Enfin, le pouvoir et l’opposition se parlent. A l’initiative du chef de l’Etat, Blaise Compaoré, une délégation de l’opposition s’est rendue au Palais de la présidence, le 14 novembre, pour échanger sur les urgences du moment. Celles-ci ont surtout trait au climat d’extrême tension qui prévaut dans le pays, suite aux soupçons qui pèsent sur le président de la République de vouloir utiliser l’installation du sénat pour obtenir une majorité qualifiée (dans les deux chambres du parlement) qui pourrait, facilement, par la suite, lui permettre de reformer la constitution. Objectif : faire sauter le verrou de la limitation des mandats. L’opposition dénonce cette stratégie de contournement des institutions car Blaise Compaoré n’est pas autorisé par l’actuelle constitution à pouvoir se représenter en 2015.
Après plusieurs mois d’hésitation, le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, a rencontré, jeudi 14 novembre, à la présidence de la République, l’opposition politique. « Nous avons reçu une invitation le lundi 11 novembre (nous) invitant à la présidence du Faso », a indiqué son chef de file, le président de l’UPC, Zéphirin Diabré. Sans se faire prier, ce dernier, accompagné, de Michel Tiendrébéogo du FFS, d’Ibrahima Koné du DPS-Metba, de Tahirou Barry du Paren, d’Ablassé Ouédraogo de Faso Autrement, de François Kaboré du RDS et de Moussa Boly du CNPB, ont pu honorer le rendez-vous avec le chef de l’Etat. Absents de la capitale, Stanislas Bénéwendé Sankara et Arba Hama Diallo n’y ont pris part.
Cette rencontre qui s’est déroulée dans un contexte socio-politique particulièrement tendu, a permis à l’opposition de rappeler sa position sur un certain nombre de sujets ayant trait à la vie nationale. En quittant les lieux après un long échange, l’opposition a pris soin de laisser un mémorandum au chef de l’Etat qui reprend les grandes lignes de ses grandes revendications. Le présent mémorandum aura-t-il plus de chance ? On se souvient que le 29 juin 2013, l’opposition, dans une lettre ouverte, avait fait connaître au chef de l’Etat, l’essentiel de ses préoccupations, sans jamais avoir de suite. Quels sont les centres d’intérêt de l’opposition ?
LA PAUVRETÉ DES MÉNAGES
Malgré l’action du gouvernement dans ce domaine, la pauvreté est loin d’être jugulée. Alors que le panier de la ménagère s’allège de plus en plus, on assiste au même moment à l’augmentation des prix des loyers et des frais de transport notamment. L’insécurité alimentaire s’aggrave mettant le Burkina Faso à un niveau d’alerte qui nécessite la prise des mesures de toute urgence.
L’AVENIR DE LA JEUNESSE
Les grèves récurrentes qui affectent l’Université de Ouagadougou sont la preuve du malaise qui règne dans le milieu de la jeunesse. Le document de l’opposition souligne, à juste titre, que le chômage de longue durée est devenu le premier emploi des jeunes. A Ouagadougou, on ne va plus à l’école parce qu’au terme de la formation, on pense participer au développement du pays à travers un travail. Mais on y va pour acquérir un diplôme qui ne servira peut-être jamais dans la mesure où très souvent, les diplômés se retrouvent conducteurs de motos-taxis ou de taxis-autos quand ils ne sont pas de simples vendeurs de car tes téléphoniques, etc. Des boulots dégradants qui font dire à certains observateurs que la colère couve et qu’à la moindre étincelle, le pays risquerait de s’embraser. L’opposition, en se rendant, à la rencontre avec le chef de l’Etat, souhaite que le pays n’en arrive pas à une telle situation. Voilà pourquoi elle prie Blaise Compaoré de garder ses velléités de modification de la constitution dans le placard. Pour sauver la paix dans le pays.
LA SITUATION DES FEMMES
A cause d’un taux d’analphabétisme élevé, l’apport de la femme dans le processus de développement du pays est encore limité. La femme burkinabé n’a pas la même capacité d’organisation et de fonctionnement que sa sœur du Sénégal, du Bénin, du Cameroun ou de l’Afrique du Sud. Il y a là un gap que le pays se doit de vite combler s’il aspire à l’émergence.
LA SANTÉ DES POPULATIONS
Les équipements sanitaires sont obsolètes et insuffisants tandis que le coût des médicaments et des traitements est excessivement élevé par rapport à la bourse des familles. L’opposition relève qu’un corps malade ne peut répondre à l’appel du chef de l’Etat de développer le pays.
LA GOUVERNANCE NATIONALE
Le pays, selon l’opposition, serait devenu la propriété d’un clan dont les membres sont les principaux bénéficiaires de toutes sortes d’avantages allant des marchés publics aux subventions diverses qui sont octroyées dans le cadre du soutien aux entreprises et opérateurs économiques. La corruption est devenue un fléau insurmontable pour le gouvernement qui assiste, impuissant, au pillage de l’économie sans mot dire. Dans d’autres pays africains, on essaie de bouger en activant les dispositifs anti-corruption qui conduisent les bandits en col blanc dans les prisons. Au Burkina Faso (en français « pays des hommes intègres »), le pouvoir a consacré l’impunité, ce qui favorise des mécontentements et cristallise les haines qui peuvent se transformer, à tout moment, en explosion sociale que maîtriserait difficilement le gouvernement.
L’INSÉCURITÉ
Phénomène récurrent dans la sous-région, l’insécurité s’accroît de par la position centrale du Burkina Faso qui partage des frontières avec les pays menacés par le djihadisme. Avant, souligne le rapport, le Burkina Faso était un pays sûr. A Ouagadougou, on pouvait dormir sans fermer sa concession ni sa porte. Aujourd’hui, si on le fait, il y a de for tes chances d’être braqué.
Le Burkina n’est plus le Burkina.
LE PROJET DE MISE EN PLACE DU SÉNAT
L’opposition a dit et répété qu’au stade actuel, un sénat serait inopportun et inutilement budgétivore. D’autre part, il constitue un puissant facteur de division de la nation comme l’attestent les mécontentements et les frustrations qui s’expriment dans le pays depuis qu’on en parle. L’opposition ajoute que les modifications qui viennent d’être introduites dans la constitution, ne répondent pas à la demande de l’opposition et des Burkinabé qui attendent une suppression pure et simple de toute référence au sénat dans la constitution.
LA QUESTION DU RESPECT DE LA LIMITATION DU MANDAT PRÉSIDENTIEL
L’opposition réaffirme son attachement au principe républicain de la limitation du nombre de mandats présidentiels telle qu’inscrite dans la constitution. Le chef de file de celle-ci, Zéphirin Diabré, a fait part à Blaise Compaoré de l’inquiétude de l’opposition et plus généralement, des Burkinabé, d’entendre certains responsables éminents du parti présidentiel appeler à une modification de l’article 37 qui consacre cette limitation.
LE VOTE DES BURKINABÉ DE L’ÉTRANGER
La loi a consacré le droit des Burkinabé de l’étranger à prendre par t à certaines consultations électorales se déroulant sur le territoire national. Après s’être longtemps abstenu de rendre ce droit effectif, le gouvernement, depuis quelque temps, développe des initiatives qui, en plus d’être unilatérales, n’augurent rien de bon pour ce qui est de la tenue d’un scrutin transparent et crédible.
La délivrance des car tes consulaires dans des pays comme la Côte d’Ivoire pose de gros soucis dont deux principaux : le prix de la car te consulaire, fixé à 7.000 f cfa (10,70 euros), est très élevé pour l’opposition qui pense que rien ne peut expliquer un tel niveau de prix lorsqu’on connaît les coûts de fabrication de ce genre de document de par le monde. D’autre par t, l’opérateur retenu pour ce travail n’est pas fiable. Le nombre important de Burkinabé domiciliés en Côte d’Ivoire (près de 3 millions de personnes) incite l’opposition à plus de vigilance pour que le pouvoir ne fasse pas en Côte d’Ivoire ce qu’il arriverait difficilement à faire au Burkina Faso, à savoir, la fraude industrielle.
LE DIALOGUE RÉPUBLICAIN ENTRE LE POUVOIR ET L’OPPOSITION
Les dispositions légales, plus précisément, l’article 10 de la Loi 009-2009/AN/B.PRES portant statut de l’opposition dispose : « Le président du Faso et le chef du gouvernement peuvent consulter l’opposition sur des questions d’intérêt national ou de politique étrangère ». L’opposition observe que de telles concertations n’ont jamais eu lieu quand la situation nationale l’exigeait. Pire, ajoute l’opposition, le gouvernement a décidé de modifier la loi portant statut de l’opposition, sans même prendre la peine d’informer celle-ci.
Conclusion : le pouvoir se moque de l’opposition et est décidé à mener la politique du pire.