La Russie est en train de devenir le partenaire de choix en matière de sécurité pour un nombre croissant de gouvernements africains dans la région, au détriment des alliés traditionnels tels que la France et les Etats-Unis. Serguei Lavrov, le chef de la diplomatie russe, qui a effectué plusieurs voyages en Afrique ces dernières années, s’est arrêté cette semaine en Guinée, en République du Congo, au Burkina Faso et au Tchad. La France qui était la véritable patronne des lieux où elle est aujourd’hui progressivement absente. L’Afrique, de son côté, a été oubliée d’être invitée aux festivités de juin ayant trait au Débarquement en Normandie alors que des dizaines de milliers d’Africains moururent pour libérer la France à cette occasion. Les relations ne sont donc plus bonnes comme auparavant. Mais, la France essaie de s’accrocher. Pour preuve, la présence de quatre pays dans ses cycles de formation à Saumur ce mois de juin.
L’armée de terre française a lancé, cette semaine, son premier séminaire des écoles d’état-major francophones partenaires. Une première édition qui s’est déroulée à Saumur et qui a rassemblé des officiers du Gabon, du Bénin, de Côte d’Ivoire et du Sénégal notamment… Objectif : renforcer les liens entre l’armée française et ses alliés africains, et apporter une réponse plus adaptée à la percée de la Russie en Afrique.
La France réagit à l’offensive de Moscou, qui a développé de manière agressive sa coopération militaire avec les nations africaines en utilisant la société de sécurité privée Wagner et son successeur probable, Africa Corps, les mercenaires russes assumant des rôles allant de la protection des dirigeants africains à l’aide aux Etats dans la lutte contre les extrémistes.
Moscou cherche, également, à obtenir le soutien politique, ou au moins, la neutralité, d’un grand nombre des 54 pays d’Afrique à propos de son invasion de l’Ukraine. Les nations africaines constituent le plus grand bloc de vote aux Nations-Unies et ont été plus divisées que tout autre groupe sur les résolutions de l’Assemblée générale critiquant les actions de la Russie en Ukraine.
La Russie a tiré parti de l’agitation politique et du mécontentement dans les pays victimes de coups d’état, en capitalisant sur la frustration populaire et la colère à l’égard de l’ancienne puissance coloniale qu’est la France. Des coups d’état militaires ont renversé des gouvernements considérés comme proches de la France et de l’Occident.
La Russie offre une assistance en matière de sécurité sans interférer dans la politique, ce qui en fait un partenaire attrayant dans des pays comme le Mali, le Niger et le Burkina Faso, tous dirigés par des juntes militaires, qui ont pris le pouvoir ces dernières années. En retour, Moscou cherche à obtenir l’accès aux minerais et à d’autres contrats.
La violence liée aux extrémistes alliés à Al-Qaïda et au groupe Etat islamique est en hausse au Sahel depuis des années, malgré les efforts de la France, des Etats-Unis et d’autres alliés occidentaux pour aider à combattre les groupes djihadistes dans cette région. En 2013, la France a lancé une opération de près de dix ans au Mali pour aider à combattre les militants, qui s’est étendue au Niger, au Burkina Faso et au Tchad. L’opération a pris fin neuf ans plus tard, mais pas le conflit, ce qui a contribué à attiser la colère de l’Occident.
Les Etats-Unis ont, en outre, perdu pied avec des alliés clés pour avoir imposé des questions – notamment la démocratie ou les droits de l’homme – que de nombreux Etats africains considèrent comme de l’hypocrisie, étant donné les liens étroits qu’entretient Washington avec certains dirigeants autocratiques dans d’autres pays.
Alors que l’Occident peut faire pression sur les putschistes africains en matière de démocratie et d’autres questions, la Russie ne s’immisce pas dans les affaires intérieures.
L’Afrique est riche en minerais, en pétrole et en autres ressources, qui s’accompagnent de défis politiques et juridiques. Ses ressources sont de plus en plus importantes pour la sécurité économique et nationale, comme le cobalt, qui est utilisé dans les appareils électroniques tels que les téléphones portables, ou le lithium, qui est utilisé dans les batteries.
La Russie a prospéré dans les pays où la gouvernance est limitée et a signé des accords miniers par l’intermédiaire de sociétés qu’elle contrôle. Une étude du Parlement européen a montré que la Russie a obtenu l’accès à l’or et aux diamants en République centrafricaine, au cobalt au Congo, à l’or et au pétrole au Soudan, à la chromite à Madagascar, au platine et aux diamants au Zimbabwe, et à l’uranium en Namibie. Au Cameroun, elle excelle dans la commercialisation du gaz et du pétrole.
Le groupe à but non lucratif Democracy 21, basé aux Etats-Unis, a déclaré dans une analyse en décembre dernier que Wagner et la Russie pourraient avoir gagné environ 2,5 milliards de dollars rien qu’avec le commerce de l’or africain depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022.
Bien que la Russie soit de plus en plus un partenaire des pays africains dans le secteur du pétrole et de l’exploitation minière, elle est loin derrière en tant que partenaire commercial global. Par exemple, les données de la Banque mondiale montrent que moins de 1% des exportations africaines sont destinées à la Russie, contre 33% à l’Union européenne. Mais, nul doute que ces mauvaises statistiques russes vont très vite augmenter dans les prochaines années.