Le chef de la diplomatie de Haïti, pays très sympathique s’il en est, a participé, du 12 au 14 décembre, à Bruxelles, à la 108e session du Conseil des ministres des pays ACP (Afrique Caraïbes et Pacifique). Ce n’est pas tous les jours qu’on a un ministre haïtien sous la main. Un de nos envoyés spéciaux à cette conférence a recueilli les impressions du ministre des Affaires étrangères et des Cultes sur l’état de la Convention ACP-UE, dans son pays, Convention qui devrait être reconduite, pour 20 ans, après février 2020.
Afrique Education : La Convention ACP-UE est vieille d’une quarantaine d’années. Du côté ACP (Afrique, Caraïbe et Pacifique), on compte 79 pays dont Haïti. En Afrique, on est assez critique à l’égard de ses résultats sur le terrain. Qu’en est-il en Haïti ?
Bocchit Edmond : Nous n’avons pas la même position que les pays africains. Je dirais, plutôt, que notre coopération avec l’Union européenne (UE) est bonne, surtout, ce qui a trait à la coopération ACP-UE. Certainement qu’il y a des efforts à faire et des domaines que nous n’acceptons pas. Mais, l’essentiel c’est qu’il y ait une porte de négociation qui nous permette de modifier, d’améliorer ce qui peut être considéré comme provoquant du tort. Dans l’ensemble, nous sommes contents de bénéficier de cette coopération.
Afrique Education : Qu’est-ce que la Convention ACP-UE a, concrètement, apporté à Haïti ?
Bocchit Edmond : Le bilan est, incontestablement, positif. En gros, on bénéficie, pour la période allant de 2014 à 2020, de 420 millions d’euros dans le cadre du 11e FED (Fonds européen de développement), déjà, réalisés à 78%. Il faut voir d’où l’on part : la République d’Haïti a adhéré à la Convention ACP-UE en 1989. Mais, il y a eu une période de crise que le pays a connue. Fin 1999, l’aide s’élevait à un total de 487 millions d’euros sur une période de cinq ans. En ajoutant l’aide bilatérale des Etats membres de l’UE, l’Europe est le deuxième donateur après les Etats-Unis. Les aides sont consacrées aux infrastructures, au développement rural, à la sécurité alimentaire et à l’environnement, mais aussi, aux secteurs sociaux, à la santé et à l’éducation. Quelque 10% de cette aide est utilisée au soutien du système judiciaire, à la culture, au commerce et au tourisme.
Afrique Education :Au regard de l’état du pays, cette aide est-elle suffisante ?
Bocchit Edmond : On souhaiterait avoir bien plus. Par exemple, 3 milliards d’euros, cela nous irait très bien car les besoins du pays comme vous le soulignez sont énormes, surtout, en termes d’infrastructures : construction des routes, des hôpitaux, des écoles, sans oublier, des questions environnementales. Haïti ambitionne de mettre en œuvre l’Accord de Paris qui n’est pas une mince affaire. Tout cela coûte vraiment très cher. Mais, Haïti, de manière générale, s’exprime dans le cadre du Cariforum (Caribbean Forum, qui est un sous-groupe s’exprimant dans le cadre du groupe ACP, Afrique Caraïbes Pacifique, ndlr). Le point de vue de Cariforum est celui de Haïti.
Afrique Education : L’Union européenne propose de travailler avec chaque entité à part, c’est-à-dire, de façon séparée avec l’Afrique, les Caraïbes et le Pacifique. Cette volonté européenne de diviser le Groupe crée un tollé général. Qu’en pensez-vous ?
Bocchit Edmond : Cette séparation n’est pas forcément une mauvaise chose. Chaque pays a ses spécificités. Le Nigeria, par exemple, avec ses 180 millions d’habitants ne vit pas les mêmes réalités que Haïti qui ne compte que 12 millions d’habitants. L’approche en terme de coopération ne peut pas être la même. A titre personnel, je ne suis pas contre une telle séparation. Elle ne peut qu’être bénéfique à Haïti.
Afrique Education : Haïti coopère très peu avec l’Afrique et vice versa. La Convention ACP-UE ne peut-elle pas aider à améliorer cette situation ?
Bocchit Edmond : Notre ardent souhait, c’est de coopérer, dans tous les domaines, avec l’Afrique. Nous les Haïtiens sommes des Africains. Nous venons tous d’Afrique. On nous a déportés sur une terre qui n’est pas la nôtre à cause de la colonisation. Notre demande de rapprochement avec l’Afrique-mère ne suscite aucune ambiguïté de notre côté. Je comprends qu’elle ne soit pas, parfois, bien comprise par certains de nos frères africains. Mais nous sommes des Africains. La culture haïtienne avec certaines de ses variantes comme le vodou sont, aussi, des cultures africaines. On est vraiment très proches parce que nous venons ensemble du même endroit. Dans un premier temps, nous sommes intéressés par l’Union africaine. On doit commencer par là. Nous demandons à adhérer à l’Union africaine, même si ce n’est pas avec un droit de vote. Nous pouvons être observateurs dans un premier temps. Nous sommes prêts à payer nos cotisations et avoir un statut à définir de commun accord. Le colon nous a séparés. Il nous appartient de nous ré-unir.
Propos recueillis par un
de nos envoyés spéciaux à Bruxelles