La suite du parcours n’a, guère, réserve de surprises : une pétition, en ligne, bien orchestrée, des manifestions syndicales malgré un front désuni, un peu de manipulation estudiantine, une journée de consultations avec les syndicats… Et l’affaire est bouclée. Bouclée ou presque, car il reste à passer l’étape parlementaire qui, si elle évite le 49-3, a, encore, mille fois, l’occasion de retirer ce qu’il reste au texte de tentatives de flexibilisation, de n’être votée ni par la droite ni par la gauche, et de finir de mettre, en miettes, la confiance des entrepreneurs dans ce gouvernement. Qui vont perdre espoir et patience !
Par delà les questions éternelles sur notre capacité à nous réformer, collectivement, et celles tout aussi importantes du courage politique, cette loi doit être l’occasion d’une troisième réflexion : celle de son anachronisme : Partout, il est question du fonctionnement du travail, mais jamais, de la définition du travail ; pré-requis, pourtant, indispensable à toute évolution législative.
C’est d’autant plus dommageable que nos modes de travail n’ont, jamais, autant évolué. Partout, en France, dans les grands groupes, comme dans les PME ou les TPE, les nouvelles formes de travail prennent un essor grandissant, poussées, d’abord, par une recherche de flexibilité, et ensuite, par la montée en puissance du régime autoentrepreneur, du portage salarial, du temps partagé, des plateformes digitales et de l’ubérisation… Dans le même temps, de nombreux rapports viennent analyser, conforter et proposer d’encadrer tout ceci : Mettling, Combrexelle, CNNUM, Terrasse, France Stratégie, BPI France. Tous évoquent la question des nouvelles formes de collaboration, tous font des propositions pour mieux protéger, mieux encadrer, mieux réguler ces nouveaux travailleurs, qui n’ont, certes, pas d’emploi, mais, ont bien un travail et un revenu.
On le voit bien : le débat philosophique préexistant sur « l’actif et le salarié » ne semble pas avoir eu lieu. Il est, pourtant, indispensable. Et faussé par la persistance de notre modèle social hérité du Conseil national de la résistance, dans lequel le travail rime, forcément, avec le salariat : les luttes historiques autour de la condition de citoyen salarié, travailleur assujetti aux contraintes de l’entreprise et du patronat restent la norme ; le syndicalisme tire ses lettres de noblesse des combats gagnés avant-guerre et aspire, depuis, à encadrer les relations entre les salariés et les employeurs à coup d’accords de branche et forts du monopole de la négociation collective. Mais, aujourd’hui, leur représentativité, largement, discutable et leur image de corps intermédiaires embourgeoisés, loin des réalités concrètes du terrain, rend leur action illégitime ou incomprise, surtout, chez les plus jeunes.
Si l’on sort de ce modèle pour reconsidérer, dans leur ensemble, tous les actifs, on repose, de fait, la question du contrat social, et de la dignité de l’homme au travail : plutôt qu’un salarié « contraint » par son patron, c’est une partie prenante de l’entreprise engagée dans la même logique que son patron qu’il faut considérer. Plutôt qu’une logique, purement, autoritaire, laissons place à une logique de discussion, de coopération, de négociation (que ce soit dans le cadre d’accords d’entreprise ou dans le cadre de relations entreprise-prestataire). Plutôt qu’une logique exclusive rendant le contrat de travail obligatoire et figé, évoquons une logique ouverte, plurielle, permettant au travailleur d’intervenir quand l’entreprise le sollicite tout en lui permettant de réaliser, ailleurs, d’autres missions. Les modèles anglo-saxons sont, en la matière, une grande source d’inspiration, à adapter évidemment.
Cette réflexion a un dernier mérite : sortir du déni pour s’attaquer, réellement, aux problèmes posés par l’économie de demain. Parce que la nier nous dessert, mais, la comprendre nous renforcerait. Les sujets sont nombreux : meilleure protection sociale et financement de celle-ci, meilleure définition des relations de subordination, meilleur encadrement du recours aux prestataires, meilleure formation pour chacun, meilleur suivi des carrières (en cela le CPA est une bonne piste)…
Il reste donc à repartir du bon pied.
D’abord, se forger une certitude sur la manière dont on travaillera demain, en cohérence avec l’économie mondialisée dans laquelle nous agissons. Pourrons-nous, tous, travailler demain ? La recherche fait avancer, à pas de géant, le robot humanoïde : jamais en pause, ni en congés et, encore moins, en grève, il remet en question notre notion du travail dans les années à venir. Est-ce à dire que le revenu universel pour tous doit être étudié sans plus tarder ?
Ensuite, travailler à la réforme du code de l’actif plutôt qu’à celle du travailleur. Avec courage politique, il faudra proposer une vision raisonnable face à un modèle dépassé. Une vision courageuse, qui remette en cause certains droits pour assurer, à tous, un droit à l’activité. Une vision technique sur la formation, les carrières morcelées, le financement d’une protection sociale unifiée…C’est ainsi que les Allemands ont renversé la tendance : saurons-nous nous en inspirer ?
Grégoire LECLERCQ
Président de la Fédération des Auto-Entrepreneurs