le respect et la dignité de chacun, il faut des acteurs nouveaux et de nouvelles formes d’engagement et de coopération des citoyens valorisant l’éthique.

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