AZALI ASSOUMANI : « Je reste ouvert à toutes les bonnes volontés pour faire gagner notre pays ».

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La diaspora comorienne en France compte organiser une marche, vendredi, 19 juillet, à Paris, pour protester contre la venue du président des Comores, Azali Assoumani, invité par la France à effectuer une visite officielle dans l’Hexagone. La diaspora comorienne n’a pas (encore) compris que le gouvernement comorien et ses partenaires extérieurs considèrent l’élection présidentielle de mars comme de l’histoire ancienne, et entendent passer à autre chose : l’avenir de ce pays et les propositions de partenariat que le pays met sur la table de ses partenaires extérieurs dont la France.
Dans cette interview à suivre accordée par le président, Azali Assoumani, à Afrique Education, au lendemain de son investiture, à Moroni, il reconnaît le soutien financier que la diaspora apporte au pays, notamment, aux familles. L’union faisant la force, il déclare toute grandement ouverte sa porte à Beit Salam (présidence de la République) pour recevoir et écouter tous les membres de la diaspora qui souhaitent à quelque titre que soit, et de quelque parti politique qu’on appartienne. Personne au gouvernement ne va dire Non à un membre de la diaspora qui souhaite apporter sa contribution à l’émergence économique et sociale fixée vers 2030. Le président l’a dit et redit, et la diaspora ne l’a qu’à prendre au mot. De la même façon, il serait prêt et désireux de rencontrer les membres de la diaspora pourvus d’idées et de projets susceptibles d’aider le pays à avancer, lors de son très prochain séjour à Paris. Là aussi, la diaspora (au lieu de contester pour contester) est appelée à collaborer juste et bien pour l’avancement du pays. La balle, ici aussi, est dans son camp. Va-t-elle faire honneur au pays en se montrant digne, engagé et volontaire ?

Depuis le 26 mai, date de son investiture, le président, Azali Assoumani, est, résolument, lancé dans la bataille de l’émergence, fixée à l’horizon 2030. C’est cette raison qui explique qu’il ait modifié la constitution, fin juillet 2018, à la suite des Assises nationales convoquées à la demande de la Société civile comorienne. Aujourd’hui, l’heure est à la mobilisation de toutes les énergies : tous les Comoriens et toutes les Comoriennes de l’intérieur et de la diaspora sont invités à se retrousser les manches. Objectif : bâtir les Comores en vue de son émergence prévue dans une dizaine d’années. En bon officier supérieur, le président a donné sa parole : sa porte est ouverte à toutes les bonnes volontés, qu’elles soient de son camp politique, mais aussi, de l’opposition et de la diaspora. N’ayez pas peur, dit le président, le pays attend chacun et chacune de ses fils et filles pour l’exaltante œuvre de construction nationale qui démarre.

Afrique Education : Monsieur le président, votre entourage vous dit très satisfait de la façon dont s’est déroulée la cérémonie d’investiture du 26 mai. Aviez-vous peur que les choses ne se passent pas bien ?

Azali Assoumani : Une investiture est un moment solennel et historique pour toute nation. L’investiture est souvent accompagnée d’une cérémonie au cours de laquelle le président investi prononce publiquement un discours. Quand on organise un événement d’une telle envergure, il y a des défis d’organisation, d’accueil, d’hébergement et de sécurité à relever. Je suis satisfait du fait que les messages d’espoir et de mobilisation des énergies pour construire le pays ont été bien accueillis. L’équipe chargée de préparer cette cérémonie dirigée par le ministre des Affaires étrangères a fait un excellent travail. Plus de 15.000 personnes ont répondu à l’invitation et la communauté internationale a non seulement pris part mais a affirmé sa disponibilité à accompagner les Comores dans la voie du développement.

Afrique Education : L’opposition n’est pas sur la même longueur d’onde que vous. Elle avait même au lendemain de la proclamation de votre victoire, créé le CNT (Conseil national de transition). Cette opposition a boudé votre investiture et dit ne pas avoir confiance dans votre main tendue. Vous lui annoncez cependant des mesures d’apaisement. Lesquelles ?

Azali Assoumani : Les mesures d’apaisement je les ai annoncées dans mon discours. Je viens d’accorder ce matin (27 mai) la grâce présidentielle, aux personnes condamnées par la Cour de Sûreté de l’Etat. Toutes les personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité voient leur peine commuée à 20 ans d’emprisonnement et les personnes condamnées à des peines criminelles ou correctionnelles égales ou inférieures à 20 ans sont graciées de la totalité de leurs peines.

Bien évidemment, les personnes en fuite, ou qui se sont soustraites à la Justice et condamnées par contumace, ne peuvent pas, selon la loi, bénéficier ni de cette grâce, ni de la réduction des peines encore moins de la totalité des peines.

J’ai également annoncé une série de mesures pour renfoncer la démocratie et conférer un rôle institutionnel au chef de l’opposition. Je vais initier une série de rencontres pour partager les grandes décisions qui engagent l’avenir du pays et inviter les leaders politiques dans le processus de prise de décisions sur les sujets d’intérêt national. Dans tous les cas, les portes de Beit-Salam (présidence de la République, ndlr) restent ouvertes aux personnes animées de bonne volonté.

Afrique Education : Dans tous les cas, l’ordre règne sur l’ensemble du territoire et l’investiture s’est déroulée sans manifestation ni situation hostile. A vue d’œil, le pays est apaisé pour l’observateur de passage que je suis. Au niveau de la diaspora, par contre, les mots d’ordre ayant trait à votre destitution sont couramment lancés. Les opposants de la région de Lyon ont même fabriqué un cercueil qui vous est destiné. Pourquoi les Comoriens de l’extérieur sont-ils plus agités que ceux de l’intérieur ?

Azali Assoumani : Notre pays est victime d’une campagne de désinformation nourrie par les réseaux sociaux. Certains leaders d’opinion sont en train d’alimenter des tensions artificielles et noircir à dessein la situation aux Comores. Notre réponse est simple. Nous allons démontrer par des actes, qu’en Union des Comores, l’autorité de l’Etat va de pair avec le renforcement de l’état de droit et montrer que le pays change par la réalisation de projets d’envergure et par des investissements importants. La diaspora comorienne est un atout important pour ce pays. Elle fait partie des diasporas qui transfèrent le plus de fonds dans leur pays. Je lance un appel à tous ceux qui souhaitent soutenir l’émergence ou investir aux Comores de venir. C’est le bon moment.

Afrique Education : Vous annoncez l’émergence économique en 2030. Votre démarche choisie pour y parvenir semble privilégier l’autorité. Dans ce domaine, l’Afrique jusqu’à présent nous donne deux modèles dont je vous livre les noms, qui ont plus ou moins réussi dans le domaine économique. Il s’agit de Paul Kagamé du Rwanda, de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo de la Guinée équatoriale. Lequel des deux vous inspire le plus et pour quelles raisons ?

Azali Assoumani : Chaque pays trace son itinéraire propre. Les réalités politiques, économiques et les orientations diffèrent d’un pays à l’autre. Nous nous inspirons des modèles des pays insulaires comme l’Ile Maurice. Mais les deux pays que vous venez de citer ont des relations étroites avec Les Comores. Dans beaucoup de domaines, nous avons sollicité leur appui et leurs expériences. J’ai rappelé que Les Comores ont des potentialités et perspectives pétrolières et gazières importantes mais notre politique d’émergence va s’appuyer sur nos pôles de croissance économique : le tourisme d’abord pour faire des Comores l’une des destinations les plus prisées de la région. Nous allons également développer la pêche industrielle pour pouvoir consommer et exporter. Mais une attention particulière sera portée à nos produits de rente, pour en faire des produits de référence, en encourageant les transformations sur place. Pour votre gouverne, African Export-Import Bank vient d’accorder aux Comores une enveloppe de 100 millions d’euros pour les exportations à valeur ajoutée. La banque va appuyer les projets de développement, avec comme priorité, les produits de transformation, halieutique et agricole pour favoriser l’exportation.

Afrique Education : Une fois arrivé à la tête des Comores fin mai 2016, vous aviez rompu les liens avec l’Iran et le Qatar. Vous coopérez maintenant à fond avec l’Arabie Saoudite où vous vous rendez ce mercredi 29 mai par avion spécial affrété par le Roi Salman, et avec les Emirats Arabes Unis où vous étiez le 20 mai pour répondre à une invitation des princes héritiers de ce pays. Pour quelles raisons avez vous opté pour ce changement d’alliance et concrètement, qu’est-ce que le Comorien ou la Comorienne lambda y gagne ?

Azali Assoumani : Nous assistons dans la région à des crises majeures qui ont conduit à des guerres fratricides. Ces guerres sont provoquées par la montée de l’extrémisme religieux. Avec l’Arabie Saoudite, les relations avec les Comores remontent avant l’indépendance des Comores. Des liens très forts unissent les deux pays. De nombreux cadres de l’éducation, de l’administration, mais aussi, des techniciens supérieurs ont été formés en Arabie Saoudite. Quand il y a eu un choix politique à faire suite à une crise majeur dans la région, je n’ai pas hésité à faire ce choix, certes diplomatique, mais aussi, celui d’une appartenance commune et millénaire, à l’Islam Sunnite, symbolisé par l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis.

Afrique Education : En dehors des pays du Golfe, il y a les partenaires occidentaux traditionnels, et puis, les nouveaux venus aux dents longues comme la Chine qui a construit le stade où vous venez de prêter serment. Un stade moderne de 12.000 places. Ressentez-vous une rivalité entre la Chine et les pays occidentaux aux Comores ?

Azali Assoumani : La Chine est l’un des premiers pays qui ont reconnu l’indépendance des Comores et installé une ambassade. La Chine a accompagné Les Comores à faire ses premiers pas. Des nombreux projets de grande envergure ont été financés par la Chine, depuis le Palais du Peuple, jusqu’au Stade Omnisports de Maluzini. Je ne pense pas qu’il y a rivalité entre la Chine et les pays occidentaux. Les visions de coopération diffèrent d’un pays à l’autre. Les interventions de la Chine sont visibles et appréciées par les Comoriens.

Afrique Education : Vous avez réussi le changement de la constitution qui instaure deux mandats. Vous démarrez le premier de ces deux mandats au lendemain de cette investiture. Quels sont les objectifs que vous assignez à ce premier mandat ?

Azali Assoumani : Avec l’adoption de la nouvelle constitution à l’issue des Assises Nationales initiées par la société civile comorienne, j’ai l’ambition de faire des Comores la nouvelle destination de l’Océan Indien. Nous avons un potentiel touristique largement inexploité. Il sera mis en œuvre une stratégie touristique intégrée. Grâce aux infrastructures réalisées et l’accès à l’électricité, nous enregistrons des performances économiques, la croissance s’accélère et frôle les 4 %. A très court terme, le développement de l’énergie géothermique est l’un des projets phares, qui aura un effet d’entraînement sur les tous les secteurs d’activité. Nous avons mis en œuvre la Stratégie de Croissance Accélérée et de Développement Durable (SCA2D) qui fixe une croissance de 6,1 % pour la période 2015 – 2019. Avec l’émergence, nous visons une croissance à deux chiffres. Nous comptons organiser une Conférence pour l’émergence pour lever des fonds, des nombreux pays et organismes se sont prononcés pour apporter leur contribution au succès de cette table ronde.

Afrique Education : Sur le plan de la formation par exemple, les Comores forment beaucoup de Comoriens et de Comoriennes qui restent à l’étranger (comme à Marseille et en région parisienne), ce qui est une perte sèche pour le pays. Que faites-vous pour qu’ils participent au développement des Comores ?

Azali Assoumani : La fonction publique est restée depuis longtemps le seul pourvoyeur d’emplois dans ce pays. Or c’est dans le secteur privé que doit se développer l’emploi. Nous allons mettre en place le code des investissements le plus attrayant de la région, en matière fiscale et de facilitation d’installation des entreprises. La tâche la plus urgente est de créer un environnement des affaires serein assurant la totale sécurité des investissements étrangers. Ces conditions réunies, je pense qu’il n’y a aucune raison que les Comoriens installés à l’étranger ne viennent pas contribuer au développement de leur pays.

Afrique Education : Monsieur le Président, je vous donne tout de même une « Mention Bien » pour avoir impulsé, contrairement, à beaucoup d’autres chefs d’Etat africains, la nomination d’un sélectionneur comorien à la tête de l’équipe nationale de football des Comores. Quel bilan faites-vous de sa présence à la tête de l’équipe nationale de football des Comores et êtes vous prêt à encourager la fédération à lui payer un salaire digne comme elle aurait payé un sélectionneur français, italien, belge, allemand ou autre (A compétence égale rémunération comparable) ?

Azali Assoumani : Les Cœlacanthes (nom donné à l’équipe nationale de football des Comores, ndlr) font la fierté de ce pays. Le sport est devenu le trait d’union entre les Comoriens de l’Archipel et la sélection nationale rend fière. L’équipe est jeune et manque de moyens. Le sélectionneur avec des moyens dérisoires a fait des miracles. Il mérite d’être encouragé et soutenu. Je viens de le recevoir en audience (juste après l’investiture, ndlr) et j’ai pris l’engagement personnel de m’impliquer pour améliorer les performances de la sélection. Nous avons mis en échec à domicile des grandes équipes du continent (Les Lions indomptables du Cameroun et les Lions de l’Atlas, deux équipes entraînées respectivement par le Néerlandais Clarence Seedorf et le Français Hervé Renard, payés à prix d’or, ndlr). Le sélectionneur (comorien Amir Abdou) mérite les encouragements de l’Etat comorien.

Afrique Education : Dans l’interview que vous nous aviez accordée en juillet 2018, vous aviez évoqué le problème des passeports qui a conduit un ancien président en résidence surveillée et qui fait l’objet d’enquêtes judiciaires. Où en est ce problème des passeports ?

Azali Assoumani : C’est un sujet grave mais qui doit permettre au pays de tirer les leçons. De quoi s’agit-il au juste ? Le pays lance en 2008 un programme économique en se basant sur la vente de la citoyenneté comorienne. Au final, le pays se trouve être victime d’une grande escroquerie.

Comme vous le savez, ce programme a été détourné de ses objectifs. Le rapport parlementaire qui m’a été soumis estime à près de 900 millions d’euros (un milliard de dollars) de recettes générées par la vente de la citoyenneté comorienne, mais les élus estiment à moins de 10 % les sommes versées dans les caisses de l’Etat. Des passeports ont été vendus à des personnes poursuivies par la justice américaine et à des personnes proches des milieux terroristes.

J’ai stoppé ce programme pour ces raisons-là pour faire d’abord la lumière.

L’ancien président Sambi qui a initié ce programme a été placé en résidence surveillée dans le cadre de cette affaire. La Justice suit son cours. Comme tout justiciable, il a droit à un procès équitable.

Afrique Education : Votre dernier mot ?

Azali Assoumani : Les Comores viennent de tourner une page avec l’investiture. Nous visons l’émergence des Comores à l’horizon 2030. Pour cela, le pays a besoin de tous ses enfants. La grâce présidentielle que je viens d’accorder à des personnes accusées d’actes graves, entre autres, les mesures sociales, politiques et économiques, sont destinées à mobiliser toutes les Comoriennes et tous les Comoriens, à l’intérieur du pays et dans la diaspora, pour atteindre cet objectif. J’espère que l’ensemble de la classe politique dans toute la diversité de ses opinions, ainsi que, la société civile ont pris la mesure du long chemin qui attend notre pays et qu’ils prendront le train en marche. Je reste ouvert à toutes les bonnes volontés pour faire gagner notre pays.

Propos recueillis à Moroni mardi 28 mai
par Jean-Paul Tédga (envoyé spécial)

NB. Le numéro 477 de juin d’Afrique Education (qui contient l’interview du président Azali Assoumani) est disponible chez les marchands de journaux jusqu’au jeudi 18 juillet.

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