Compagnon de lutte de Nelson Mandela, Denis Goldberg, membre historique de l’ANC au pouvoir en Afrique du Sud, a gardé intacts son engagement et sa franchise : « consterné » par les scandales qui éclaboussent l’actuel président, il appelle Jacob Zuma (sur notre photo avec ses femmes) à « reprendre en main la situation » ou à démissionner.
« Je suis consterné » par « les signes évidents de corruption, apparemment, d’hommes d’affaires qui s’emparent de fonctions de l’Etat », lâche d’une voix, aussi, posée que ferme, cet homme de 82 ans, dont 22 en prison.
Les Gupta, grande famille d’origine indienne très proche de Jacob Zuma, sont accusés par plusieurs membres du Congrès national africain (ANC) d’aller jusqu’à intervenir pour l’attribution de postes ministériels. Un nouveau scandale embarrassant pour le président, déjà, embourbé dans des affaires judiciaires.
« Le chef de l’Etat a deux options : soit, il reprend, en main, la situation (…), soit, il fait l’autre choix héroïque qui s’offre à lui, (…) démissionner », estime Denis Goldberg.
Membre de la branche armée de l’ANC, il avait été jugé, en même temps que Nelson Mandela, et avait écopé de la prison à vie, en 1964, seul condamné Blanc lors du retentissant procès de Rivonia.
« Je suis attristé que des personnes qui ont été héroïques aient pu à ce point dévier de leur chemin initial », poursuit Denis Goldberg. « Et je parle spécifiquement du président Zuma », insiste-t-il.
Jacob Zuma, leader de l’ANC, le parti au pouvoir depuis la fin officielle du régime ségrégationniste d’apartheid, en 1994, a passé 10 ans au bagne de Robben Island. Il est président, depuis 2009, et son deuxième mandat prend fin en 2019.
Il « est en train de détruire ce qu’il a contribué à construire », prévient Denis Goldberg, visage rond, chemise ouverte sur un simple veston. Or « j’attends du président qu’il se lève et dise : +Il faut mettre fin à tout ce bazar+. Mais il ne dit rien, ou plutôt, il dit +Ces escrocs d’hommes d’affaires sont mes amis !+ »
Denis Goldberg refuse pour autant de parler de « trahison ». Il préfère dénoncer « l’oubli des valeurs pour lesquelles on s’est battus, à savoir, l’égalité entre les gens, la disparition du fossé » entre les riches et les pauvres.
« Il y a désormais de riches personnes noires qui exploitent et maintiennent ce fossé. C’est une terrible déception », assène l’homme qui s’est dressé, toute sa vie, contre les injustices et donne, aujourd’hui, des conférences dans le monde contre le racisme.
Dans ce contexte politique délétère, l’opposition appelle à la démission de Jacob Zuma. Et plusieurs voix au sein même de l’ANC s’élèvent, désormais, pour dénoncer les dérives du pouvoir.
« Ça va dégénérer en Etat mafieux si ça continue », a lancé, cette semaine, le secrétaire général du parti, Gwede Mantashe. Et Barbara Hogan, ancienne ministre, d’appeler l’ANC à « dégager les forces pourries ».
« C’est très important pour moi » de voir que les critiques ne viennent pas seulement « des médias et de gens comme moi qui n’ont, jamais, été au gouvernement », se réjouit Denis Goldberg.
Car « les seules personnes qui peuvent corriger la situation devenue hors de contrôle, sont les membres de l’ANC. Si cela n’a pas lieu, l’ANC va, terriblement, souffrir aux élections locales », cette année. En revanche, si Jacob Zuma « démissionne, nous avons une chance de nous en remettre ».
Il y a un précédent dans la jeune démocratie sud-africaine. En 2007, l’ANC avait contraint à la démission, le président, Tbabo Mbeki, accusé d’avoir instrumentalisé la justice contre son rival… Zuma.
En dépit de sa « terrible déception », Denis Goldberg reste-t-il, toujours, fidèle à l’ANC ?
« Mais oui », répond-il, en français, dans le texte. « Mes critiques ne visent pas à détruire l’ANC, mais, au contraire à la reconstruire », explique-t-il avec enthousiasme et conviction, le sourire jamais loin.
Avec AFP