Le 14 décembre 2008, George W. Bush, instigateur d’une guerre injustifiée en Irak (Saddam Hussein ne détenait pas d’armes de destruction massives selon l’inspecteur de l’ONU Hans Blix.), venait d’achever une visite surprise en Irak. Pendant qu’il échangeait avec les journalistes irakiens, l’un d’entre eux, Mountazer al-Zaïdi, qui était assis au 3e rang et qui travaille pour la chaîne sunnite, al-Bagadadia, jeta, subitement, ses deux chaussures sur le président américain en criant : “C’est le baiser de l’adieu, espèce de chien. Vous êtes responsable de la mort de milliers d’Irakiens.” Mountazer al-Zaïdi fut certes condamné à un an de prison pour “agression contre un chef d’Etat en visite officielle”, mais, pour beaucoup dans le monde arabe, c’était un héros. Il fut libéré après 9 mois de prison. Quand on lui demanda ce qu’il pensait de son acte, il répondit : “Ce que je regrette, c’est de n’avoir pas eu à ce moment-là une autre paire de chaussures. Les soldats américains doivent quitter l’Irak immédiatement.”
Le 14 décembre 2020, Nicolas Sarkozy, assimilé par le Parquet national financier (PNF) à “un délinquant chevronné” et responsable de la mort de plusieurs milliers d’Ivoiriens en avril 2011, était à Abidjan. Comme un criminel, il revint sur le lieu de ses crimes alors que 4 ans de prison dont deux avec sursis avaient été requis contre lui en France, le 8 décembre. Sarkozy ne fut ni insulté, ni chahuté, encore moins, agressé. Il n’y eut aucune manifestation pour protester contre sa visite. Au contraire, il eut droit au tapis rouge et, probablement, à une grosse enveloppe de la part de celui qu’il installa dans le fauteuil présidentiel au mépris de la Constitution ivoirienne (sur notre photo, Nicolas Sarkozy était plutôt heureux aux côtés de celui qu’il installa au pouvoir en 2011).
Un même jour (le 14 décembre), les mêmes mensonges et crimes utilisés en Irak et en Côte d’Ivoire pour dégager des insoumis, mais, deux réactions diamétralement opposées : les Arabes ne se laissent pas faire, les Africans, eux, ont tendance à subir en silence. Voici ce que disait à ce sujet le compatriote, Namory Fatogoma Dosso, le 19 décembre 2011 : “Les Africains francophones acceptent des choses qu’aucun autre peuple au monde ne peut accepter. Les animaux se battent et défendent mieux leurs droits que les Africains francophones. En Côte d’Ivoire, la France a installé un Burkinabè au pouvoir qui, aussitôt, a nommé des Français, des Burkinabè, des Maliens, des Guinéens, des Sénégalais et autres étrangers à de très hautes fonctions étatiques, laissant les enfants du pays même dans la dèche totale. Aussi, à tous les grands postes de l’Etat, on ne retrouve que des Ouattara et leurs alliés. Aucun peuple au monde ne peut accepter cela si ce n’est des gens colonisés et complètement abrutis par la France. Partout ailleurs, dans le monde, les gens instinctivement et sans tarder auraient pris les armes et auraient déjà corrigé cette grande anomalie”.
Jusqu’à quand l’Afrique noire acceptera-t-elle l’inacceptable ? Pourquoi ses drigeants sont-ils incapables de se comporter comme l’Algérien, Abdelaziz Bouteflika, qui présentait la Loi du 23 février 2005 glorifiant la colonisation comme “une cécité mentale confinant au négationnisme et au révisionnisme” et qui qualifiait le colonialisme “d’un des plus grands crimes contre l’humanité que l’Histoire a connus” ?
Sarkozy retourna sur le lieu de ses crimes en villégiature et le ciel ne lui tomba pas dessus parce que nous avons pris l’habitude de tout pardonner et de pardonner à ceux qui pillent nos richesses, à ceux qui bombardent nos camps militaires et maisons, à ceux qui tabassent nos enfants dans des soi-disant bavures policières, à ceux qui déportent ou tuent nos résistants. Le pire, c’est que certains Africains comme l’écrivain malgache, Raharimana, estime que “ l’immense majorité des Africains n’attend de la France ni excuse ni repentir” et que, “depuis longtemps, elle a pardonné”. Pardonner, absoudre, tourner la page, voilà tout ce dont nous sommes capables comme si c’était la seule réponse aux souffrances et injustices que nous avons subies au cours de l’Histoire. Or, affirme Kemi Seba, “il y a un moment où, tôt ou tard, il faudra bel et bien se dire que pardonner le mal systématiquement, c’est l’approuver. Et Martin Luther King, qui fut pasteur de l’église baptiste et partisan de la non-violence, renchérit : “Accepter passivement un système injuste, c’est en fait collaborer avec ce système. L’opprimé devient par là aussi pécheur que l’oppresseur. Ne pas collaborer au mal est une obligation morale, au même titre que collaborer au bien. L’opprimé ne doit jamais laisser en repos la conscience de l’oppresseur. La religion rappelle à tout homme qu’il est le gardien de son frère. Accepter passivement l’injustice revient à dire à l’oppresseur que ses actes sont moralement bons. C’est une façon d’endormir sa conscience. Dès cet instant, l’opprimé cesse d’être le gardien de son frère. L’acceptation, si elle est souvent la solution de facilité, n’est pas une solution morale : c’est la solution des lâches. Le Noir ne se fera jamais respecter par son oppresseur en se soumettant ; il ne fera qu’augmenter son arrogance et son mépris car on y voit toujours une preuve de l’infériorité du Noir. Le Noir n’obtiendra pas le respect des Blancs du Sud, ni celui de tous les peuples du monde, s’il accepte d’échanger l’avenir de ses enfants contre un peu de tranquillité personnelle dans l’immédiat. » (cf. « Combats pour la liberté », Payot, 1968).
Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).