Pendant que le dialogue intercongolais s’enlise à Sun City en Afrique du Sud, nous avons trouvé intéressant d’aborder l’aspect économique du drame congolais.
L’art de gouverner en oubliant l’industrialisation et le développement agricole
La plupart des Congolais vivent aujourd’hui dans l’informel avec tous les excès et abus que cela peut signifier dans un pays où le revenu par habitant ne dépasse pas 99 $ EU, alors que le Congo Brazza voisin affiche 678 $ EU (sans effet sur la grande majorité de la population). La croissance réelle du produit intérieur brut a été négative avec -14,3 % en 2000 alors que l’inflation des prix à la consommation s’élevait à 540 %. La dette totale externe était de 11,9 milliards de $ EU en 1999 alors qu’elle est de 5 milliards de $ EU pour le Congo Brazza. La croissance de la population est estimée autour de 2,6 % pour les deux Congo entre 1999 et 2015. En 2000, le solde commercial (exportations moins importations de biens) était positif avec 4 millions de $ EU pour le Congo démocratique alors que le Congo (Brazza), grâce au pétrole, affichait 1 782 millions de $ EU. Il est clair que l’essentiel des exportations du Congo (Kinshasa) n’est ni enregistré, ni déclaré. Celles-ci transitent par d’autres circuits informels, sous bonne escorte (le minerai colonbo-tantalite dit coltan par exemple), notamment dans la partie du territoire sous occupation. En 1992, la Banque centrale du Congo (Zaïre) estimait que les activités du secteur informel (32,5 %) couplées avec les activités traditionnelles de subsistance (45,5 %) s’élevaient déjà à 78 %. Le nombre d’adultes illettrés en 1999 (15 ans et plus) constituait plus de 79 % de la population et témoigne de l’intérêt porté par les différents gouvernements à l’éducation. Il est de 69 % pour le Congo Brazza. En gardant en mémoire les ravages du Sida en zone rurale, il est vraisemblable que, sans une politique active d’information de la part des autorités locales du Congo démocratique, la population risque de voir son espérance de vie fortement diminuer alors qu’elle n’est déjà que de 46 ans en 1999 (48 ans pour le Congo Brazza). Il sera donc difficile pour un Gouvernement, quel qu’il soit, d’augmenter les recettes de l’Etat sans une action en profondeur sur la production de la richesse avec les populations notamment en revalorisant toutes les filières agricoles et industrielles. Avec moins de 4,3 % du PIB sous forme de taxes en 1999, l’Etat congolais est actuellement totalement dépendant de l’aide extérieure à moins de retrouver les réflexes d’organisation des synergies entre tous les Congolais, y compris la diaspora, et même avec ceux qui se trouvent sur le territoire congolais sans y avoir été invités. Les investissements étrangers directs officiellement enregistrés se sont taris, 1 million de $ EU en 1998, par peur du risque. Les principaux partenaires du Congo sont la Belgique/Luxembourg, les Etats-Unis, la Finlande et l’Italie, la France et l’Afrique du Sud et les Pays-Bas (voir tableau) se contentent d’extraire ce dont ils ont besoin.
Congo démocratique : Principales destinations de biens en 2000
en millions de $ EU Exportations Belgique/Luxembourg Etats-Unis Finlande Italie 758,721283,328,3 Importations Belgique/Luxembourg Afrique du Sud France Pays-Bas 154,5125,239,926,9 Source : A partir de : The Economist Intelligence Unit, Country Profile 2001
Le commerce international est composé de quelques matières premières comme l’or, le diamant, le cuivre, le cobalt, divers minerais, le café, le cacao, le thé, les épices et le bois. Bref, il n’est nullement question d’augmenter la productivité agricole, ni d’assurer les bases d’un développement industriel. Entre 1990 et 1999, le produit intérieur brut (revenu) du pays a chuté de moitié passant de 9,3 à 5,5 milliards de $ EU et aurait chuté encore d’au moins 20 %. En 1999, le secteur agricole contribuait déjà à plus de 58 % à la création de la valeur ajoutée du pays alors le secteur industriel ne représentait plus que 17 % et les services 25 % du PIB. Conserver le pouvoir sans assainir la crise de légitimité dans un environnement de guerre télécommandée par l’extérieur n’augure pas d’un avenir paisible pour les responsables congolais. Ce genre de situation économique débouche immanquablement sur une forme ou une autre d’arrimage sur la dictature, la mauvaise gouvernance et une mise entre parenthèse des droits de l’homme. Les dépenses militaires du Gouvernement ont augmenté de manière substantielle, contribuant à l’endettement du pays et fonctionnant selon le principe du vase communicant avec le budget du Zimbabwe du Président Robert Mugabe, réélu dans des conditions en deçà de la transparence.
Prendre exemple sur les Allemands
L’économie du Congo démocratique s’est développée en marge de la légitimité démocratique et cela n’a pas empêché les investisseurs étrangers d’investir dans le Zaïre de J. Mobutu. L’exemple des « Ländern » allemands, où le chef de chaque région jouit d’une autonomie et d’une légitimité importantes pourrait servir de modèle pour une refondation d’un Congo démocratique « gouvernable ». La décentralisation allemande peut servir d’exemple. Le principe de la subsidiarité doit nécessairement retrouver ses lettres de noblesses. Il s’agit de s’assurer que le Gouvernement commun (niveau central) ne prenne en charge que les problèmes que la région (niveau décentralisé) n’est pas à même de résoudre. Les discussions pourront alors véritablement porter sur la répartition des compétences entre le « centre » et les régions décentralisées, y compris dans un premier temps les régions encore sous occupation. A défaut d’opter pour des formules favorisant l’interdépendance et l’intégration, le Congo démocratique, avec plus de 50 millions d’habitants, continuera à afficher des résultats économiques dignes d’un pays que les dirigeants refusent collectivement de faire avancer avec la bénédiction de la communauté internationale. En comparaison, d’autres pays ont vu leur valeur ajoutée croître parce qu’ils ont réussi à figer temporairement leurs différents en conjuguant leur agressivité pour trouver de nouvelles synergies non neutralisantes pour l’amélioration du bien-être de la population.
Bien que l’Occident ne soit pas irréprochable, les responsables congolais avant et après Mobutu ne sont pas pour autant innocents. A certains égards, ils peuvent apparaître comme des « parasites » car vivant sur le dos du travail et des sacrifices d’une population lassée des luttes stériles de certains responsables congolais qui semblent avoir rapidement compris que l’accès au pouvoir, l’organisation de l’impunité généralisée, l’appui des intérêts extérieurs occidentaux comme régionaux pour maintenir la gouvernance de la confusion et du statu quo ne peuvent en aucun cas leur être préjudiciable sur le plan personnel ou pour leur réseau familial ou ethnique. Alors que la population a cru en moyenne de 2,7 % par an entre 1965 et 1999, le revenu annuel moyen par habitant a été négatif avec -3,4 %. Déjà en 1995, la gestion patrimoniale de l’économie congolaise a rendu le Congolais moyen 53 % plus pauvre qu’il y a 30 ans. La situation s’est empirée entre temps.
Les institutions de Bretton-Woods devraient dynamiser et non se borner à « stabiliser »
En 2001 avec la guerre aux frontières, l’éruption volcanique, la corruption doublée par une indiscipline fiscale, le Sida, le jeune Joseph Kabila tente de redresser la barre. En libéralisant partiellement le contrôle des changes en janvier 2001 et en supprimant, sur le conseil pressant du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, le monopole sur le diamant accordé à une société israélienne IDI Diamonds, qui fut aussi très active dans la gestion informelle, souterraine et non transparente, témoigne de la volonté de redistribution des richesses au profit de nouveaux barons. Les institutions de Bretton-Woods refusent d’oublier la dette congolaise et insistent que les arriérés soient payés avant tout nouveau crédit devant financer un programme transitoire, portant sur le « redressement économique et la stabilisation sociale ». Il s’agit de dynamiser et non de stabiliser le « social » si l’objectif est de faire de la croissance à partir des ressources locales et au bénéfice du marché intérieur. A croire qu’au Congo démocratique les institutions de Bretton-Woods font preuve d’amnésie et ne sont plus intéressées par la croissance. La gouvernance du statu quo continue à faire des émules au sein de la communauté internationale, sans que les dirigeants congolais s’en émeuvent. Les élites congolaises doivent comprendre que leur incapacité à s’unir et à forger des synergies constructives ne permet aucun développement économique en profondeur. Ce n’est pas l’Occident qui viendra changer leur attitude. Sun city, la ville du plaisir a peut-être été choisie pour moins bien se concentrer sur le dialogue intercongolais…