Après les principales radios d’information burundaises privées qui demeurent fermées depuis le 14 mai dernier, c’est au tour de l’unique journal papier indépendant d’être dans le collimateur de la présidence.
Récemment, le journal privé, Iwacu, qui a continué de paraître durant les événements, connu pour la modération de ses positions et son professionnalisme, a fait l’objet d’attaques virulentes de la part du conseiller en communication de la présidence, le devenu très célèbre, Willy Nyamitwe, depuis qu’il a su défendre, bec et ongle, la dictature du 3e mandat de Nkurunziza.
Dans un poste Facebook du 2 septembre, cet officiel, qui a pris une position de plus en plus importante et radicale sur l’échiquier politique au cours des derniers mois, a qualifié les journalistes d‘Iwacu de « tricheurs » et de « filous », suite à la publication d’une interview qui lui a déplu. Des accusations qui, étant donné le contexte chaotique du pays, ne sont pas prises à la légère par le directeur du journal, Antoine Kaburahe. Dans sa réponse à Willy Nyamitwe, publiée sur son site, il estime que le conseiller « cherche à préparer l’opinion en amont, pour légitimer une future action », et rappelle le devoir de questionnement de tout bon média. « Oui, Iwacu ne caresse pas dans le sens du poil le pouvoir en place. Mais nous sommes dans notre rôle, un droit garanti par la constitution. Et notre travail ne devrait pas hérisser le chargé de communication du président, qui parle toujours de ‘démocratie’. La démocratie suppose la multiplicité des médias et la divergence des opinions, c’est un signe de bonne santé démocratique », déclare-t-il.
Une analyse que ne partagent pas les autorités burundaises qui ont intensifié leur répression violente à l’égard des journalistes des médias nationaux et internationaux.
Un peu en retrait, dans une stature d’observateur, ces derniers temps, Reporters sans frontières (RSF) a immédiatement protesté, en indiquant que l’organisation « ne relâche pas son attention sur les événements extrêmement graves qui se déroulent au Burundi ». Et Clea Kahn-Sriber, responsable du bureau Afrique de RSF de préciser que, « La violence que déploient les autorités contre les journalistes est documentée par les ONG et les Nations-Unies. Il est illusoire de penser pouvoir contrôler l’information en toute impunité. Les personnes responsables devront rendre des comptes un jour. Alors que les institutions sont désormais établies, il est urgent qu’il y ait un retour à la normale et que la spirale de violence cesse. C’est le devoir de tout gouvernement démocratique comme aiment à se considérer les autorités burundaises. »
Une violence sans limite
Le 4 septembre, Jean-Claude Ciza, ancien journaliste de la RTNB, qui collabore actuellement avec la Radio Télévision belge francophone( RTBF) et RFI, a été atrocement battu à coup de barres de fer en pleine rue par Désiré Uwamahoro, un officier de police, souvent, cité dans les rapports de l’ONU comme l’un des principaux responsables des violations des droits de l’homme dans ce pays. Au moment de son agression, le journaliste était en communication avec la correspondante de la RTBF pour laquelle il effectuait un reportage sur la situation au sein du quartier Musaga.
Selon le journaliste Ciza, Désiré Uwamahoro lui aurait demandé de révéler où se trouvaient les journalistes des autres médias, Radio Isanganiro, Bonesha, Radio-Télé Renaissance ; ainsi qu’Esdras Ndkikumana, correspondant de RFI. « Vous étiez nombreux au moment des manifestations, et maintenant tu es tout seul sur le terrain. Voilà ta leçon de comportement », lui a déclaré l’officier alors qu’il le frappait. Terrassé, le journaliste n’a même pas essayé de fuir lorsque son agresseur s’est éloigné un instant car un autre agent du renseignement, qui assistait à la scène, l’a prévenu qu’il avait reçu l’ordre de lui tirer dessus s’il se mettait à courir.
Le 27 août au matin, Jimmy Elvis Vyizigiro, journaliste pour l’ONG néerlandaise la Benevolenjia – qui produit des contenus radio portant sur la réconciliation – et collaborateur de l’émission, Les Observateurs sur France 24, a été victime d’une grave agression à son domicile. Quatre hommes cagoulés ont débarqué chez lui, l’ont maintenu au sol et frappé pendant qu’ils fouillaient sa maison à la recherche des documents qu’il avait collectés dans le cadre d’un article sur les dysfonctionnements techniques du processus électoral. « On sait que tu es journaliste, donne nous ce que tu es en train de faire sur le processus électoral », lui ont clairement signifié ses agresseurs. Devant sa réticence à répondre, ils l’ont brûlé aux bras, avant de partir avec des documents, son enregistreur, son appareil photo et son ordinateur. Dans une interview vidéo accordée au journal Iwacu, Jimmy Elvis Vyizigiro raconte son supplice. Depuis, il vit caché.
Le 2 août dernier, Esdras Ndikumana, correspondant de RFI et de l’AFP, était violement passé à tabac dans les locaux même du service de documentation. Selon des sources concordantes, ce même officier, Désiré Uwamahoro, avait ordonné son arrestation. Plus d’un mois après son agression, les sévices qu’a subis le journaliste, restent impunis. Malgré les assurances données par la présidence, dans un communiqué publié sur Twitter, qui affirmait vouloir « déterminer d’urgence ces actes et les circonstances de ces actes d’un autre âge, afin que les auteurs soient poursuivis et châtiés conformément à la loi », aucun suspect n’a été appréhendé alors même que les violences ont eu lieu au siège du service national de renseignement, en présence de nombreux témoins.
Harcèlement judiciaire et procédures abusives
Des journalistes qui ont pris le risque de rester au pays ou qui sont revenus après avoir fui les violences, font l’objet de harcèlement judiciaire et de procédures abusives de la part des autorités.
Le 28 août, le correspondant de la RPA à Gitega (centre du Burundi), Gérard Nibigira, a été convoqué devant le procureur de la République, accusé d’avoir tenu des propos injurieux contre le président de la République. Une fois devant le tribunal, aucun des témoins n’a confirmé les accusations à son encontre.
Dans la nuit du 24 au 25 août, une dizaine de policiers ont encerclé le domicile du correspondant de radio Bonesha FM en province Muyinga (Nord du Burundi), Emmanuel Ndayishimiye, avant de lancer une perquisition au petit matin. Selon le chef des services de renseignement, responsable de la fouille, ils avaient reçu des informations affirmant que le journaliste détenait des armes dans sa maison. Rien n’a été trouvé. Le journaliste était rentré de Kigali la veille.
Des manœuvres apparemment destinées à mettre les journalistes sous pression.
Un vide médiatique qui perdure
Pendant ce temps, les médias privés qui ont été fermés après le putsch du 14 mai par décision de justice ne peuvent toujours pas reprendre leur activité. Deux enquêtes sont en cours, l’une porte sur les destructions subies par les médias, l’autre vise spécifiquement les radios qui ont diffusé le message des putschistes, c’est-à-dire, toutes les radios d’information privées de Bujumbura (Radio Isanganiro, Bonesha FM, RPA et Radio-télé Renaissance) à l’exception de Radio Rema qui est favorable au gouvernement.
Selon le porte-parole de la présidence Willy Nyamitwe, interviewé sur le site de Infos Grands Lacs, il n’y a pas de garanties que ces radios puissent rouvrir dans l’immédiat. Il donne comme raison, les besoins de l’enquête, une enquête qui n’a pourtant connu aucune évolution notoire depuis son ouverture, il y a maintenant près de quatre mois.
Pour Innocent Muhozi, directeur de Radio-Télévision Renaissance, la décision de rouvrir les radios ne réside pas dans les mains de la justice. Dans une interview donnée à Radio Isanganiro, il explique : « Nous savons tous comment les médias ont été fermés (…) Je crois que les médias ont été détruits et fermés par les services de sécurité et aussi longtemps que ces services de sécurité prédominent sur les instances politiques légitimes (…), nous aurons un problème ».
Ces fermetures prolongées ont également des conséquences financières très concrètes pour ces médias. Selon un dirigeant d’une des radios fermées, si une solution n’est pas trouvée rapidement, les employés seront forcés d’être mis au chômage technique. Certains continuent néanmoins de publier du contenu sur Internet mais celui-ci ne touche pas la majorité des citoyens du Burundi où le taux de pénétration internet demeure faible.
Mais ce paysage de désolation n’est pas l’image que veulent donner les autorités. La nouvelle offensive de communication du gouvernement met l’accent sur la quinzaine de radios qui continuent de fonctionner au Burundi, radios de divertissement, religieuses ou proches du gouvernement.
Ainsi, l’agence de presse burundaise publie une dépêche sur la visite du vice-président à la radio Star FM qui émet depuis Gitega, et qui a été récompensée d’un ordinateur portable pour sa bonne couverture du processus électoral. D’autres radios continuent d’émettre, diffusées en provinces seulement, telle que Radio Umoco FM à Ngozi.
Selon un observateur international de la vie politique burundaise, ces radios provinciales, proches du gouvernement, non seulement, monopolisent aujourd’hui les ondes, mais se voient de plus en plus libres de diffuser des messages extrémistes en toute impunité. En effet, elles ne sont pas écoutées par l’organe de régulation, le Conseil national de la communication (CNC), qui ne dispose pas de la main-d’œuvre pour monitorer les contenus des radios hors de Bujumbura.
La liberté de la presse au Burundi, souvent, citée en exemple dans la région, s’est érodée petit à petit depuis 2013 où les lois restrictives et les intimidations contre les journalistes ont commencé à se multiplier. Depuis l’annonce de la candidature à un troisième mandat du président Nkurunziza, la répression du gouvernement contre les médias s’affiche ouvertement. La majorité des journalistes burundais ont pris la route de l’exil. Quant à ceux qui restent, ils vivent pour la plupart cachés dans la crainte des traques et arrestations arbitraires de la part des services de renseignement. La nomination du nouveau gouvernement en août dernier était porteur de minces espoirs, mais les quelques observateurs qui demeurent à Bujumbura décrivent une situation de quasi-guerre civile. Les tirs de kalachnikov et de grenades ponctuent les nuits, les arrestations nocturnes sont quotidiennes. Plusieurs membres de la société civile et politique ont été tués ou font l’objet de tentatives d’assassinat.
Le Burundi occupe la 145e place sur 180 pays, selon le Classement 2015 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières