BURKINA FASO : « L’alternance en 2015 ! »

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Blaise Compaoré a commencé à faire le ménage autour de lui. Après le coup de tonnerre du 4 janvier 2014 et la manifestation monstre du 18 janvier de ceux qui demandent la non-modification de l’article 37 et la non-installation du Sénat, le chef de l’Etat a répliqué en limogeant son directeur de cabinet et homme de confiance Assimi Kouanda. A l’issue du Conseil des ministres du mercredi 22 janvier, ce directeur de cabinet du président de la République, ministre chargé de missions et secrétaire exécutif du CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès), a été remplacé par l’ambassadeur du Faso au Mali, Sanné Mohamed Topan. Blaise Compaoré fait appel à un homme qui avait déjà dirigé son cabinet dans le passé. Des rumeurs annoncent, aussi, la formation imminente d’un nouveau gouvernement. Autant dire que le régime est profondément secoué.

Après le coup de tonnerre, du 4 janvier 2014, marquant la démission du CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès), de 75 militants importants dont plusieurs barons du régime et fondateurs de ce par ti parmi lesquels, l’ancien premier ministre, ancien président de l’Assemblée nationale et ancien président du CDP, Roch Marc Christian Kaboré, l’ancien ministre d’Etat de l’Eau et ancienne éminence grise du chef de l’Etat, Salif Diallo, l’ancien maire de Ouagadougou, Simon Compaoré, et bien d’autres personnalités de tout premier plan, la manifestation de l’opposition du 18 janvier 2014 avait valeur de test. Allait-elle mobiliser (ou non) comme on le prévoyait dans les instances du pouvoir ? La réponse est claire pour tout le monde : Blaise Compaoré a de quoi s’inquiéter. Le nombre des Burkinabè qui demandent son départ, en 2015, est sans cesse croissant. Quant à ceux qui ont bravé la pluie, à Ouagadougou, samedi 18 janvier, ils ont été 10.000 selon la police, 250.000 dans Ouagadougou et 500.000 à travers des grandes villes comme Bobo Dioulasso, Korhogo, etc. selon l’opposition. Pour la presse, il y avait du monde dans les rues ce jour-là, comme rarement auparavant.

Alors qu’il soutenait encore, en 2012, le principe de limitation de mandats comme étant « anti-démocratique », Roch Marc Christian Kaboré, présent à la manifestation, comme il l’avait annoncé, quelques jours après sa démission, a été ovationné par les manifestants, alors qu’il avait été invité à prendre place, à côté du chef de file de l’opposition, Zéphirin Diabré. Ce dernier était tout sourire, maintenant qu’il voit son combat donner des résultats tangibles. L’alternance, a-t-il dit, est à portée de main. Mais à qui profitera-t-elle ? Chacun, parmi la cohorte des leaders politiques présents à la tribune, le 18 janvier, voit sans doute midi à sa porte.

La démission de Roch du CDP est un sérieux coup dur pour le régime. Issu d’une grande famille, il a eu une carrière accomplie. Premier ministre de mars 1994 à février 1996, pendant le premier septennat de Blaise Compaoré (1991- 1998), il a été consacré à ce poste après avoir été directeur général de la Banque internationale du Burkina de 1984 à 1989. En septembre 1989, justement, il est entré au gouvernement comme ministre des Transports et des Communications, avant de s’occuper de la Coordination de l’action gouvernementale, en juin 1991. Elu député de Kadiogo, en mai 1992, il est aussi nommé ministre des Finances, de juin 1992 à septembre 1993, puis, ministre chargé des Relations avec les institutions jusqu’à sa nomination en tant que premier ministre, le 22 mars 1994. Il a démissionné de ce poste, le 6 février 1996.

En attendant les législatives de 1997, il est devenu conseiller spécial du président. Il est élu député, en mai 1997, et dans la foulée, vice-président de l’Assemblée nationale. Il s’est, aussi, retrouvé secrétaire exécutif national du CDP, en 1999, tout en restant député, lors des législatives de 2002. Elu président de l’Assemblée nationale, le 6 juin 2002, et président du CDP, en 2003 et ce, jusqu’à fin 2012, il n’a plus aucun mandat ni aucune responsabilité dans le parti.

Agé de 57 ans, il était, avant octobre 1987, membre, avec Simon Compaoré, de l’Union de lutte communiste reconstruite (ULCR) que dirigeait Valère Somè, l’idéologue de Thomas Sankara. Après l’assassinat de ce dernier, les deux camarades prirent la décision d’accompagner BlaiseRoch a d’ores et déjà occupé tous les postes élevés que pouvait offrir la République, en dehors de celui de président de la République, chef de l’Etat et président du Conseil des ministres.

Déjà, au moment où il était premier ministre, les futuristes (il y en a aussi au Faso) posaient la question, en marge du 20 e anniversaire de la création de l’Université de Ouagadougou, organisé avec son appui financier et matériel, ce qui avait permis d’inviter des universitaires francophones d’Afrique, d’Europe et du Canada, de savoir comment allait se gérer la gestion générationnelle des postes politiques au Burkina Faso, dans les 10 à 20 années suivantes ? Il faut dire que les amis de Compaoré qui l’ont accompagné après sa prise du pouvoir de la manière qu’on sait, le 15 octobre 1987, avaient à peu près tous, le même âge. Le Burkina Faso ne pouvant compter qu’un seul président de la République, il fallait bien gérer cette question.

L’autre grosse pointure démissionnaire, s’appelle Salif Diallo. 57 ans, lui aussi, il avait, dans le cadre de son parcours révolutionnaire, adhéré au Parti communiste révolutionnaire de la Haute Volta. Très proche de Blaise au point de devenir son maître à penser, il fut nommé, après octobre 1987, directeur de Cabinet du président de la République, de 1987 à 1989, et secrétaire général de la présidence de la République, de 1989 à 1991, avant d’entrer dans le gouvernement où il fut, tour à tour, ministre des Affaires sociales et de l’Emploi, en 1991, ministre chargé de Missions à la présidence, de 1992 à 1995, et ministre chargé de l’Eau, de 1995 à 1999, avant de retourner conseiller le président de la République, de 1999 à 2000. De 2000 à 2002, il redevint ministre chargé de l’Agriculture et de l’Eau. En août 2003, il fut élu vice-président du CDP. Démis du gouvernement en mars 2008, il embrassa une carrière de diplomate en devenant ambassadeur du Faso en Autriche. Fin stratège, il est craint au CDP plus que Roch, ce qui fait dire qu’avec le départ de ces deux hiérarques, le CDP connaît un mini-tremblement de terre.

Reste Simon Compaoré, autre poids lourd, ayant claqué la porte du CDP. Né en 1952 (62 ans), à Ouagadougou, il est nommé, en mars 1985, directeur de Cabinet du président de la République Thomas Sankara. En mars 1995, il est élu maire de Ouagadougou et sera réélu en 2000 et 2006. Elu aussi député, en 1997, il n’avait plus aucun mandat, fin 2012.

Les ambitions des uns et des autres ne pouvaient que s’exprimer à un moment où à un autre. D’ailleurs, le premier couac survint, en 1991, année de la première élection présidentielle dans le cadre d’un septennat. Prétendant à cette fonction suprême, Blaise Compaoré qui avait profité de sa présence à la tête de l’Etat, depuis octobre 1987, et du contrôle qu’il exerçait sur la célèbre garnison militaire de Pô, en avait profité pour éliminer, un par un, tous ses adversaires politiques, et surtout, militaires. L’un des rares civils à pouvoir lui faire, politiquement, face, fut Me Hermann Yaméogo, fils du premier président de la Haute Volta, de 1959 à 1966, et père de la nation, Maurice Yaméogo, compagnon de lutte du Sage de Yamoussoukro, Félix Houphouët- Boigny.

L’empêcheur de tourner en rond Thomas Sankara ayant été éliminé avec le discret soutien de ce dernier, celui qu’on surnommait, affectueusement, « Le Vieux » afin d’éviter que la situation ne dégénère en Haute Volta, se résolut, pour trouver une solution à la dispute de la fonction présidentielle entre les deux hommes, à ce que Blaise ait le primeur, en restant président de la République, de 1991 à 1998, tandis que le septennat 1998-2005 devait revenir à Me Hermann Yaméogo. En homme de droit, ce dernier proposa au « Vieux » de rédiger un accord écrit en bonne et due forme pour immortaliser cette entente à trois. Mais le Sage, très confiant, lui répondit qu’il serait bien là, le moment venu, pour faire appliquer ce Deal. Malheureusement, en décembre 1993, il rendit l’âme, et l’accord (verbal) entre les deux hommes devint caduc, côté Blaise, qui recruta même Hermann dans son gouvernement, en ne lui épargnant pas de pires humiliations et brimades. Il fit tout pour l’anéantir politiquement. 16 ans, après, Me Hermann Yaméogo tient sa revanche sur l’ogre du Faso. Il a été l’opposant de la première heure d’un système qu’il ne pouvait vaincre, même si, paradoxalement, aujourd’hui, il fait partie des ténors du Front républicain, qui appelle à la « stabilité » du pays, c’est-à-dire au maintien de Compaoré.

Car ce qui devait arriver arriva. En 1998, en effet, Blaise Compaoré, fortement soutenu par ses parrains parisiens au pouvoir, obtenait carte blanche pour passer la présidentielle comme une lettre à la poste, malgré la désaffection populaire dont la droite française n’a cure quant il s’agit de l’Afrique. Pour preuve, il n’y eut aucune remise en question de ce scrutin qui connut un taux de participation exceptionnellement faible : 25% à peine de l’électorat se rendit aux urnes. La Françafrique était, alors, à son apogée.

En 2005, s’est posé la question de la succession de Blaise Compaoré, la constitution limitant les mandats à 2. Pour les adversaires de Blaise, il devait débarrasser le plancher présidentiel, en 1998, avant d’aller régler quelques comptes personnels auprès de la justice, à cause de ses nombreux assassinats. Mais pour ses amis politiques (dont certains sont démissionnaires du CDP depuis le 4 janvier 2014), la limitation du nombre de mandats ne devait pas s’appliquer à la nouvelle version de la constitution, qui réduisait la durée des mandats de 7 à 5 ans. Blaise eut, donc, une nouvelle fois, gain de cause, en demeurant président (incontesté) jusqu’en 2015. Mais au lieu d’en rester là, voilà qu’il pose à nouveau le problème de son maintien à la tête du pays, comme s’il était le seul Burkinabè à s’intéresser à la fonction de président de la République. En 2015, il aura totalisé, à la tête du pays, 28 années de sa vie. Sans interruption. A moins de transformer le Burkina Faso en royaume, quel argument peut-il légitimement utiliser pour chercher, coûte que vaille, contre la volonté d’une bonne frange de la population qui lui demande de respecter la constitution, à se maintenir au pouvoir ?

« Nous (Roch Marc Christian KaboréSimon Compaoré et Larlé Naaba Tigré, ancien député à l’Assemblée nationale, démissionnaire lui aussi du parti, etc.), avons participé, à la marche de l’opposition (du 18 janvier) parce que les points tels que la non-révision de l’article 37, la non-mise en place du Sénat, sont des points sur lesquels nous adhérons, pleinement », a confié Roch, avant de fustiger « une mauvaise gouvernance et un manque de démocratie interne » au CDP. Voilà pourquoi les partants du CDP ont créé leur parti politique, le Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP), dont l’assemblée constitutive a eu lieu samedi 25 janvier.

« Blaise dégage »« Blaise Compaoré, cancer du Burkina Faso », « Corrupteurs, détourneurs, prédateurs », « Vive l’alternance en 2015 » ! Voilà un échantillon de pancartes et de banderoles qu’on pouvait lire le 18 janvier 2014. Une atmosphère bon enfant a accompagné cette manifestation. Le vent du changement est en train de tout bouleverser au pays des hommes intègres. Blaise Compaoré sera-t-il sage pour ne plus chercher à ruser, comme par le passé, le peuple l’attendant désormais au tournant ?

Pour l’Etat major permanent de crise (EMPC) qui fédère toutes les oppositions au régime, la journée historique du « 18 janvier marque le début d’une série de manifestations de grande envergure jusqu’à la victoire finale ». Et d’avertir Blaise Compaoré sur le prochain objectif : « Nos marches (de juin, juillet 2013 et janvier 2014) se sont, jusque là, dirigées vers l’EST où se trouve le premier ministre, sans que notre colère légitime ne soit prise en compte par les tenants du pouvoir. La marche finale prendra la direction SUD (Palais de Kosyam ou présidence de la République) de la ville de Ouagadougou, afin que le principal concerné comprenne une fois pour toutes que nous sommes déterminés à aller jusqu’au triomphe de la démocratie », indiquait-il dans son communiqué du 17 janvier 2014.

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