Le mouvement prend de l’ampleur, depuis quelques semaines que le pape François a demandé l’exemplarité au sein de l’église catholique en autorisant le clergé à signaler les abus sexuels (pédophilie, homosexualité, adultère, etc.) issus de son rang. Il appartient, aussi, à tout catholique de dénoncer, auprès de son évêque, ou en cas d’étouffement de l’affaire, de saisir le Vatican (où on sera à son écoute), tout écart de comportement d’un membre du clergé quel qu’il soit. Les langues commençant à se délier beaucoup plus facilement, on se rend compte que l’Afrique n’a pas le monopole des enfants des prêtres et des évêques. La France, aussi, en connaît, et beaucoup.
Pour la première fois en France, jeudi, 13 juin, des représentants de l’église catholique devaient recevoir des enfants de prêtres. Longtemps considérés comme des parias, ces hommes et ces femmes ont vécu dans le secret et le non-dit. Ils se livrent auprès de franceinfo.
« Je suis l’aînée d’une famille nombreuse. Et elle a une particularité : notre papa est prêtre ». C’est par ces mots que Maya* commence à raconter son histoire. Cette enseignante en sciences sociales de 50 ans n’a, encore jamais, témoigné. Mais, elle a décidé de se livrer auprès de franceinfo à l’occasion de la rencontre qui doit avoir lieu, jeudi, 13 juin, entre des représentants de l’église catholique française et des enfants de prêtres, membres de l’association Enfants du silence.
Le père de Maya, qui a, environ, 80 ans, exerce, toujours, son ministère. Présent auprès de sa famille, tout en répondant aux missions confiées par son évêque, il a, toujours, été « proche » de sa fille, qui confie : « Je n’ai pas du tout souffert de l’absence d’un père ».
Ignorée par l’église depuis toujours, la question des enfants de prêtres a réussi à s’imposer grâce à plusieurs initiatives, dont celle de l’association, « Enfants du silence », qui ont porté le sujet sur la place publique.
Au quotidien, il n’était pas tout le temps là, comme un papa qui peut être commercial, qui va sur les routes et qui revient. Ignorée par l’église depuis toujours, la question des enfants de prêtres a réussi à s’imposer grâce à plusieurs initiatives, dont celle de l’association, Enfants du silence, qui a porté le sujet sur la place publique. Elle a fini par trouver une oreille attentive auprès d’Olivier Ribadeau-Dumas, secrétaire général de la Conférence des évêques de France (Conférence épiscopale).
L’existence de ces familles interdites n’est connue que de quelques-uns. « Certains prêtres étaient au courant, mais pas l’église institutionnelle », révèle Maya au sujet de son histoire. Longtemps, elle a gardé le silence sur sa situation familiale. « Quand on vit le fait d’être une enfant de prêtre, on a une obligation de silence », indique celle qui a appris à l’âge de 7 ans, de la bouche de ses parents, la véritable fonction de son père. Ce n’est qu’à partir de 18 ans qu’elle commence à s’en ouvrir à quelques proches. Avant cela, elle élude les questions sur son père. « Je ne répondais pas », souligne-t-elle. Soucieux de l’éducation de leur aînée, les parents de Maya lui ont défendu de mentir, malgré le secret qui pèse sur la famille. « Je n’ai jamais raconté d’histoires », insiste-t-elle.
Pour Maya, son père n’a pas fait le choix de « mener une double vie ». Elle préfère comparer la situation à celle des « résistants », qui multiplient les précautions. « La clandestinité dans laquelle a été obligé de vivre mon père, c’était pour protéger sa famille », estime-t-elle. Selon Maya, si la vérité avait éclaté, son père aurait été affecté dans une autre région et ses enfants « placés en adoption ».
« Un secret de famille, ça abîme »
Parfois, le silence est si lourd qu’il étouffe les questions. « J’étais comme la plupart des enfants qui vivent dans une situation non conforme, je ne posais pas de questions. Il y avait comme une espèce d’empêchement mental d’en poser », se souvient auprès de franceinfo Marie-Christine Miquel, née en 1959 alors que son père est encore prêtre. Ce silence, la petite fille qui a grandi dans une demeure cossue de Versailles (Yvelines) en a souffert. « Un secret de famille, ça abîme (…) Il y a des choses taboues, cela creuse très profond ».
Ce n’est qu’à l’âge de 9 ans, en 1968, qu’elle apprend la vérité et voit son père pour la première fois, alors qu’il vient de quitter la prêtrise. « Nous sommes allés déjeuner au restaurant. Nous étions en vacances et ma mère m’a dit que nous allions rencontrer un monsieur qui était mon père », a-t-elle raconté, en mai, face à une caméra de France 2.
Une semaine plus tard, ses parents se marient. Sa relation avec son père se normalise « petit à petit ». « Il y avait vraiment une vie de famille tout à fait classique », commente Marie-Christine Miquel, qui a eu, ensuite, deux petites sœurs. Mais, son père meurt, accidentellement, en s’électrocutant, cinq ans après avoir quitté l’église. « Des gens ont dit que c’était la vengeance, que c’était mérité, que l’on ne peut pas trahir Dieu impunément », rapporte-t-elle, dénonçant des individus « à la foi simpliste ». Elle a raconté cette histoire dans le livre, La Soutane et la Blouse blanche (éd. Pippa, 2018).
Courriers de menaces, humiliations et rejets
Alexandra*, elle aussi, connaît ces réactions hostiles. Ancien prêtre, son père est resté vingt ans dans les ordres. Un jour de 1971, il croise le chemin de sa mère, professeure dans la même école catholique. Ils tombent amoureux. « A partir de là, il a décidé de quitter les ordres », raconte-t-elle à franceinfo. Ils se marient deux ans après la demande faite par son père au Vatican de quitter la vie cléricale. Mais, l’histoire ne s’arrête pas là. Sa famille reçoit des courriers anonymes de menaces, et les persécutions s’enchaînent : « Un jour, ma mère m’a laissée cinq minutes dans le landau. A son retour, j’avais un sac poubelle sur les genoux ».
Pour tenter de trouver la tranquillité, la famille fait preuve de discrétion. Le père d’Alexandra prend, par exemple, le nom de famille de sa femme. « Je ne parle jamais de ce passé alors que j’aimerais bien que tous mes amis le sachent », confie cette aînée d’une fratrie de quatre enfants. Aujourd’hui, la quadragénaire se décrit comme « fragile ». « Ma vie personnelle est compliquée, je me suis beaucoup isolée à cause de cette histoire (…), et forcément, j’en souffre », ajoute-t-elle. Mariée un temps, Alexandra est, aujourd’hui, divorcée et sans enfant.
« Il y a trop d’enfants de prêtres qui sont encore en souffrance, qui ont vécu le rejet, les reproches d’êtres nés, regrette Anne-Marie Mariani-Jarzac, présidente de l’association « Enfants du silence », fondée en 2013, qui compte quelque 70 adhérents. « On a été traités de bâtards, d’enfants du diable, d’enfants de Satan », rappelle cette passionnée de théologie – auteure du livre Le Droit d’aimer (éd. J’ai lu, 2015) –, elle-même fille de prêtre et de religieuse.
Le climat et le ressenti sont, diamétralement, différents du côté d’Eva. « Il n’y a pas de douleur liée à mon histoire familiale. Je n’étais pas cachée, j’ai été reconnue, j’ai toujours su la vérité », décrit à franceinfo cette femme née en 1972, qui témoigne, elle aussi, pour la première fois. Son père, qui a fait Mai-68 en col romain, a été réduit à l’état laïc un an après sa venue au monde. « Mais il avait déjà pris ses distances avec l’église », précise-t-elle.
Si Eva n’a pas souffert, c’est aussi parce que les réactions ont été clémentes dans la famille espagnole de son père. « Cela n’a pas provoqué de cataclysme quand il a quitté les ordres, décrit-elle. Il y a même eu des petites blagues parce que mon père avait marié l’un de mes oncles, alors on se demandait si c’était encore valable ».
Des situations tout aussi douloureuses pour les pères
Pour d’autres prêtres devenus pères, l’issue n’est pas toujours aussi heureuse. En 1973, après six ans de prêtrise, Dominique Michelez fait part à sa hiérarchie de son souhait de se marier afin de fonder une famille tout en restant prêtre. Ses espoirs sont, rapidement, douchés, alors, il jette l’éponge. « Mon évêque a refusé ma réduction à l’état laïc. Il a dit que puisque je voulais vivre avec une femme divorcée d’un mariage catholique, j’étais excommunié et je n’avais qu’à disparaître et en silence », rapporte-t-il à franceinfo.
Ecarté par l’église, cet homme, aujourd’hui, âgé de 79 ans est, également, exclu par sa famille.
Et même s’il a été « pleinement heureux » au sein de son foyer, ce grand-père de dix petits-enfants confie que le rejet de sa famille « a été une grande souffrance, qui [l]’a cisaillé pendant des dizaines d’années ». « C’était pire que si j’étais devenu un criminel. Aux yeux de mes frères et sœurs, j’avais trahi le sacré, trahi Dieu et trahi la plus belle vocation du monde ».
Une situation houleuse, différente de celle qu’a vécue David Gréa. Ancien prêtre en vue dans le milieu catholique lyonnais, où il a exercé son ministère pendant dix-sept ans, cet homme est, aujourd’hui, marié et père d’un petit garçon. En 2016, il effectue la même démarche que Dominique Michelez : il fait part à son évêque, le cardinal Barbarin, de son souhait de se marier. « J’ai dit que j’étais très heureux comme prêtre et que je voulais continuer à l’être », confie à franceinfo l’ancien curé de Sainte-Blandine.
Vers une remise en question du célibat ?
Sa demande est refusée. Mais contrairement à son confrère Dominique Michelez, l’actuel coach de 49 ans ne subit ni excommunication ni rejet. « Les gens m’ont majoritairement encouragé. Ce n’est pas le célibat qui fait le prêtre », souligne-t-il, relevant que les catholiques qui suivent le rite oriental (comme les maronites, les chaldéens ou encore les melkites), rattachés au pape, sont autorisés à se marier. Selon David Gréa, certains évêques, en coulisses, font preuve d’ouverture sur le sujet. Sans aller jusqu’à tenir le même discours en public, « afin d’être sur la même ligne que le Vatican ».
Maya, qui se présente comme une « chrétienne engagée », est convaincue que les souffrances de ces prêtres sont liées au « piège » du célibat : « Je ne remets pas ça en question, mais le fait qu’il soit obligatoire ».
Sollicitée par franceinfo, la Conférence des évêques de France souligne que ce sujet « est une règle qui touche à l’église universelle » depuis le XIe siècle et qu’elle « ne peut rien faire ». « Cette question ne concerne qu’un petit nombre de prêtres ayant un enfant, et cela ne peut suffire à remettre en cause le célibat sacerdotal », affirme l’instance. Davantage que la remise en cause du célibat, l’important, pour Alexandra, est de faire en sorte que la stigmatisation des enfants de prêtres cesse : « On est vus comme des gens coupables d’être bizarres, d’avoir des parents religieux, mais un enfant qui atterrit dans une famille ne la choisit pas.
C’est mystérieux ».
« Jusqu’à présent, on n’existait pas »
Face à ces histoires souvent douloureuses, l’attente de reconnaissance de la part de l’église pour les enfants de prêtres est d’autant plus grande. La rencontre du 13 juin est perçue comme une bonne nouvelle pour nombre d’entre eux, croyants ou non. « C’est la première fois que les autorités de l’église acceptent de poser un regard sur les enfants de prêtres. Jusqu’à présent, on n’existait pas », se réjouit Maya.
« Pour nous, c’est extraordinaire (…). Je suis pleine d’espoir », sourit Anne-Marie Mariani-Jarzac, tout en se montrant prudente. Il s’agit, selon elle, d’une « prise de contact » pour « faire connaissance » avant de prochaines rencontres qui doivent avoir lieu dès la rentrée prochaine. Elle souhaite, désormais, que les enfants de prêtres soient « entendus, écoutés, reconnus » et, qu’à terme, une poignée d’entre eux, »trois ou quatre », soient reçus et bénis par le pape.
De son côté, et même si elle salue cette rencontre avec les évêques, Alexandra n’attend pas forcément une telle bénédiction. « Je ne suis pas dans la religion, mais je veux qu’on me reconnaisse comme tout le monde », dit-elle. Maya, non plus, n’a pas d’attente particulière. En revanche, elle espère que le « dialogue » qui commence à s’installer permettra d’écarter « le jugement et la condamnation ».
Avec franceinfo
*Les prénoms ont été modifiés.