AFRIQUE : « L’impérialisme n’a pas de couleur », dénonçait le président mozambicain Samora Machel

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Et si l’impérialisme n’avait pas de couleur ? En effet, au Sommet des trois bassins forestiers tenu, à Brazzaville, du 26 au 28 octobre 2023, le président, Félix Tshisekedi, de la République démocratique du Congo (RDC) a fait une intervention critique sur les agissements de son homologue rwandais, Paul Kagamé, dont l’acuité appelle à revoir le concept de l’impérialisme pour une définition plus précise. Usuellement, l’impérialisme renvoie d’emblée à son acception manichéenne de domination des pays à faible économie par un riche Occident pilleur des ressources naturelles de ces derniers. Dans ce sens, sont attribués à l’Occident, toutes sortes de manœuvres ou de mécanismes tendant à instaurer et/ou à préserver le rapport de force actuel lui garantissant sa position de dominant sur le tiers-monde. Cette approche réductrice dénote, aujourd’hui, au-delà de son apparence conventionnelle, une flagrante limite : la dissimulation de la perfide collaboration des leaders locaux acquis à la cause de l’Occident, nécessaire pour un fonctionnement efficace de ses mécanismes d’exploitation. Elle passe, en réalité, sous silence la reproduction à l’identique les méthodes asservissantes de l’Occident par les dirigeants africains à l’endroit de leurs peuples ou des Etats voisins une fois dans une posture de pouvoir. Aussi, convient-il, pour une définition plus pertinente du concept, de bien nuancer ce tableau manichéen par le soulignement de trois postures de dirigeants africains collaborateurs de l’Occident : la première, celle des antipatriotes, valets locaux du réseau impérialiste mondial, œuvrant délibérément pour la paupérisation de leurs propres nations ; la deuxième, celle des préfets françafricains facilitateurs de manœuvres néocoloniales et, la troisième, celle de pseudo-patriotes, dirigeants d’Etats conquérants se livrant volontiers à la déstabilisation de leurs voisins pour accomplir une pernicieuse volonté de puissance continentale.

SASSOU-NGUESSO, ANTE-PEUPLE ET FOSSOYEUR DE L’INTEGRITE TERRITORIALE DE SON PAYS

En 1986, le défunt président du Mozambique, Samora Machel, en visite officielle à Brazzaville, fut stupéfait par l’état de décrépitude socioéconomique d’un Congo qu’il imaginait plutôt prospère du fait de l’abondance de ses ressources naturelles et de son rayonnement idéologique dans le mouvement progressiste africain. Un aperçu de la réalité le ravisa, une fois persuadé qu’au-delà de l’effectivité des mécanismes néocoloniaux existants, subsistait une forte part de responsabilité des dirigeants locaux antipatriotes œuvrant délibérément contre le développement socio-économique de leurs pays. Sidéré par le paradoxe congolais -celui d’un pays au sous-sol riche pour un peuple pauvre- il manifesta sa contrariété à son hôte, Sassou-Nguesso, par une expression emplie de mordant : « l’impérialisme n’a pas de couleur ». Il sous-entendait par-là que le sous-développement de l’Afrique ne résultait pas du seul pillage de ses ressources par les Occidentaux, mais aussi, de la servile collaboration des dirigeants postcoloniaux viscéralement corrompus avec leurs anciens maîtres qu’ils assistent dans l’entretien des mécanismes de paupérisation de leurs propres pays.

En la matière, Sassou-Nguesso demeure l’illustration parfaite d’un dirigeant comprador entièrement consacré à la satisfaction des intérêts néocoloniaux de la Françafrique et, conséquemment, peu soucieux du bien-être d’un peuple congolais qu’il a sacrifié sur l’autel de sa cupidité. Concrètement, il a octroyé aux pétroliers, Total Energies, ENI et Perenco, un monopole d’exploration et d’exploitation des ressources pétrolières hypothéquées sur des décennies à venir. Il distribue, arbitrairement, des concessions minières à des sociétés prédatrices occidentales, asiatiques, et désormais, rwandaises, pour une exploitation sauvage de ressources naturelles au détriment de l’équilibre écologique local. Aussi, ce pillage accentué depuis les trois dernières décennies a favorisé l’accumulation d’une fortune illicite par la caste dirigeante et a aggravé la précarité de la situation du petit peuple. A ce jour, suivant les indiscrétions fuitées du scandale des Panama Papers, Sassou-Nguesso, lui-même, son fils, Christel, et Jean-Jacques Bouya, son inamovible ministre des Travaux publics, recèlent, respectivement, une fortune dépassant le budget annuel ou la dette extérieure du Congo-Brazzaville. Pis encore, insatisfaits de leurs acquis, Sassou-Nguesso et son fils ont entrepris une vaste opération de bradage de terres congolaises au Rwanda par voie d’accords fallacieux et secrets compromettant la souveraineté de l’Etat sur les fractions de territoire cédées. Le tollé de réactions suscitées par l’absurdité de cette démarche opaque a exposé le caractère vieillissant de ce pouvoir en perte de lucidité politique confronté à une désapprobation populaire inédite dans l’histoire du Congo. Tel dirigeant fantoche et spoliateur rentre de facto dans la catégorie économique des « architectes de la pauvreté » forgée par l’intellectuel sud-africain, Moloetsi Mbeki, pour dénoncer la paupérisation de l’Afrique du Sud post-apartheid par les gouvernements successifs de l’ANC. L‘antipatriotisme de Sassou-Nguesso associé à sa servilité à l’endroit de l’Elysée et, dorénavant, à sa félonie au profit du Rwanda, font de lui un valet typique des impérialismes français et africain dont le point commun est la participation déficitaire du Congo-Brazzaville dans ces échanges économiques bilatéraux. De surcroît, convient-il de préciser, ces échanges n’ont d’officiel que le nom car, en réalité, l’oligarchie congolaise utilise les canaux étatiques pour brader les ressources naturelles du pays pour son enrichissement personnel étant donné qu’aucune recette de leur vente n’est versée au trésor public. Les comptes publics n’affichent aucune trace de ces opérations de contrebandiers.

LES FACILITATEURS DE COMPLOTS DE LA FRANÇAFRIQUE

Certains dirigeants africains pratiquent, aussi, des formes de collaboration rétrograde avec l’Occident consistant à appliquer pour le compte d’une puissance étrangère, une politique de déstabilisation de pays voisins. Ils y procèdent soit par l’expression d’intentions d’agression militaire directe sur un pays voisin, soit par une mise à disposition à une puissance extérieure de leur territoire pour servir de base arrière de lancement d’opérations secrètes. Les Etats de la CEDEAO (le Nigeria, le Ghana et la Côte d’Ivoire en tête) ont joué ce rôle par l’expression de velléités de belligérance directe contre le Mali en 2020, heureusement, stoppées par une opposition radicale de l’opinion publique africaine clairement affichée. Désormais, la Côte d’Ivoire et le Bénin sont ciblés par les services de renseignements français pour servir de rampe de lancement d’une guerre hybride secrète contre les pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES). La Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara se trouverait, aussi, sur diktat des Etats-Unis, en phase de servir de base de repli à l’armée américaine délogée du Niger tandis que le Bénin de Francis Talon ferme son territoire au transit de biens à destination et en provenance de son voisin nigérien dans le seul but de l’étouffer sur ordre de l’Elysée.

Ce type de stratagème dénoncé par le capitaine, Ibrahim Traoré, du Burkina Faso au premier Sommet de l’AES, à Niamey, le 06 juillet dernier, continue paradoxalement de s’appliquer en dépit de son archaïsme avéré. D’après lui, « c’est malheureusement depuis les années 1960, lorsque ces simulacres d’indépendances ont été données à l’Afrique ; ils n’ont juste fait que placer des valets locaux à la tête, selon eux, de leurs sous-préfectures, pour pouvoir continuer à les alimenter. Ces valets locaux, que nous allons qualifier aujourd’hui d’esclaves de salon, n’ont d’autres repères que de rechercher à vivre comme le maître, à satisfaire le maître, et à faire tout ce que le maître leur dicte ».En l’occurrence, les présidents, Alassane Ouattara, et Francis Talon, deux marionnettes patentées de la Françafrique, vérifient, nettement, ce portrait-robot de suppôt de l’impérialisme dressé par le capitaine Traoré : « Lorsque le maître commande, ils exécutent. Ce sont des individus qui n’ont aucune dignité, qui n’ont aucune morale, qui n’ont aucune personnalité ».

LES DIRIGEANTS EXPANSIONNISTES

Hors pré-carré françafricain, l’Afrique de l’Est fournit à travers Yoweri Museveni et Paul Kagamé le spéciman de dirigeants expansionnistes post-Guerre Froide engagé dans un processus d’occupation du territoire Est du voisin rdcongolais pour une exploitation anarchique des minérais stratégiques dont regorge le sous-sol de cette région. Les armées ougandaises et rwandaises assiégeaient, déjà, dès la fin de la présidence Mobutu, début 1990, une partie du territoire zaïrois officiellement pour le maintien de la paix, mais, officieusement, pour le pillage des ressources naturelles de la zone. Son successeur, Laurent Désiré Kabila, découvrît, étonnamment, la révoltante réalité de la déstabilisation de son pays : « Museveni l’avait dit à la délégation des ministres des Affaires étrangères de la SADC que le Congo a besoin d’un dirigeant faible, Kabila est trop fort. Lorsqu’on lui dit « faites ceci, il refuse » ; et qu’est-ce qu’on nous disait de faire ? de donner à Museveni et à ses frères des concessions parce qu’il s’y trouvait déjà. Je ne sais pas s’il coopérait avec les autres, les mobutistes, avant.… Et comme on ne pouvait accepter que ces choses se passent autrement que par le canal légal établi, c’était une source de mésentente », dénonçait-il dans une interview aux extraits en circulation sur internet.

Trois décennies après, son successeur, Félix Tshisekedi, confronté aux mêmes injustices, refait un constat similaire face, cette fois-ci, à son homologue rwandais, Paul Kagamé, dont il a vertement dénoncé les manœuvres au Sommet des Trois Bassins sus-évoqué. « En ce moment par exemple où nous parlons de ce sujet très important, la conservation de notre biodiversité, de nos forêts », a-t-il proféré, « il se passe actuellement dans le Parc de Virunga, l’une des réserves naturelles les plus importantes au monde en forêt et en biodiversité, un activisme armé qui met à mal cet écosystème, qui le détruit. Et cela n’a pas été décidé à Washington, à Paris, à Bruxelles ou à Londres ; cela a été décidé en Afrique et plus précisément à Kigali. C’est l’œuvre d’un frère africain. Nous devons arrêter de rejeter la responsabilité sur les étrangers non-africains ». Soulignant l’impact sécuritaire de ces manœuvres, il dit : « Le jour où nous mettrons fin à ce à quoi nous assistons aujourd’hui à l’Est de la République démocratique du Congo, par exemple, des voisins qui viennent semer la pagaille, la mort, la désolation uniquement dans le but de s’enrichir, de piller les ressources, le jour où nous mettrons fin à ce genre de comportement, alors, là, nous aurons compris ».

Dans un autre contexte, le président, Tshisekedi, a réitéré, fermement, sa méfiance face à l’ambigüité de son homologue rwandais : « Je ne crois pas en la sincérité de Kagame parce que j’ai découvert une chose, c’est un dangereux criminel. Il vit, il fait vivre son économie des pillages des ressources de la République démocratique du Congo et de l’aide internationale ». Ce pillage s’opère, bien sûr, dans une atmosphère de troubles sociopolitiques résultant d’une guerre télécommandée par des puissances extérieures au gré de leurs enjeux politico-économiques et livrée sur le terrain par des mouvements rebelles armés constitués majoritairement de miliciens locaux. Ainsi, Kigali a substitué les rebelles du M23 à ses troupes pour continuer la guerre sous le commandement officieux de son état-major afin de créer l’impression d’une guerre civile entre Congolais. Aux dires mêmes du président, Tshisekedi, « Ils repositionnent le M23 dans une autre situation pour dire aux Américains » que les soldats rwandais se sont retirés et que ce sont désormais « des problèmes de politique interne » du Congo démocratique.

Enfin, derrière l’enjeu économique de cette guerre se profile un autre agenda politico-culturel, la mise en œuvre d’un plan de restauration d’un empire tutsi reliant l’Océan indien à l’Atlantique impliquant une substitution démographique des Bantous par les Nilotiques au moyen d’un génocide dont le commencement a, déjà, causé vingt millions de morts à l’Est de la RDC. Selon Laurent Désiré Kabila, « L’expansion territoriale est une autre motivation. L’empire Hima-Tutsi a besoin de territoire, de terres congolaises…alors c’est cette guerre qu’on nous impose qui est une guerre injuste ».

Toutes ces horreurs révoltent à juste titre quelques ténors du panafricanisme, qui en dénoncent le responsable sans détour. Pour le premier d’entre eux, Rutendo Matinyarare du Mouvement anti-sanctions du Zimbabwe (ZASM), « Paul Kagame est une menace pour l’Afrique et les Africains ne doivent pas lui faire confiance parce qu’il a été formé par les Américains pour être un mercenaire des Américains…Il fait le travail des Occidentaux, comme il le fait au Congo qu’il continue d’envahir pour en piller les ressources ». Le second, Kemi Seba, flagellateur des dictateurs antipatriotes du continent le stigmatise aussi : « On ne peut pas prôner le développement en assassinant, en violant, en détruisant ses semblables africains. Kagame est un cauchemar pour les Africains lucides, un criminel politique…C’est quelqu’un qui a été soutenu par toute l’oligarchie occidentale pour que ce pays soit le laboratoire de la déstabilisation de la sous-région, de la destruction de l’Est du Congo ».

A l’évidence, toutes les opinions lucides et crédibles convergent sur la personnalité problématique de Paul Kagamé. Une esquisse de possibilité de règlement du cas Kagamé laisse profiler trois hypothèses : primo, Kemi Seba, entrevoyant une solution judiciaire, « espère qu’un jour, il sera trainé devant les tribunaux pour le chaos qu’il fait opérer actuellement et depuis un certain nombre d’années en RDC » ; secundo, le président, Tshisekedi, qui, en homme d’Etat, prône logiquement deux alternatives politiques : « Qu’il s’en aille, c’est ça la solution. Qu’il s’en aille parce qu’il embête la région. Et c’est un problème pour le Burundi, c’est un problème pour l’Ouganda, il est un problème pour la RDC et je pense même pour la présidente de Tanzanie » sans quoi, tertio, « Il faut lui faire la guerre ».

L’évocation de quelques noms de chefs d’Etat collaborateurs ne saurait être exhaustive. L’Afrique fournit une légion de dirigeants susceptibles de compléter cette liste ou de constituer des catégories supplémentaires. Les autorités algériennes, qui pillaient jusque-là du pétrole malien en complicité avec la France, son ancien colonisateur, et qui recèle les terroristes du Nord Mali dans son territoire frontalier aujourd’hui, comme à l’occasion de la récente bataille de Tenzaouatene, ou encore, le président kenyan, William Ruto, qui emboîte le pas au Rwanda pour déstabiliser et piller la RDC sont une parfaite illustration de ce phénomène. Le dénominateur commun de tous ces dirigeants est la similarité de leurs comportements devant une identité d’enjeux économiques de leurs pays indépendamment de toutes particularités culturelles, géographiques ou idéologiques des acteurs en présence. L’échantillon des personnages choisis pour cette analyse illustre à suffisance que les intérêts économiques dictent aux humains une similitude de postures transcendant les frontières des catégories raciales ou culturelles et illustre à souhait cette pensée presque inconnue de Samora Machel : « L’impérialisme n’a pas de couleur ».

Mélinée T. MAVOUNIA

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