« Le chef qui fait trembler est comme une grosse pierre qui barre une piste. Les voyageurs l’évitent, la contournent, puis un jour, ils s’aperçoivent que le chemin serait moins long s’il n’y avait pas la pierre. Alors, ils viennent en grand nombre et la déplacent. La force ne crée pas un chef mais un adversaire à abattre », écrit joliment et justement le Malien Seydou Badian dans “Sous l’orage”, un des romans africains qui abordent de fort belle manière le conflit entre tradition et modernité.
Certains pays et certains leaders ont du mal à se débarrasser d’une tradition que, d’emblée, je me permets de juger mauvaise. Mauvaise parce qu’elle est inefficace et retarde l’affranchissement des populations africaines de l’oppression et de la pauvreté. Cette mauvaise tradition, c’est la manie de faire cavalier seul au lieu de constituer, avec d’autres, un grand nombre qui déplacerait, facilement et rapidement, la pierre qui barre le chemin.
C’était le cas hier au Cameroun où la plupart des opposants refusèrent d’entendre l’appel de Cabral Libii à choisir et à soutenir un seul candidat de l’opposition face à Paul Biya qui contrôlait, à la fois, Elecam et le Conseil constitutionnel. Maurice Kamto et les autres s’opposèrent à l’idée de se mettre ensemble derrière l’un d’entre eux parce que chacun se voyait déjà président de la République et était convaincu qu’il pouvait déloger tout seul celui qui siège au palais d’Etoudi depuis novembre 1982. Cette vision des choses (je n’ai pas besoin des autres) ne relève pas seulement de la naïveté et de l’amateurisme mais d’un manque de jugement, preuve que l’on peut être bardé de gros diplômes et manquer de sagesse et d’intelligence pratique. Ce qui se cache derrière un tel comportement, c’est la poursuite d’intérêts personnels et non le bien du pays.
La RDC risque de connaître le même scenario, puisque l’opposition, qui n’a manifestement pas tiré les leçons de l’échec des opposants camerounais, s’apprête à aller en rangs dispersés à l’élection présidentielle du 23 décembre 2018 face à l’ancien ministre de l’Intérieur de Joseph Kabila, Emmanuel Ramazani Shadary. Quand celui-ci sera proclamé vainqueur, les mêmes opposants, avant de rejoindre la mangeoire, condamneront, plus ou moins, violemment, bourrage d’urnes, fraudes massives, tricheries et tutti quanti.
En Côte d’Ivoire, Dramane Ouattara pourrait rempiler tranquillement en 2020 si de nouvelles règles du jeu ne sont pas mises en place. Ça m’étonnerait que cet homme, qui n’est à l’aise que dans la tricherie et le faux, fasse plaisir à l’opposition en revenant sur le découpage électoral, les listes électorales et la composition du Conseil constitutionnel ou en se séparant de Youssouf Bakayoko (sur notre photo en train d’observer Ouattara qui vote) qui lui a permis de gagner successivement en 2010, en 2015 et en 2018. Il faut contraindre l’imposteur à accepter un modus faciendi (une manière de faire) qui arrange tout le monde. Mais, cette contrainte, d’où viendra-t-elle? Ouattara sera obligé de faire ce qu’il n’a pas envie de faire quand l’opposition inversera le rapport de force. Bédié a fait appel à deux avocats français pour l’aider dans son palabre avec Ouattara qu’il couvrait d’éloges hier. C’est une fuite en avant. Le FPI, lui, attend que Gbagbo sorte de prison avant d’entreprendre quoi que ce soit. C’est une autre fuite en avant. La solution au problème de notre pays n’est pas en dehors de nous mais en nous ; elle ne se trouve pas à l’extérieur mais à l’intérieur de la Côte d’Ivoire. En un mot, il ne s’agit pas de contourner la pierre qui barre le chemin mais de taire un moment les rancœurs pour se retrouver et unir les forces. Les forces mises ensemble constitueront une puissante force qui déplacera rapidement la pierre, c’est-à-dire, fera tomber le régime Ouattara ou l’obligera à discuter avec l’opposition. Personnellement, je pense qu’il est trop tard pour discuter avec le tyran. Ce que ce dernier mérite, le seul traitement qui guérira notre pays du mal qui le ronge depuis 1990, est un soulèvement populaire. Si le FPI et le PDCI appellent les Ivoiriens à boycotter un certain nombre de choses et/ou à prendre la rue sur l’ensemble du territoire, je parie que, dans une semaine, l’homme qui aime sauter les clôtures prendra la poudre d’escampette.
Pendant que nous nous complaisons dans les discours du genre “Le FPI ou le PDCI avait fait ceci ou cela, il faut qu’il s’excuse d’abord”, Ouattara affûte ses armes, tisse sa toile, étudie comment se maintenir au pouvoir. Pour empêcher cela, je ne vois pas 36 mais une solution : l’union de toute l’opposition pour dégager l’ami de Sarkozy avant 2020 et instaurer une transition qui, entre autres choses, produirait une nouvelle Constitution et choisirait des gens crédibles pour préparer la prochaine présidentielle.
Ne nous leurrons pas : ce n’est pas le chacun pour soi qui sauvera notre pays. Seules notre union et notre détermination viendront à bout de cette dictature qui n’a que trop duré et mettront ainsi fin au calvaire des Ivoiriens fatigués de boire le calice de la souffrance et d’écouter des discours sans lendemain.
Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)