Par Jean Paul Tédga
Comme il l’avait fortement prétendu, le candidat des Frères musulmans, Mohammed Morsi, a vaincu au second tour de l’élection présidentielle, son rival Ahmad Chafiq, ancien premier ministre de l’ancien raïs Hosni Moubarak, par 51,73% des voix contre 48,27%. La révolution qui avait contraint ce dernier à la démission, en février 2011, arrive au palais présidentiel où, tous les locataires, jusque-là, se recrutaient dans l’armée. Est-ce la démocratie qui triomphe ou une certaine capacité à endoctriner les masses laborieuses déçues par des pratiques politiques condamnables des dirigeants passés ?
Mohammed Morsi ne sera pas le dernier de la liste des islamistes qui arrivent au pou-voir après avoir régulièrement gagné les élections. Il y en aura d’autres. D’ores et déjà, beaucoup l’ont précédé.
En Tunisie, par exemple, le premier ministre et homme fort du pays, Hamadi Jebali, appartient au parti islamiste Ennahda. Idéologiquement lié aux révolutionnaires actuellement au pouvoir en Libye, il a livré presque pieds et mains liés, après avoir pris de court le président Moncef Marzouki, l’ex-premier ministre libyen, Baghdadi al-Mahmoudi, le 25 juin, à ses amis de Tripoli afin qu’il y soit jugé, alors que même la CPI (Cour pénale internationale), faute d’une justice équitable dans ce pays, demande, sans être entendue, que des dignitaires libyens de première importance, comme Seif al-islam Kadhafi, puissent répondre de leurs actes passés, à La Haye. L’avocate de ce dernier, l’Australienne Melinda Taylor, venue élaborer une stratégie de défense avec son client, est bloquée en Libye, depuis début juin, à cause de la remise à son client, selon les services secrets libyens, des documents non déclarés et pouvant porter atteinte à la sécurité nationale. La CPI continue de négocier sa libération, sans succès, pour le moment. Voilà le pays où Hamadi Jebali a extradé Baghdadi al-Mahmoudi.
Au Maroc, la primature est, également, occupée par Abdelillah Benkirane du Parti islamiste Justice et Développement (PJD) qui a qualifié l’élection égyptienne de « victoire de la démocratie, de la volonté du peuple et du choix des réformes ».
La Tunisie, le Maroc, l’Egypte, et demain, la Libye en attendant l’organisation des scrutins que les partis d’obédience islamique vont gagner, vibrent au même diapason. Seul résiste, pour le moment, l’Algérie, et pour cause : l’armée arrive encore à contrôler tous les rouages de l’Etat et de la société. Le printemps arabe qui avait failli emporter le régime, presqu’au même moment qu’en Libye, avait été rapidement maté, sans ménagement, par les généraux. Aujourd’hui, quelque peu affaibli par son état de santé, le président Abdelaziz Bouteflika est apparemment tranquille, sans jamais être sûr où et comment viendrait la révolte. D’autant plus que le Sud de l’Algérie fait partie de la zone contaminée du Sahel où se mélangent, islamisme, terrorisme, rapt de touristes occidentaux, trafics de toutes sortes. Déjà, en maillon faible de cette chaîne, le Mali est la première victime : coup d’état de mars 2012, annonce de l’indépendance (non reconnue) du MNLA (Mouve-ment national pour la libération de l’Azawad), instauration de la charia décrétée par le mouvement islamique Ansar Dine, etc. Le Mali qui coule, sous nos yeux, risque d’entraîner, avec lui, le Nord du Niger et une bonne partie de la Mauritanie : de plus en plus secoué sur le plan intérieur où les partis politiques et la société civile lui intiment l’ordre de démissionner pour avoir truqué l’élection présidentielle de juillet 2009 qu’il gagna au premier tour avec 52,58% des voix, le général-président Mohamed Ould Abdel Aziz, sans l’appui massif de l’Algérie et des Occidentaux, ne résisterait pas longtemps. Paradoxalement, sa chute ferait un boulevard à l’islamisme triomphant. Avec la charia à la clé. Ainsi que la pratique de l’esclavage sur la communauté négro-mauritanienne que le président Abdel Aziz ne combat pas vraiment.
Toujours en Afrique de l’Ouest, plus précisément, dans sa partie du Golfe de Guinée, se trouve le Nigeria, ce géant de 160 millions d’habitants aux pieds d’argile. La secte (est-ce encore une secte ?) Boko Haram tue comme elle veut, sans rencontrer la moindre résistance : en moyenne, au moins 100 assassinats par semaine, générale-ment, les chrétiens, au nom de l’intolérance religieuse.
Le président Goodluck Jonathan, a limogé, son conseiller à la sécurité nationale ainsi que le ministre de la Défense nationale, pour absence de résultats, vendredi 22 juin. Colonel à la retraite et cousin du Sultan de Sokoto dans le Nord, Sambo Dasuki qu’on dit influent, devient le nouveau NSA (conseiller pour la sécurité nationale) du président de la Fédération. Les frontières de cette zone étant particulièrement poreuses, Boko Haram entretient, déjà, au grand jour, des ramifications dans certains pays voisins.
Il faut vraiment retenir son souffle. A l’allure où se déroule la conquête du pouvoir par les islamistes, il y a lieu de craindre des lendemains qui déchantent. Comme un effet de mode, l’islamisme devient triomphant. Avec, déjà, des incompréhensions : à Gao et Tombouctou, par exemple, les jeunes filles sont outrées que les membres du Mouvement Ansar Dine leur intiment l’ordre de se couvrir la tête et de cacher leur nombril, avant de sortir dans la rue. Ce n’est qu’un début. Bientôt, ce sont les bras des voleurs qu’on va couper.