AU SECOURS DES IDEES Par le Professeur Paul TEDGA

Date

PROPOS RACISTES DE KAIS SAIED : Les chefs d’Etat africains sont-ils devenus muets ?

Toc Toc Toc… Y a-t-il quelqu’un ? Voilà la question que je me pose depuis que le président tunisien, Kaïs Saïed, a tenu des propos racistes, indignes d’un homme d’Etat de son rang. Le chef d’Etat tunisien n’est pas n’importe qui : avant de présider aux destinées de la Tunisie, il était un éminent universitaire, professeur de droit constitutionnel, et président de l’Association tunisienne de droit constitutionnel de 1995 jusqu’à son élection à la présidence de la République en 2019. Il n’est donc pas un populiste qui serait arrivé au sommet de l’Etat grâce aux combines et aux indignes compromissions que peut suggérer le suffrage universel. Et pourtant !


Lors du Conseil de sécurité nationale du 21 février, il s’en est pris aux « hordes de migrants clandestins » qui perpétuent selon lui « des violences et des crimes » à travers le pays, allant jusqu’à accuser « les immigrés illégaux d’Afrique subsaharienne » de « modifier la composition démographique de la Tunisie » afin d’en faire « un pays africain ». La Tunisie n’est-elle pas un pays africain ?

J’ai beau chercher, je ne trouve pas de différence entre ses propos à lui, le Tunisien, et ceux que déversent tous les jours, en Europe, les tenants de l’extrême-droite en France, en Italie, pour ne citer que ces deux pays, qui sont en train de basculer, sous nos yeux, vers l’extrémisme.

Sa déclaration, qui souscrit à la théorie conspirationniste du « grand remplacement » du penseur français d’extrême-droite, Renaud Camus, prédit une substitution inexorable d’une population européenne par une population immigrée. Elle est reprise, ici, par Kaïs Saïed, la population tunisienne devant à terme être remplacée par une population noire, venant d’Afrique subsaharienne. Les propos hors de proportion du président tunisien, ont fait que les Négro-Africains vivant en Tunisie, se trouvent, aujourd’hui, dans une insécurité absolue, l’amalgame ayant été vite fait par le président, lui-même, entre ceux qui sont titulaires d’un titre de séjour, c’est-à-dire, en situation régulière, les demandeurs d’asile et les clandestins. Tous Noirs, ils sont logés à la même enseigne. Sans aucune différence. Lors des rafles qui se multiplient, ils sont embarqués (car tous Noirs) avant de faire le tri au commissariat. C’est triste ! C’est, surtout, rageant qu’aucun chef d’Etat africain n’ait élevé la moindre protestation. Pourquoi une telle faiblesse des chefs d’Etat africains ?

L’Union africaine a réagi à travers un communiqué, condamnant les propos du président tunisien et appelant ses Etats membres à « s’abstenir de tout discours haineux à caractère raciste, susceptible de nuire aux personnes et accorder la priorité à leur sécurité et à leurs droits fondamentaux​« . Le président bissau-guinéen et président en exercice de la CEDEAO, Umaru Sissoco Embalo, s’est déplacé, à Tunis, pour rencontrer Kaïs Saïed. Mais, pour dire vrai, ces deux réactions ne sont pas à la hauteur de la gravité de la révoltante situation qui prévaut en Tunisie. Car l’Union africaine n’est qu’un secrétariat à l’autorité limitée tandis que la visite d’Umaru Sissoco Embalo n’a été que simple gesticulation. Sinon, à quoi a-t-elle servi sauf à trouver quelques circonstances atténuantes à Kaïs Saïed qui, d’après lui, n’est pas du tout raciste. Et quoi encore Monsieur le Président ? Pauvres de nous-mêmes !

Les principaux pourvoyeurs de cette immigration sont tous restés silencieux, beaucoup préférant affrêter des vols pour ramener leurs ressortissants. Je n’ai pas entendu le président de Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, protester alors qu’il a été le premier à lancer un pont aérien entre Tunis et Abidjan qui a permis à plus de 2.000 de ses compatriotes à rentrer, dignement, chez eux. Le président du Sénégal, Macky Sall, qui a présidé l’Union africaine jusqu’à récemment, n’a rien dit non plus. Pas plus que le président du Nigeria, Muhammadu Buhari, dont le pays est, également, un grand exportateur de migrants, qui comptaient parmi les 21.000 officiellement recensés par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES).

Si les Africains se lancent dans cette aventure, c’est, très souvent, à cause du mal vivre dans leurs pays où la mauvaise gouvernance est rarement sanctionnée par l’alternance politique à la tête de l’Etat, puisqu’il est admis en Afrique qu’on ne peut perdre une élection qu’on organise. La seule issue, pour celui qui en a les moyens, c’est de partir à ses risques et périls, vers l’Europe ou l’Amérique du Nord supposées être des eldorados.

La pauvreté n’est pas une fatalité. Elle se combat et il n’existe pas de problème sans solution. Les Israéliens n’ont-ils réussi à cultiver de la tomate, des courgettes, des choux, etc., en plein désert du Néguev ? Alors qu’on disait cela impossible, ils sont allés chercher l’eau à 1.500 mètres sous terre. Aujourd’hui, le désert n’est plus un handicap nulle part dans le monde.

En conclusion, je souhaite que les propos irrespectueux voire insultants du président tunisien, soient une douche froide qui réveille les dirigeants africains de leur profond sommeil.

NB : Cet éditorial du professeur TEDGA est disponible dans le numéro 519 d’avril d’Afrique Education actuellement chez les marchands de journaux. Le magazine peut aussi être commandé sur sa boutique (www.afriqueeducation.com) jusqu’à l’envoi du pdf de façon instantanée. Bonne lecture !

Envie d’accéder aux contenus réservés aux abonnés ?

More
articles

×
×

Panier